Un mariage arabe est célébré dans un village israélien. La fête bat son plein. Sami (Alex Bachri), un cadre en informatique travaillant à Jérusalem, est présent pour le mariage de son frère accompagné de sa femme Mira (Juna Suleiman) et de son jeune fils Adam. Sami n’est pas venu depuis longtemps dans la maison de son père Tarek (Salim Daw). Ce dernier fait agrandir sa maison dans l’espoir, vain, de recevoir son fils prodigue et sa famille. Sami, un arabe israélien, cadre supérieur parfaitement intégré dans la société israélienne, veut repartir dès l’interminable cérémonie nuptiale achevée. Son portable sonne. Il s’éloigne de la liesse familiale pour échanger avec sa maitresse restée à Jérusalem … Sa femme Mira le soupçonne d’adultère … Un ancien ami du village Abed (Eihab Salame), un peu frustre, devenu chauffeur de taxi tente de se rapprocher de lui …
La cérémonie dérape quelque peu. Le lâcher de colombes est un fiasco : elles ne veulent pas s’envoler et courent dans le patio de la maison. Le marié semble craindre la nuit de noces avec sa jeune femme qu’il juge insatiable. Soudain, l’électricité est coupée et la maison est plongée dans le noir … L’on allume des bougies. Le téléphone devient muet : plus de réseaux ! Que se passe-t-il ?
Sami, flanqué d’Abed, part aux nouvelles : c’est l’armée israélienne qui a bouclé le village a la recherche de travailleurs palestiniens clandestins. Un checkpoint a été installé sur l’unique route d’accès au village. Un jeune militaire débonnaire de Tsahal monte la garde, sans conviction. Il n’a pas d’instructions de ses supérieurs … Il faut patienter. Dans la maison plongée dans l’obscurité, sans téléphone, les esprits s’échauffent …
Et il y eut un matin est l’adaptation, très libre, du roman éponyme de Sayed Kashua (46 ans) arabe israélien écrivant en hébreu (livre accessible dans la collection de poche Points -2008). Eran Kolirin (48 ans) a considérablement modifié l’intrigue avec l’accord de l’écrivain. Il décrit la micro société d’un village arabe israélien soumis à l’arbitraire d’un détachement de Tsahal sous forme d’une fable absurde et drôle.
Coupé de tout, sans que l’on sache bien pourquoi, le microcosme social se délite sous nos yeux : Sami tente de retourner coûte que coûte à Jérusalem pour son travail mais aussi pour retrouver son amante ; sa femme dépressive soupçonne cet adultère ; le jeune frère de Sami, nouveau marié, fuit sa nouvelle compagne ; son père éructe et menace de recourir à la violence ; Abed, le paisible chauffeur de taxi, délaissé par sa femme veut prendre des armes ; une milice villageoise le pourchasse, sous des prétextes fallacieux, etc. …
Dans le premier tome de ses Mémoires de Guerre (L’Appel - 1954 – Librairie Plon), le Général de Gaulle (1890/1970) ouvrait le chapitre L’Orient en déclarant : « Vers l’Orient compliqué, je volais avec des idées simples. Je savais que, au milieu de facteurs enchevêtrés, une partie essentielle s’y jouait ». C’était en mars 1941, il y plus de 80 ans. Depuis lors, les évènements tragiques, violents, n’ont fait que s’additionner : des conflits armés d’état à état, des guerres civiles avec leurs cortèges d’atrocités. Les équilibres géopolitiques de cette région sont et demeurent toujours instables. Les populations de ces contrées sont bouleversées.
L’Etat d’Israël a été crée en mai 1948, il y a 74 ans, après le vote du plan de partage de la Palestine de novembre 1947 par l’ONU qui mettait fin au mandat britannique et qui prévoyait un Etat juif et un Etat arabe… qui n’a jamais vu le jour. Aujourd’hui, l’Etat juif fortifié par une immigration juive venue de nombreux pays (Maghreb, pays arabes, URSS, etc.) compte plus de 9 millions d’habitants répartis en deux blocs importants : les israéliens de confessions juives (75 %) et les arabes israéliens (21%). En juillet 2018, la Knesset sous l’impulsion du premier ministre Benjamin Netanyahou, a adopté une nouvelle loi fondamentale de l’Etat d’Israël qui fait d’Israël « l’Etat-nation du peuple juif ». Lors de la sortie en France de son dernier opus, Eran Korilin a déclaré : « Les Arabes d’Israël sont les invisibles de notre pays ».
Eran Kolirin qui nous avait enchanté avec La Visite de la Fanfare (2007), l’histoire burlesque d’une fanfare égyptienne arrivant dans une petite ville perdue du Néguev, développe ici une fable politique plus grinçante, sorte de huis clos (la maison parentale inachevée) en plein air (le village isolé). Le village de jour comme de nuit, devient le théâtre de toutes les contradictions induites par la société israélienne, une société sous tension. Les nombreuses notations drôlatiques semées tout au long du film aboutiront, à terme, à un drame stupide.
Et il y eut un matin a été sélectionné au Festival de Cannes 2021 dans la section « Un Certain Regard ».