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Cinéma La critique de Jean Louis Requena
Un parfait inconnu (141’) - Film américain de James Mangold
Un parfait inconnu (141’) - Film américain de James Mangold

| Jean-Louis Requena 1340 mots

Un parfait inconnu (141’) - Film américain de James Mangold

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"Un parfait inconnu" de James Mangold ©
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Robert Allen Zimmerman dit Bob Dylan, est né en mai 1941 à Duluth, petite ville minière dans l’Etat du Minnesota. Ses aïeux étaient des juifs d’Europe de l’Est fuyant les pogroms antisémites de la fin du XIXème et du début du XXème siècle. A l’âge de 8 ans, il s’initie au piano, puis plus tard à la guitare et à l’harmonica. Il se passionne pour la musique country, en particulier pour celle du célèbre chanteur Hank Williams (1923/1953), icône de cette forme musicale traditionnelle. Il complète sa culture musicale en écoutant les stations de radios qui diffusent du blues de Muddy Waters (1913/1983), John Lee Hooker (1917/2001), du rock and roll d’Elvis Presley (1935/1977), Little Richard (1932/2020), du jazz, etc. 
A l’âge de 18 ans, Robert Zimmerman s’inscrit à l’université du Minnesota pour y suivre des cours de musicologie. Élève peu assidu, il joue occasionnellement dans les cafés folks et dans d’éphémères groupes musicaux. C’est à cette époque qu’il prend le pseudonyme de Bob Dylan choix dont il donnera, au fil du temps, plusieurs versions. Un ami lui fait découvrir le chanteur folk Woody Guthrie (1912/1967) dont il lit l’autobiographie : Bound for Glory. En 1976, un film sera tourné à partir de cette œuvre par l’américain Hal Ashby (1929/1988), sous le titre français : En route pour la gloire.

En janvier 1961, par un froid glacial, Bob Dylan (Timothée Chalamet) muni de sa guitare, son harmonica, et une valise, arrive en stop à New York (Big Apple). Il se rend sans plus tarder à Greenwich Village, un quartier bohème, où cohabitent chanteurs, artistes en tout genre et militants politiques. Il fréquente le célèbre Café Wha ? où il joue de la musique traditionnelle revisitée (guitare et harmonica) et rencontre ainsi Pete Seeger (Edward Norton), chantre de la folk. Sans attendre, il se rend au chevet de son maître qu’il n’a jamais rencontré : Woody Guthrie (Scoot McNairy). Le chanteur gravement malade est hospitalisé depuis des mois au Greystone Hospital dans le New Jersey. A son chevet, en présence de Pete Seeger, il interprète à la guitare des chansons de Woody qu’il connait par cœur grâce aux disques, et quelques-unes de ses compositions. Impressionnés par son style personnel, singulier, Woody et Pete l’encouragent à poursuivre.

Lors d’une prestation à l’université de New York, Bob Dylan rencontre Sylvie Russo (Elle Fanning), jeune femme libérée de 17 ans (dans la réalité Susan Rotolo, mais Bob Dylan a exigé que le patronyme soit changé contrairement à tous les autres protagonistes). Rapidement ils sont en couple nonobstant le caractère difficile, imprévisible, du chanteur. En dépit de sa jeunesse, Sylvie Russo, d’une grande culture générale, est également dessinatrice, peintre, et grande lectrice d’ouvrages littéraires internationaux : de l’allemand Berthold Brecht (1898/1956), des français Arthur Rimbaud (1854/1891), François Villon (1431/1463 ?), entre autres. A son contact, Bob Dylan s’imprègne de culture livresque.

Bob Dylan est repéré par Albert Grossman (Dan Fogler) un impresario important de la musique Folk créateur du trio folk célèbre, Peter, Paul and Mary (1961/1970) et, en 1959, du festival Folk de Newport. En avril 1962, Bob Dylan compose son fameux « tube » : Blowin’in the Wind, repris dans tous les campus et popularisé par le trio Peter, Paul and Mary. C’est un succès commercial sans précédent qui lance la carrière de Bob Dylan à la fois comme compositeur et interprète. En août 1963, lors de la « Marche sur Washington » pour les droits civiques en présence de Martin Luther King (1929/1968) il chante en duo avec Joan Baez (Monica Barbaro). Une complicité amoureuse nait entre eux profitant de l’absence de Sylvie Russo partie pour 6 mois en Italie.

En févier 1964, paraît The Time They Are a-Changin, chanson emblématique qui deux ans après Blowin’in, the Wind devient le nouvel hymne de la jeunesse. Toutefois, Bob Dylan toujours à la recherche d’idées nouvelles perçoit la limite de la chanson folk « pure » à la guitare acoustique. En 1965, il engage Mike Bloomfield (1943/1981) un bluesman blanc, surnommé « le Clapton américain », un surdoué de la guitare électrique. Bob Dylan délaisse sa guitare acoustique et son harmonica…

Les fans de folk accepteront-t-ils l’intrusion de l’électronique dans ce genre musical ?

