Chaque année, quand les cloches de Pâques se signalent en vols d'approche et que leur son allègre retentit depuis les tours et les campaniles des églises, elles donnent le coup d’envoi de la chasse aux œufs, nature ou en chocolat, sans oublier, au Pays Basque, l’omelette au piment de notre enfance que perpétuent encore quelques villages et certains quartiers comme à Anglet ou à Biarritz. Car, l'œuf reste le plus vieux et le plus universel symbole de vie et de renaissance. Il incarne le renouveau de la vie après l'hiver et, pour la symbolique chrétienne, c’est le signe de la Résurrection du Sauveur que Marie-Madeleine vint annoncer, selon une ancienne tradition, à l’empereur romain.
Au Pays Basque, cette fête primordiale correspond également à celle de l’Aberri-Eguna, mot signifiant en euskara « journée de la patrie » qui, cette année encore, sera fêtée en plusieurs endroits :
- les partis "abertzale" (patriotes) du Pays Basque Nord commémoreront ce dimanche à Itxassou le 60ème anniversaire du premier Aberri eguna qui avait adopté, devant un milliers de participants, la charte proclamant le droit à la souveraineté du peuple basque : c'était le 15 avril 1963, au sortir de la messe pascale à l'église Saint-Fructueux, sur l'initiative du journal "Enbata" fondé deux ans auparavant. Le matin même, avant la messe, avait eu lieu une réunion de préparation à la Salle Paroissiale présidée par Michel Eppherre, maire d'Arberats et gendre du sénateur Jean Errecart, et en présence de Jean Etcheverry-Ainciart (conseiller général de St-Etienne-de-Baigorry, ancien député), Ximun Haran (Parti Nationaliste Basque), Jakes Abeberry (Enbata), Jean-Louis Davant, Paul Dutournier (maire de Sare et futur président des maires du Labourd).
Une stèle sera érigée à cet endroit une dizaine d'années plus tard.
Les samedi 8 et dimanche 9 avril prochains, une édition inédite est organisée à Itxassou sur deux jours au lieu d’un, avec une exposition d'affiches à la salle Sanoki, des conférences l'après-midi du samedi suivies d'un dîner animé par Nat et Watson, qui parcourront par la chanson les soixante années du mouvement. Le dimanche, un cortège partira de la place d’Itxassou vers la stèle face à l'église, puis un repas animé par la txaranga Kuxkuxtu et des concerts le soir sous chapiteau.
- Quant au Parti Nationaliste Basque, à l'origine de la création de la fête nationale basque, il la célébrera ce dimanche 9 avril à partir de 11h30 sur la Plaza Barria (plaza Nueva) de Bilbao. Cette fête aura été présentée le jeudi à Sabin Etxea, et la veille samedi 8 avril à 11h45 aura lieu la montée au mont Bizkargi afin d'y rendre hommage aux gudaris (combattants basques de la guerre d'Espagne en 1936).
La première édition de l'Aberri eguna célébrée le 27 mars 1932 - un dimanche de Pâques -, avait vu converger vers Bilbao entre 60.000 et 80.000 Basques.
D'aucuns diraient que le nationalisme basque était en marche…
En fait, le mécontentement des Basques prenait sa source dans l’abrogation par Madrid des fueros ou libertés séculaires des Basques. Les législateurs espagnols avaient en quelque sorte calqué des "provinces" sur l’exemple des départements institués dans la république française voisine. Ce fut l’origine des guerres carlistes qui ruinèrent le Pays Basque d'Espagne et provoquèrent l'émergence au XXème siècle du nationalisme basque dont la figure centrale fur Sabino Arana Goiri, resté jusqu’à maintenant l’icône du parti nationaliste basque dans les provinces du Sud. Mais déjà 60 ans auparavant, on peut parler d’un précurseur en la personne de notre écrivain et homme politique souletin Chaho (qui donna son nom à un quai de Bayonne !)
Pour en revenir à Sabino Arana, il était né en 1865 en Biscaye mais était lié à notre région : il avait passé deux années scolaires à l’Institution Saint-Louis de Gonzague, rue d’Espagne à Bayonne, ainsi qu'à Guéthary où une maison garde le souvenir du fondateur du parti nationaliste basque et créateur du drapeau basque ou Ikurriña.
