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Philosophie
Parole aux braises, par Éric Trélut
Parole aux braises, par Éric Trélut

| Éric Trélut 1664 mots

Parole aux braises, par Éric Trélut

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Salle des fêtes, mairie du XVIème arrt : candidats à la coupe d’éloquence de la DRAC ©
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« Ce n’est pas la vie qui est difficile, c’est l’amour ». 
Antoine de Saint-Exupéry

En 1914, le Père Doncœur (1) signifiait au Président du conseil Édouard Herriot le refus du clergé de se soumettre à la loi de la république anticléricale, fondant sa légitimité de son refus sur l’honneur : 
« Pour l’honneur de la France … entendez-vous ce mot comme je l’entends ? - […] nous ne partirons pas ! (2) »

Nous sommes en 2025, à Paris dans le paisible cadre du Foyer Jean-Bosco de la rue de Varize. Vingt-six jeunes, garçons et filles, viennent d’arriver comme candidats à la coupe d’éloquence de la DRAC sous la figure tutélaire du Père Doncœur. 

DRAC ou ligue de défense des Droits du Religieux Ancien Combattant et, depuis 1981, Défense et Renouveau de l’Action Civique. Cette association fut créée le 2 août 1924 (3), dix ans jour pour jour après le déclenchement de la Première Guerre mondiale, par Dom Moreau, moine bénédictin de l’abbaye de Ligugé, ancien aumônier militaire grièvement blessé et gazé dans les tranchées durant la première guerre mondiale. Il est rejoint dans les semaines qui suivent par de nombreux religieux (4) et civils dont Jacques Péricard qui prendra la tête de la ligue DRAC. L’association a pour but d’obtenir « la reconnaissance des libertés individuelles des religieux anciens combattants et de leurs droits civiques rendus plus incontestables que jamais par leur loyalisme au service du pays » comme le précise la présentation disponible sur le site internet de l’association. Elle veut en ces temps de détresse :

« Remettre à l’honneur, au sein d’une jeunesse aujourd’hui désorientée, les fondements spirituels, moraux et civiques de la civilisation chrétienne : honneur et fidélité, souci de la vérité et de la justice, respect de la dignité de la personne et des lois naturelles, courage et dépassement de soi, humilité et générosité. C’est le sens de la dénomination seconde de DRAC : Défense et Renouveau de l'Action Civique ». 

La coupe d’éloquence de la DRAC est un Paraclet. Au fracas des écrans s’oppose la parole de ces jeunes. Cette année, elle fut l’expression d’un travail d’attention extrême au silence. Le concours se déroule en deux étapes. Samedi, lors de la demi-finale, les vingt-six candidats, tous lycéens et présélectionnés pour la plupart d’établissements catholiques comme Stanislas à Paris, Saint-Dominique au Pecq, et d’autres lycées en province, prononcent leurs discours (de 12 à 15 minutes). Ceux qui auront convaincu le jury sont appelés dimanche, dans la salle des fêtes de la mairie du XVIème arrondissement, à réitérer l’exercice devant un nouveau jury, avant d’enchaîner sur une phase d’improvisation de 5 minutes. Cette année (week-end des 15 et 16 mars 2025) le sujet était : 

« Dans notre monde rempli de bruits et d’écrans, le silence a-t-il encore sa place et quelque chose à apporter à l’homme ? » 

La voix de ces jeunes fut consolatrice. Elle nous a conduit là où nous sommes purs, nous permettant de retrouver les “braises de la vie” au cœur des mots. Ici, durant ces deux journées, des vocations ont été délivrées (5). En effet, ce qui fait l'unicité profonde de ce concours d'éloquence centenaire, c’est qu'il ne se limite pas à la seule parole : les candidats s'engagent dans plusieurs activités obligatoires, comme ce geste puissant qu’est le ravivage de la flamme sur le tombeau du Soldat inconnu, sous l’Arc de Triomphe, ou encore leur participation à la messe dominicale en forme extraordinaire, célébrée dans la chapelle du Foyer Jean-Bosco.

Et puis, il y a ces rencontres poussant vers une vie forte, plus intense et plus belle, « qui entraîne des souffrances et des joies, mais qui seule compte (6) ». 

Qu’il est beau, qu’il est grand, ce temps vécu où la substance de l’homme est cultivée. Pourrait-on vivre sans âme ? La DRAC, c’est Mozart sauvé (7) !

Notes

(1) Prêtre Jésuite (1880-1961), il fut l’un des pionniers du scoutisme et organisateur de sa branche aînée, la « Route ».

