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Patrimoine
In Memoriam : Pierre Meyzenc
In Memoriam : Pierre Meyzenc
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| Rédaction 1245 mots

In Memoriam : Pierre Meyzenc

La disparition de Pierre Meyzenc, le fondateur du label Agorila (anciennement « Le disque ») constitue une perte irréparable pour le patrimoine culturel bayonnais, basque, et même pour tout le Sud-Ouest, dont il fut le conservateur et le diffuseur inlassable de la production musicale. Pour ma part, jeune créateur en 1978 de Radio-Adour-Navarre,  première station de radiodiffusion – « périphérico-pirate », disait le président du Parlement de Navarre, Frantz Duboscq, à cause de notre émetteur situé en Guipuzcoa -, comment ne pas faire remonter quelque souvenir ému de mes fréquentes rencontres avec Pierre Meyzenc, afin de « quémander » un disque pour nos émissions, ou quelque conseil de programmation, et même de technique pour l’enregistrement : j’avais toujours bénéficié d’un accueil discret mais avisé et chaleureux, à la mesure de la personnalité exceptionnelle qu’était ce chasseur de son, passionné de sa région ! N’avait-il pas, le premier, enregistré l'Ave Maria de Lourdes ? Et les chants religieux de sa collection comblaient les moments d’attente avant d’établir la liaison technique (parfois « laborieuse », à l’époque) avec l’église au fin fond du Pays Basque d’où nous retransmettions la messe dominicale en basque suivie du magazine avec les acteurs du village ! Sans parler de tous les enregistrements des orchestres, groupes et musiciens locaux qui « peuplaient » notre programmation…

Et en dehors de la musique, la photographie, l'athlétisme et le rugby faisaient encore partie de ses passions, ainsi que la tauromachie comme le rappelle avec talent l’ami Yves Ugalde.

« Agorila s’apprêtait à fêter ses 70 ans d’existence et c’est une page importante qui se tourne pour nous », indique son fils et successeur Manex. « Merci pour cet héritage culturel que nous nous efforcerons de garder vivant ». ALC

Le témoignage de François-Xavier Esponde

Pierre Meyzenc et sa Maison d’édition bayonnaise Agorila sont l’institution incontournable du patrimoine chanté et musical bayonnais, avec ses voix du pays et les 210 titres recensés, le rock basque et les 20 CD, le jazz et les 16 titres, les musiques du monde et le folklore, le plus important avec 249 titres diffusés auxquels s’adjoignent  les musiques catalanes, les bandas landaises et les sonorités hispaniques, les musiques de fête au nombre de 249 et les musiques taurines 31. La Maison d’édition bayonnaise Agorila a ainsi diffusé le classique et le religieux, les mélodies de Lourdes, les chants des moines de  Belloc (36 productions), des musiques adaptées au jeune public (22) et une douzaine dans le répertoire comique.

Secondé par ses fils, Pierre Meyzenc représente la référence première et la plus ancienne du patrimoine instrumental et chanté des musiques de la région et au-delà. Un univers auquel des DVD plus récents ont ajouté les musiques taurines destinées à un public aficionado, prioritairement bayonnais, mais « pas que »... Tout en fredonnant ces mélodies ancrées dans la mémoire, beaucoup se souviendront sans doute de ce travail unique et précieux accompli par cet artiste dans l’âme, ancré dans sa ville et complice de bien d’autres témoins, tel André Béhotéguy qui saluait Pierre son ami et son voisin du Petit Bayonne ! Tous les amis et les proches de la famille, de l’Aviron, des Arènes, et de la vie associative bayonnaise saluent la noblesse de ce serviteur de la vie bayonnaise, un sentiment partagé par des milliers de visiteurs qui aiment la ville et lui doivent d’avoir su protéger et garantir son patrimoine artistique.

Le témoignage d’Yves Ugalde

Pierre Meyzenc, guetteur infatigable de la vie bayonnaise, vient de poser pour toujours son appareil photographique, ses micros et caméras. Il avait 89 ans. A force de le voir capturer les sons et les images de nos agitations multiples, on finissait presque par penser qu'il serait plus épargné que les autres par le temps qui passe. Je ne le croisais plus dans ses promenades autour du stade ou au callejon de Lachepaillet. Dans ces cas, je ne pose aucune question parce que j'en crains la réponse...

