Alors qu’à Saint-Jean-de-Luz s’était récemment déroulée - en présence de l'ambassadeur de Pologne en France et de Mme le consul de Pologne en Euskadi, Navarre et Rioja (bureaux à Pampelune) - une cérémonie en hommage aux soldats polonais embarqués sur deux navires polonais pendant les journées tragiques du 20 au 25 juin 1940 pour rejoindre l'Angleterre et continuer le combat, c’est la commémoration d’un autre épisode de la dernière guerre qui a eu pour cadre le 9 juillet dernier le cimetière de Saint-Pierre-d’Irube où est inhumé Robert Détroyat, compagnon de la Libération mort pour la France en 1941. En présence du Chœur des marins de l’Adour, cette action mémorielle fut précédée d’une exposition à la benoîterie, et suivie d’une conférence.
Le rédacteur des lignes qui suivent, biographe de Robert Détroyat, est le lieutenant de vaisseau Eric Brothé qui avait servi il y a quelques années à Bayonne. Il est également l'auteur de plusieurs ouvrages historiques, dont un consacré à l’Ile des Faisans et au Traité des Pyrénées.
Détroyat, pour l’honneur de la France libre
Robert Détroyat naît à Tours le 8 janvier 1911, hasard d’une affectation paternelle, officier de cavalerie par atavisme familial. En plus de ses séjours réguliers en famille, dans les Landes ou en Pays Basque, il passe quatre années à Rome, période d’accession au pouvoir de Mussolini. Voulant devenir marin, le jeune Robert intègre l’École navale en 1929 (7ème/137).
En sortie de Jeanne, sur l’aviso Vimy, il sillonne la Méditerranée et la mer Rouge. Breveté fusilier, il sert sur le croiseur l'Algérie, puis sur le Primauguet, en Extrême-Orient, où il découvre les provocations japonaises sur la Chine.
De retour en France en octobre 1939, Détroyat découvre l’attentisme démobilisant de la « drôle de guerre ». Le 5 février 1940, il est nommé au commandement du Chasseur 5 à Cherbourg et d’un groupe de chasseurs de sous-marins. À la rupture du front, le groupe ravitaille le corps expéditionnaire français qui progresse le long du littoral jusqu’en Hollande.
Malheureusement, la Blitzkrieg a pris tout le monde de vitesse et l’ordre de repli à l’ouest de l’Escaut intervient le 12 mai. Le Chasseur 5 effectue alors des missions de renseignement dans les canaux, essayant de retarder les Allemands. Mais, côté terre, la capitulation de l’armée hollandaise oblige les troupes alliées à se réfugier sur la presqu’île de Walcheren.
Harcelé par l’ennemi, ce réduit tombe le soir du 17, les chasseurs évacuent l’armée de Flessingue vers Breskens, sur la rive sud de l’Escaut. L’ennemi progresse, parvient aux portes de Boulogne et Calais. Les Chasseurs 5 et 42 doivent évacuer les rescapés du torpilleur l’Orage, touché par un bombardement, ce qui vaut à Détroyat sa Croix de guerre. La poche de Dunkerque débute son évacuation le 28 mai, une flottille importante assurant les norias avec l’Angleterre sous le harcèlement d’avions et de vedettes lance-torpilles. Le 31 mai, le Chasseur 5 est gravement endommagé par un tir d’artillerie, mais Détroyat parvient à faire colmater l’avarie à Douvres et à regagner Cherbourg.
Le 17 juin, le message du maréchal Pétain annonçant la défaite jette une atmosphère de chaos, les chasseurs appareillent le lendemain dans la hâte pour Portsmouth, où l’on attend en vain des instructions. Le 3 juillet, les Britanniques s’emparent des bâtiments français à quai dans leurs ports, pour les faire passer sous leur pavillon, alors qu’une division navale britannique coule nos bâtiments à Mers-el-Kébir. Quand la majorité des marins préfère rentrer en France, d’autres suivent un général « dissident » pour continuer la lutte. Détroyat « quitte [son] chasseur. Presque tout mon équipage (23 hommes) veut rentrer en France ! Cela me dégoute » et s’engage dans la Marine française libre, contribuant le 17 juillet, à la création d’un bataillon de fusiliers marins (BFM), dont il prend la tête.
