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Cinéma La critique de Jean Louis Requena
Deux Sœurs (97’) - Film britannico-espagnol de Mike Leigh
Deux Sœurs (97’) - Film britannico-espagnol de Mike Leigh

| Jean-Louis Requena 893 mots

Deux Sœurs (97’) - Film britannico-espagnol de Mike Leigh

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Les coulisses du long-métrage Deux sœurs réalisé par Mike Leigh cMétropole Films ©
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Une petite maison à étage dans la banlieue de Londres. Le matin Curtley (David Webber), un artisan plombier, part sur un chantier avec Virgil (Jonathan Livingstone), son employé. A l’étage du pavillon, dans sa chambre, sa femme, Pansy (Marianne Jean-Baptiste) dort encore. Elle se réveille brusquement et lance un cri strident comme si elle sortait d’un cauchemar. En habit de nuit, elle descend au rez-de-chaussée. L’intérieur de la demeure est immaculé, les murs de couleurs claires, les volumes agrémentés de mobilier fonctionnel (table, chaises, canapé, etc.) sans cesse briqué par Pansy. Le petit jardin attenant à la maison ne l’intéresse pas : c’est l’espace de Curtley avec au fond, sa cabane en bois, insalubre.

Son fils unique Moses (Tuwaine Barrett), âgé de vingt-deux ans est un boulimique inactif que sa mère ne cesse de houspiller. D’une stature imposante, obèse, il ne cesse d’engloutir quantité de nourritures. Lors de ses brèves incursions dans la rue, il est harcelé par des jeunes du quartier. La plupart du temps il se cloitre dans sa chambre au grand agacement de sa mère.

Pansy, la cinquantaine, est une femme noire de la petite bourgeoisie anglaise. Le moins que l’on puisse affirmer c’est qu’elle volubile, doté d’un caractère difficile, volontiers querelleuse Elle se rend odieuse en invectivant les gens qu’elle croise : la vendeuse d’un magasin de meubles incompétente selon ses dires ; la dentiste qui l’a fait trop attendre ; la caissière d’un supermarché ; l’homme sur le parking qui attend pour se garer à la place qu’elle libère, etc. Tout est prétexte pour qu’elle déverse son fiel dans un langage imagé. Pansy fait la guerre au monde entier à coup de saillies outrancières et comiques. Tout le monde en prend pour son grade ; rien n’échappe à sa ire.

Pansy a une sœur cadette, Chantelle (Michèle Austin) gérante d’un salon de coiffure. Cette dernière est à l’opposé de sa sœur : elle est calme, sereine, et tente de modérer les logorrhées de son aînée. Elle vit dans un petit appartement avec ses deux filles : Kayla (Ani Nelson) cadre dans une entreprise de cosmétique, et Aleisha (Sophia Brown) une juriste. Le trio est joyeux même si ces deux jeunes femmes noires, subissent dans leurs activités professionnelles, des allusions à caractères racistes. Elles épargnent à leur mère ces incidents.

Entre ces deux familles qui se rencontrent, de temps à autre, le contraste est saisissant : l’une est sombre, l’autre est lumineuse …

Mike Leigh (82 ans) est un dramaturge, metteur en scène de théâtre, réalisateur et scénariste de tous ses œuvres (cinéma et télévision). Pour le grand écran il n’a produit en une cinquantaine d’années, que treize longs métrages depuis son remarquable Bleak Moments en 1971 (adaptation de sa pièce). Au cours de ces décennies, il a reçu une pluie de récompenses internationales. Citons-en quelques-unes : Palme d’or au festival de Cannes pour Secrets et mensonges (1996) et Prix d’interprétation féminine pour la comédienne Brenda Blethy ; Lion d’or à la Mostra de Venise pour Vera Drake (2004) et Coupe Volpi de la meilleure actrice Imelda Staunton. D’autres comédiennes et comédiens britanniques ont obtenu des prix d’interprétation prestigieux : Sally Hawkins (Be Happy - 2008), Timothy Spall (Mr. Turner – 2014), etc. Cela ne peut être le fruit du hasard. Y aurait-il une méthode Mike Leigh ?

L’approche cinématographique de Mike Leigh est innovante. A partir d’un thème qu’il choisit, il réunit tous les comédiens et leur demande de participer à l’élaboration d’un synopsis (pré scénario) à partir de leurs propres connaissances de personnes de leur entourage (élargi). Pour ce labeur, ils utilisent leurs propres mots, définissent et proposent au réalisateur des situations et des lieux de tournage. Ce système va à l’encontre de celui de l’improvisation que, trop souvent, l’on affirme à propos de Mike Leigh. Rien n’est plus inexact ! Ce processus d’investissement et de répétions (sans l’équipe technique) pour les Deux Sœurs a nécessité 14 semaines (3 mois et demi !) de travail journalier. Ainsi, les acteurs sont imprégnés de leurs personnages et la fabrication du film peut commencer. Suite à cette méthode d’intenses activités en amont, Le tournage, en aval, est bouclé en 6 semaines avec un budget restreint (12 à 14 semaines sont habituellement nécessaire pour ce genre de long métrage).

Grâce aux procédés décrits ci-dessus, les comédiens « macérés » dans leurs personnages auxquels ils s’identifient, ne peuvent que donner une prestation qui semble authentique et non simplement jouer (acting), formule que Mike Leigh rejette avec force. Tous les personnages des Deux Sœurs « sonnent » juste. Marianne Jean-Baptiste (Pansy) ne cabotine pas malgré la « verdeur » de son personnage (elle avait déjà joué en 1996 dans Secrets et Mensonges). Sur l’écran large (format 2.39 :1) elle nous parait naturelle. Cette méthode rigoriste explicite la razzia des prix d’interprétation pour les treize longs métrages de Mike Leigh.

Deux Sœurs s’inscrit dans la tradition du Free cinéma britannique (Nouvelle vague britannique : 1956/1963) dans sa manière d’explorer les classes modestes, leurs problèmes au quotidien sans toutefois, en ce qui concerne Mike Leigh, être tenté par le cinéma social militant, un brin misérabiliste. Le réalisateur cite le russe Anton Tchekhov (1860/1904) pour sa pièce la Cerisaie (1904) dont on ne sait si elle est une comédie ou une tragédie.

Deux Sœurs n’est pas un film sur le mal de vivre d’une femme exubérante et asociale mais sur le comment vivre ensemble. Une œuvre poignante ! En somme, Le Métier de vivre de l’écrivain italien Cesare Pavese (1908/1950).

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