Son premier enregistrement, sous l'appellation Agorila, sa maison d'édition discographique, du nom même de celle dans laquelle il avait logé sa grande famille à Marracq, date de 1949. L'appartement de la rue des Cordeliers était devenu un peu juste pour six...

Comme Aubert avant lui, pionnier de la photographie, Pierre s'était mis en tête d'être un témoin de son temps, mais à Bayonne, et en s'appuyant autant sur le son que sur l'image. L'audiovisuel ne s'était pas encore trouvé un nom. Le métier restait à inventer. Et Pierre fait partie de ceux qui l'ont modelé en région, observé comme un type étrange depuis Paris où tout était plus facile alors. Films et disques, dans l'immédiat après-guerre, restaient l'apanage des grandes villes.

La grande idée de Pierre fut de saisir, avant beaucoup d'autres qui couraient vers la capitale pour s'y faire un nom ou entrer à l'ORTF ou une de ses filières, que nous vivions dans un territoire foisonnant de talents et de spécificités bien au-dessus de la moyenne nationale de nos provinces françaises.

Sans des hommes comme lui, des voix basques, aujourd'hui inoubliables et pans entiers et reconnus de notre culture, à l'universalité de laquelle il aura beaucoup contribué, n'auraient pas trouvé l'écho vital nécessaire. Des talents, comme ce fut hélas le cas dans d'autres endroits de France, seraient restés dans l'œuf. Des poèmes n'auraient jamais trouvé leurs mélodies, des musiques jamais leurs chanteurs.

Agorila était, à cet égard, beaucoup plus qu'une maison de disque. Elle fut, et reste d'ailleurs grâce à son fils Manex, pour beaucoup d'artistes locaux, tout à la fois un refuge, un tremplin et un vivier de rencontres créatives.

A lui seul, Pierre aura bâti une collection référentielle de la production artistique en Pays Basque. Sans grands discours à portée culturelle, qu'il n'aimait pas, il a œuvré pied à pied, jour après jour, pour que le génie créatif de notre territoire musicien et chantant ne s'éteigne pas comme l'été des cigales. La fugacité d'une belle chanson lui était insupportable, le complexe de la consécration parisienne encore plus.

Au stade, comme aux arènes, il aimait les passeurs. Son métier ne fut habité que par ce souci de préserver, de promouvoir, et de transmettre les œuvres dont il était devenu le témoin privilégié.

Il était aussi un grand aficionado. Je me souviens de la rumeur qui courut, fin des années 60, dans Bayonne, au sujet d'un gamin torero qu'il avait filmé en Espagne. "Il s'appelle Niño de la Capea. Ce garçon est un surdoué, vous verrez…" Ce film participa grandement de l'effervescence qui entoura la venue de ce futur monstre du toreo à Bayonne. Il ne s'était pas trompé. D'autres grands maestros furent de ses amis. Victor Mendes doit être triste ce soir.

Pierre débusquait la pépite, la mettait en lumière, et disparaissait juste après, pour n'en prendre aucune part. L'âme d'un grand reporter qui ne confondait pas les rôles mais dont l'horizon n'aurait jamais pu se séparer des flèches de la cathédrale...

Le développement des réseaux sociaux, la vulgarisation de l'accès à l'image ou au son, il regardait cela avec circonspection. Il avait mis tant d'énergie à ouvrir la voie dans laquelle aujourd'hui n'importe qui s'engouffre sans discernement aucun entre le bon grain et l'ivraie.

En attendant, sans la quête et le travail de Pierre, le coffre aux trésors de la mémoire musicale et chantée du Pays Basque, et du sud en général, manquerait singulièrement de fond, et nous, de quelques-uns de nos plus beaux repères d'émotions collectives. Un grand passeur, comme Dauger les aimait...

Les obsèques de Pierre Meyzenc ont été célébrées ce jeudi 17 janvier en l’église Saint-André de Bayonne. R.I.P.

 

 

 

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