La proposition de loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales portée par le député breton Paul Molac revient à l’Assemblée nationale pour une seconde lecture. Après avoir été étudiée en commission des affaires culturelles la semaine dernière, elle arrivera en séance jeudi prochain 8 avril.
En première lecture, cette proposition de loi avait été adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale le 13 février 2020. Malheureusement, les députés du groupe majoritaire (LREM) avaient au préalable rejetés tous les articles relatifs à l’enseignement. Fort heureusement, grâce en grande partie au sénateur Max Brisson, l’étude du texte au Sénat le 10 décembre dernier avait permis de réintégrer dans le texte certaines dispositions sur l’enseignement, et c’est donc un texte enrichi à la suite de la navette parlementaire qui revient en discussion à l’Assemblée.
Paul Molac souhaite que ce texte puisse être adopté conforme par rapport à la version du Sénat, de manière à ce que la loi puisse être définitivement promulguée. C’est également la volonté de l’ensemble des réseaux d’enseignements publics et associatifs en langue régionale partout en France, mais pas seulement : dans un communiqué , les treize présidents de Régions de métropole ont également appelé les parlementaires à adopter cette loi conforme.
Il y a là une occasion historique de faire avancer la cause de nos langues, trop souvent méprisées : ce serait la première fois dans l’histoire de la Vème République qu’une loi sur les langues régionales serait adoptée.
Après Max Brisson au Sénat, Vincent Bru défendra nos langues à l’Assemblée Nationale : "Je serai présent jeudi prochain pour défendre cette proposition de loi sur les langues régionales", nous a déclaré le député de la côte basque.
"Outre la question de la signalisation bilingue sur les voies et bâtiments publics, que nous appliquons au Pays Basque depuis longtemps, il y a une disposition sur les signes diacritiques, tel l’usage du tilde dans l’enregistrement de prénoms basques comme Eñaut.
Surtout la proposition de loi veut renforcer l’enseignement des langues régionales, à travers trois dispositifs :
- la reconnaissance de l’enseignement immersif par la loi, alors qu’elle ne constitue qu’une expérimentation dans les écoles publiques
- la participation financière de la scolarisation d’enfants dans des établissements privés sous contrat d’association dispensant un enseignement de langue régionale selon un accord entre la commune de résidence et l’établissement scolaire d’une autre commune, si la commune de résidence ne dispose pas d’école dispensant un tel enseignement.
- la reconnaissance des langues régionales comme matière facultative dans le cadre de l’horaire normal d’enseignement, de la maternelle au lycée, si l’Etat et la région ont conclu une convention en ce sens.
Naturellement, je défendrai ce texte. Ainsi je dépose un amendement pour rétablir l’article 2 quinquies qui a été supprimé en commission Éducation, et qui concerne cette participation financière des écoles privées sous contrat. Ce n’est que la traduction législative d’une promesse faite par l’ancien premier ministre Édouard Philippe au président de la région de Bretagne en 2019".
Egalement, les présidents des régions...
Rappelons que pour leur part, les treize présidents de Régions de métropole ont également appelé, dans un communiqué, les parlementaires à adopter cette loi : "Comme cela est inscrit depuis 2008 dans la lettre de la Constitution, les langues régionales font partie de notre patrimoine. Elles sont notre richesse et contribuent à la vitalité de nos territoires. Nos langues, ce sont nos vies. Elles sont le témoin de l’héritage et des transmissions intergénérationnelles. Elles parlent de nos identités assumées (...)
Chaque situation relative aux langues régionales dans nos ressorts géographiques respectifs est différente, en fonction de la demande sociale, du degré de pérennité de la langue, des enjeux transfrontaliers… et elles doivent en ce sens faire l’objet d’une attention spécifique et adaptée dans chacune de nos Régions et Collectivités.
La proposition de loi “Molac” va dans le bon sens
Toutefois, les élus de Régions de France ne peuvent être inattentifs au rôle joué par le législateur sur ce sujet. C’est ainsi que nous accueillons avec intérêt l’annonce de l’examen en deuxième lecture à l’Assemblée nationale le 8 avril prochain de la proposition de loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et leur promotion. Ce texte, voté en première lecture en février 2020, a été enrichi au Sénat par l’ensemble des groupes politiques, avec l’ajout de dispositions relatives à l’enseignement des langues, ainsi que sur la possibilité de pouvoir appliquer la réglementation existante sur le Département de Mayotte qui en est aujourd’hui injustement privé.
Notre responsabilité, en tant que présidents de Région et de Collectivité, est de pouvoir garantir et promouvoir la vitalité culturelle et patrimoniale de nos territoires. Cette proposition va dans le bon sens, afin que vivent nos langues, que l’UNESCO classe pour une grande majorité d’entre elles en grand danger d’extinction.
C’est en ce sens que la rédaction de la proposition de loi dite « Molac » tel qu’issue des travaux du Sénat va dans le bon sens, et que nous appelons de nos vœux une adoption conforme par les députés de tous les bancs afin que ce texte puisse entrer en vigueur".