En Afrique
Le BFM va participer aux opérations de ralliement de l'Afrique occidentale française (AOF), base de reconquête de la métropole. La France libre envoie un corps expéditionnaire de 2400 hommes, l'ensemble de ses forces terrestres, sur Dakar, objectif majeur. Le 23 septembre, les tentatives de pourparlers avec le gouverneur général de l’AOF sont un échec, comme le débarquement de fusiliers à Rufisque ou l’intervention britannique.
Après cet échec, il faut consolider au plus vite le ralliement de l’Afrique équatoriale française (AEF) en gagnant le Gabon, cerné de toutes parts. Une tête de pont s’établit à partir du Congo, le 1er BFM, à Pointe-Noire le 11 octobre, assure le soutien du débarquement des troupes au nord de Libreville et dans divers secteurs du pays. Puis, l'unité organise la défense de Port-Gentil et de Brazzaville, et prend en charge l'administration générale du secteur, la levée et l'instruction de troupes africaines, rôle d'intendance et d'administration dévolu à Détroyat, commandant de la marine à Pointe-Noire et commandant d’armes.
Alors qu’un détachement du BFM participe à la libération du Gabon et qu’il assure, à partir du 10 décembre, la défense de la côte et des principaux ports de l’AEF jusqu’en janvier 1941. Le BFM rejoint alors Qastina (Palestine), où se regroupent les forces terrestres françaises en provenance de l’AEF, l’Érythrée ou la Lybie (5400 hommes) constituant la 1ère division légère française libre (1ère DLFL).
Prochain objectif, la Syrie, fidèle à Vichy, que la 1ère DLFL envahit le 8 juin 1941, aux côtés des troupes britanniques, le mot d’ordre étant « d’obtenir le ralliement des troupes fidèles à Vichy » et « de ne tirer qu’en riposte ». En face, on affirme que « Cette attaque est menée, comme à Dakar, par des Français placés sous le drapeau de la dissidence. Soutenus par les forces impériales britanniques, ils n’hésitent pas à verser le sang de leurs frères qui défendent l’unité de l’Empire et de la souveraineté française ». La progression se fait par bonds successifs, souvent interrompus par des tirs de barrage et des bombardements meurtriers. Le 20, les marins s’emparent de Mezzé, faubourg de Damas, et affrontent un bataillon légaliste, dans le désordre et la confusion, avec des méprises liées aux ordres donnés en Français des deux bords.
Dans les jardins de Mezzé, vers 3h30, Détroyat et son ordonnance sont réveillés par des tirs et décident de rejoindre le groupe des Moutis à côté du PC. On progresse à tâtons, lorsqu’un bruit de branchages piétinés survient. Détroyat interpelle ce vis-à-vis, en le sommant de se présenter. Il s’agit en fait d’un groupe de quinze légalistes, emmené par un capitaine. Les deux officiers se saluent et se présentent. Détroyat veut conserver l’avantage de l’effet de surprise, aussi, il s’avance vers le chef du groupe en lui tendant une main franche : « Nous sommes Français libres, et luttons contre l’Allemagne, venez avec nous, c’est notre intérêt et votre devoir ».
Pensant être pris par une patrouille importante, le groupe n’oppose pas de résistance, l’un des matelots passe devant pour indiquer le chemin du PC, le capitaine suit. Resté en arrière, Détroyat, « lui laisse son arme, pour ne pas l’humilier et comptant sur sa parole ».
Les hommes n’ont pas parcouru plus de 30 mètres, que des tirs sortent du néant. Le chef du 1er BFM s’écroule, « entraînant dans sa chute, le marin qui l’accompagne et qu’il éclabousse de son sang ». La dépouille de Robert Détroyat, « Mort pour la France », sera inhumée solennellement à Saint-Pierre d'Irube le 18 août 1950.
Deux bâtiments de la marine nationale porteront son nom, la corvette Commandant Détroyat (1941-1947), puis, l’aviso Détroyat (1977-1997).
Lieutenant de vaisseau Eric Brothé