Sabino Arana était partisan de l'union des Basques en une confédération d'Etats, indépendants entre eux, et indépendants de la Castille. Cette confédération devait comprendre les sept Territoires basques.
Le 14 juillet 1894, il crée avec des amis "Euskaldun Batzokia" et hisse au balcon de l'immeuble qui abrite la société, en plein Bilbao, le drapeau basque.
Arrêté par la police, la société sera dissoute puis recréée sous forme d'un "parti nationaliste basque" (PNB ou PNV). Epuisé par de fréquents séjours dans les prisons espagnoles, il meurt à 38 ans.
Les racines chrétiennes du Parti Nationaliste Basque
C'est le dimanche de Pâques, malgré qu'il se fût agi d'une fête religieuse, et de surcroît mobile, que l'on situa l’Aberri-Eguna, car le Parti nationaliste basque avait des racines chrétiennes : il sera même l’un des fondateurs de la fédération européenne démocrate-chrétienne.
Quand le roi d'Espagne Alphonse XIII céda la place à la république en 1931, les Basques proposèrent un statut d'autonomie approuvé par chacune des provinces basques sauf la Navarre où il y eut des manipulations électorales. Mais Madrid marqua sa défiance en traînant des pieds devant ces Basques qui voulaient le rétablissement des anciens Fors, ce qui équivalait presque à une indépendance de fait, ainsi que la signature d’un concordat établissant des relations directes avec le Vatican !
Or la politique de la république était très hostile à l’Eglise et aboutira, à l’arrivée au gouvernement du Front populaire en 1936, à des persécutions sanglantes contre les chrétiens.
D’ailleurs un ministre républicain du PNV, Manuel de Irujo témoignera en 1937 :
"en dehors du pays basque, la situation de fait de l'église est la suivante : tous les autels , images et lieux de culte ont été détruits sauf de rares exceptions...toutes les églises ont été fermées au culte...des édifices et des biens ecclésiastiques ont été incendiés, pillés et détruits, des prêtres et des religieuses ont été arrêtés, emprisonnés et fusillés par milliers...on est allé jusqu'à interdire la détention privée d'images et d'objets de culte...la police effectue des perquisitions avec violence..."
En réaction à cette politique anti-chrétienne, la convocation du PNV à l’Aberri eguna de mars 1932 (notre photo de couverture) était rédigée ainsi :
« le jour de la Résurrection du Seigneur. Jour de la Patrie Basque. Un seul jour pour fusionner deux souvenirs chéris », en faisant bien le parallèle entre « le sacrifice de Jésus qui trace le chemin de la Croix, et celui de Sabino contemplant Dieu et sa patrie pour tracer le chemin vers Dieu et l’Ancienne Loi - Jaun-Goikua eta Lagi-Zarra ».
Finalement, la destitution, le 10 juillet 1936, du président constitutionnel de la république, le modéré Alcala Zamora, et l'assassinat, le 13 juillet, par les factions révolutionnaires, du chef de la droite parlementaire, le député Calvo Sotelo, aboutirent au soulèvement de Franco et au début de la guerre d'Espagne.
Et en catastrophe, les Cortes votèrent le statut d'autonomie des provinces basques le 7 octobre 1936.
Curieusement, en Argentine, le mouvement nationaliste basque, présent dès le début du XXe siècle, organisa dès 1935 le premier Aberri eguna.
Evidemment, l’État espagnol interdit la célébration de l’Aberri Eguna après la Guerre Civile, mais le Gouvernement Basque en exil continua de la célébrer jusqu’à son retour au Pays Basque après la disparition de Franco.
En France, comme nous l'avons relaté plus haut, les premiers Aberri Eguna eurent lieu à partir de 1963 à Itxassou où se trouve la fameuse stèle de la charte ou “Itsasuko Agiria”. Je crois même qu’on y avait présenté un disque des chansons de Mixel Labèguerie, notamment “Gu gira Euskadiko gazteria” (Nous sommes la jeunesse du Pays Basque).