Vaincre des résistances, en particulier au gouvernement
Lors du débat du 11 mars dernier, le député Marc Le Fur avait signifié au Garde des Sceaux que la France n'avait toujours pas ratifié la charte européenne des langues régionales. Admettant que chacun avait sa part de responsabilité, y compris sa famille politique, il ne le niait pas, mais le sujet était très sensible dans les mondes basque, breton, corse, flamand, etc., il notait : "l'environnement, ce n'est pas seulement les petits oiseaux, M. le Ministre, ce sont aussi les femmes et les hommes attachés à leurs tradition, à leur culture et à leur langue... Sortons de ce jacobinisme qui nous a trop pénalisés !"
Réponse du Garde des Sceaux, Dupont-Moretti : "On dit parfois que la loi ne peut pas être bavarde... M. le député Le Fur, vous savez d'où vient le mot baragouiner : bara, le pain, guiné, le vin, en breton - alors je n'ai pas le goût de l'effort inutile"...
Très choqué que pour évoquer les langues régionales, le ministre utilise le mot "baragouiner", Marc Le Fur lui répliqua vivement : "le mot baragouiner utilisé contre nos langues régionales pour les qualifier de telles est un propos déplacé et je vous invite à être très attentif qu'un certain nombre de gens vont vivre cela comme une insulte, et une insulte personnelle" - en lui demandant de s'excuser pour sortir de cette logique du mépris... Ce que Dupont-Moretti a fait en présentant publiquement ses excuses.
Reste à savoir quelle sera l'attitude du gouvernement jeudi prochain !
La langue gasconne défendue par un Basque souletin
Dans une tribune intitulée « Nosta Lenga » publiée récemment dans le quotidien palois (très lu en Soule), l'Urdiñarbetar (habitant d'Ordiarp/Urdiñarbe) Jean-Michel Bedaxagar a pris la plume pour défendre le gascon/béarnais si proche (géographiquement) de sa province basque dont le patrimoine culturel l’a toujours passionné : pastorales, mascarades, danse, musique (remarquable joueur de txülüla et de ttun-ttun) et surtout la chanson traditionnelle souletine dont il est un des meilleurs interprètes. Nous reproduisons ci-après son appel :
Nosta Lenga
Le documentaire télévisé « Nous paysans » réalisé par l’Oloronais Fabien Béziat illustre la vitalité des langues régionales dans la vie sociale. En quelques décennies à peine, ce schéma tend à se défigurer... La réalité sociolinguistique du département des Pyrénées-Atlantiques est très préoccupante. Certes, M. Bayrou, nous n’avons pas oublié votre déterminante intervention en faveur de l’euskara, notre langue, et de nos ikastola (écoles équivalentes des calandretas), du temps où vous étiez ministre de l’Education nationale. Quant à M. le député Jean Lassalle, conteur et comédien-né, vous êtes l’héritier spirituel des talentueux Alexis Arette-Lendresse, Marcelin de Lurbe, Jean-Claude Coudouy, eux-mêmes disciples des immenses Jean-Baptiste Bégarie, Ulysse Lasserre Capdeville, et Yan du Zabalot. De nos jours, pourtant, chers voisins, nombre de vos compatriotes bergers et agriculteurs ne comprennent plus la lenga. C’est égale-ment le cas de la majeure partie de la société. Mais, diu vivant, que s’est-il donc passé ? Le pouvoir et l’ambition vous ont-ils envoûtés au point d’ignorer la détresse culturelle de votre paîs ? Comment pouvez-vous vous attarder devant le miroir d’un quelconque palace parisien quand votre propre maison est sur le point de s’embraser ? Nous nous partageons le même département. D’autre part, il n’y a pas de véritable antagonisme entre Basques et Béarnais : nous som-mes tous issus du même grand peuple, qui, avant la criminelle intrusion des légions romai-nes, s’étalait pacifiquement bien au-delà des deux versants des Pyrénées, et de l’Atlantique aux marches du bassin méditerranéen. Chers voisins, qu’attendez-vous pour sensi-biliser et mobiliser vos confrères élus, les actri-ces et les acteurs de la société béarnaise ? Elaborez donc un ou des projets à votre con-venance, et exigez de la part des autorités compétentes un statut semblable (voire amélioré ?) à celui des Basques ! De quel droit pourrait-on vous le refuser ? Basques et Gascons occitans, mais aussi Alsaciens, Bretons, Catalans, Corses, Flamands, dans une démarche salutaire, faisons front à nos impitoyables détracteurs jacobins ! Mélenchon, Blanquer, Onfray, Guaino, Cohn-Bendit... hérauts de l’arrogante pensée unique francilienne. Loin de moi le désir de briser le légitime optimisme de militants sincères. Pour autant, l’heure est grave, et l’on se souviendra de Michel Serres relatant sur les ondes la disparition du parler agenais de son adolescence. Au seuil des ultimes marches de son oppidum terrestre, le grand philosophe dissimulait à peine sa part de responsabilité dans la tragédie. MM. Bayrou et Lassalle, soyez des novateurs qui métamorphoseront cité paloise et beth Bearn de tostemps : petits et grands des calandretas applaudiront, et les admirateurs de votre riche culture vous aduleront ! En dernier ressort, j’ose espérer que vous ne choisirez pas de traîner le boulet de la honte ; boulet où serait gravé en caractères indélébiles : c’est du temps des Bayrou, Lassalle, et de bien d’autres, que périclita nosta lenga.