Pour rédiger le scénario d’Un parfait inconnu, le réalisateur James Mangold (61 ans) a adapté, avec l’aide de Jay Cocks, l’ouvrage d’Elijah Wald Bob Dylan électrique Newport 1965 (édité en France chez Payot-Rivages), narrant méticuleusement le parcours de Bob Dylan : de la guitare sèche à la guitare électrique Fender Stratocaster ; du festival folk de Newport de 1963 avec Joan Baez à celui de juillet 1965 avec son groupe de rock Paul Butterfield Blues Band où il interprète trois chansons dont le fameux Like a Rolling Stone issu de l’album Highway 61 Revisited paru quelques jours plus tôt. C’est la « bataille d’Hernani » de la musique populaire et de l’irruption de la contre-culture des années 1960. L’arc narratif du film ne couvre que cinq années : de 1961 à 1965, les années ou Bob Dylan va être révélé au grand public international comme un artiste incontesté et incontournable faisant jeu égal avec les Beatles (1960/1970) qu’il admirait.

Un parfait inconnu échappe au biopic hagiographique tel que celui que James Mangold avait réalisé en 2005, Walk the Line, sur la vie mouvementée du célèbre chanteur de Country Johnny Cash (Joaquin Phoenix) et de sa femme June Carter (Reese Witherspoon, Oscar de la meilleure actrice). Un biopic classique bien trop sage. Dans son dernier opus il n’en est rien. La forme est elliptique (courtes séquences « encadrants » le récit), et chronologique permettant au spectateur de comprendre les personnages dans leur époque avec justesse. En premier lieu, le portrait de Bob Dylan décrit comme peu aimable, à la personnalité pour le moins complexe. Il parle peu souvent avec arrogance ou dédain. Une sorte de puzzle dont il manquerait quelques pièces, pas toujours les mêmes, sur l’ouvrage final. Après une première nuit ensemble, au matin, il affirme, boudeur, à propos des chansons de Joan Baez : « Ça sent trop l’effort, tes paroles, c’est comme les peintures à l’huile des cabinets de dentiste ». Elle réplique sèchement : « Connard ». Bref, un dialogue plausible !

Un parfait inconnu est une de ces œuvres cinématographiques, trop rares, cohérentes artistiquement avec le sujet : La décoration du franco-américain François Audouy (né à Toulouse !), les costumes d’Arianne Phillips, la photographie de Phedon Papamichael tout cet ensemble « fondu » sur l’écran sans oublier la bande son (révolution musicale), concourent à créer une atmosphère sur cette époque insouciante, bientôt plus innocente (la crise de Cuba, les assassinats de leaders, la guerre du Vietnam, etc.). Les acteurs sont à la hauteur des ambitions du long métrage : Timothée Chalamet (Bob Dylan) nous offre sa silhouette frêle, celle de l’artiste des sexties, mais aussi une voix parlée et chantée proche de son modèle. Monica Barbaro (Joan Baez) est également remarquable tout comme Edward Norton (Pete Seeger) en gardien soucieux du temple folk (la guitare acoustique plus la voix). Les trois chantent les standards folks en son direct en s’accompagnant de leurs instruments !

La personnalité fascinante de Bob Dylan a suscité maint films documentaires ou fictionnels. Citons en quelques-uns de remarquables : trois documentaires Dont Look Back (1967) de Donn Alan Pennebaker (1925/2019), No Direction Home (2005) et Rolling Thunder Revue : A Bob Dylan Story (2019) tous deux de Martin Scorsese grand fan de l’artiste. I’m Not There (2007), une fiction compliquée par son approche de l’artiste interprété à l’écran par … sept comédiens différents dont une actrice : Cate Blanchett ! Œuvre un peu trop conceptuelle, labyrinthique, de Todd Haynes.

En octobre 2016, à la surprise générale (et stupéfaction du monde littéraire !), le prix Nobel de Littérature est attribué à Bob Dylan : « pour avoir créé de nouvelles expressions poétiques ». Toujours imprévisible, ce dernier ne viendra pas chercher son prix comme tous les autres récipiendaires depuis 1901.

Un parfait inconnu est un long métrage (2h 21’) qui se laisse voir avec plaisir, non sans nostalgie pour les « anciens » (dont nous sommes) et pour les générations suivantes : le moment clé, il y a plus de 60 ans, ou la musique populaire a accompagné la révolution des mœurs ou … l’inverse. Un bloc historique indissociable !

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