(2) « Eh bien ! Non nous ne partirons pas. Pas un homme, pas un vieillard, pas un novice, pas une femme ne repassera la frontière, cela jamais ! J’ai vécu douze ans en exil, de 22 à 34 ans, toute ma vie d’homme. Je vous le pardonne. Mais le 2 août 1914, à 4 heures du matin, j’étais à genoux chez mon supérieur. C’est demain la guerre, ai-je dit, ma place est au feu. Et mon supérieur m’a béni et m’a embrassé. Par des trains insensés, sans ordre de mobilisation (j’étais réformé), sans livret militaire, j’ai couru au canon, jusqu’à Verdun. Le 20 août, à l’aube, avant la reprise du combat, à la recherche des blessés du 115ème, j’avançais au-delà des petits postes, quand tout à coup, je fus enveloppé par le craquement de vingt fusils, et je vis mon camarade étendu de son long, contre moi, sur la route, la tête broyée. J’ai senti à ce moment que mon cœur protégeait tout mon pays. Jamais je n’avais respiré l’air de France avec cette fierté, ni posé mon pied sur sa terre avec cette assurance. […] Vous voulez rire M. HERRIOT ! Mais on ne rit pas de ces choses. Jamais, pendant cinquante mois, vous n’êtes venu me trouver, ni à Tracy-le-Val, ni à Grouy, ni à Souain, ni au fort de Vaux, ni à Brimont, ni à la Côte 304, ni à Tahure. Je ne vous ai vu nulle part me parler, et vous osez me faire sortir aujourd’hui ? Vous n’y pensez pas ! Ni moi, entendez-vous, ni aucun autre (car tous ceux qui étaient en âge de se battre se sont battus), ni aucune femme, nous ne reprendrons la route de Belgique. Cela jamais ! Vous ferez ce que vous voudrez, vous prendrez nos maisons, vous nous ouvrirez vos prisons – il s’y trouve en effet des places laissées libres par qui vous savez – soit ! Mais partir comme nous l’avons fait en 1902 ? Jamais ! […] Et je vais vous dire maintenant pourquoi nous ne partirons pas. Ce n’est pas de courir au diable qui nous effraie. Nous ne tenons à rien, ni à un toit, ni à un champ. Jésus-Christ nous attend partout et nous suffira toujours au bout du monde. Mais nous ne partirons plus parce que nous ne voulons plus qu’un Belge, ou qu’un Anglais, ou qu’un Américain, ou qu’un Chinois, ou qu’un Allemand, nous rencontrant un jour loin du pays, nous pose certaines questions auxquelles nous répondrions, comme jadis, en baissant la tête : « La France nous a chassés ». Pour l’honneur de la France – entendez-vous ce mot comme je l’entends ? – pour l’honneur de la France, jamais nous ne dirons plus cela à un étranger. Donc nous resterons tous. Nous le jurons sur la tombe de nos morts ! Prêtre, oui, convaincu, totalement, mais aussi homme, vraiment homme ! Comme on dirait maintenant : il en avait ! »

(3) France Catholique, est également fondée en 1924 par le général de Castelnau.

(4) Ils furent plus de 9 300 religieux à revenir d’exil pour revêtir l’uniforme bleu horizon. 1 571 y laisse­ront la vie.

(5) Antoine de Saint-Exupéry, Terre des hommes. « Les vocations sans doute jouent un rôle. Les uns s’enferment dans leurs boutiques. D’autres font leur chemin, impérieusement, dans une direction nécessaire : nous retrouvons en germe dans l’histoire de leur enfance les élans qui expliqueront leur destinée. Mais l’Histoire, lue après coup, fait illusion. Ces élans-là nous les retrouverions chez presque tous. Nous avons tous connu des boutiquiers qui, au cours de quelque nuit de naufrage ou d’incendie, se sont révélés plus grands qu’eux-mêmes. Ils ne se méprennent point sur la qualité de leur plénitude : cet incendie restera la nuit de leur vie. Mais, faute d’occasions nouvelles, faute de terrain favorable, faute de religion exigeante, ils se sont rendormis sans avoir cru en leur propre grandeur. Certes les vocations aident l’homme à se délivrer : mais il est également nécessaire de délivrer les vocations ».

(6) Antoine de Saint-Exupéry, Vol de nuit.

(7) Par opposition à “Mozart assassiné” dont parle Saint-Exupéry dans Terre des hommes : « Je m’assis en face d’un couple. Entre l’homme et la femme, l’enfant, tant bien que mal, avait fait son creux, et il dormait. Mais il se retourna dans le sommeil, et son visage m’apparut sous la veilleuse. Ah ! quel adorable visage ! Il était né de ce couple-là une sorte de fruit doré. Il était né de ces lourdes hardes cette réussite de charme et de grâce. Je me penchai sur ce front lisse, sur cette douce moue des lèvres, et je me dis : voici un visage de musicien, voici Mozart enfant, voici une belle promesse de la vie. Les petits princes des légendes n’étaient point différents de lui : protégé, entouré, cultivé, que ne saurait-il devenir ! Quand il naît par mutation dans les jardins une rose nouvelle, voilà tous les jardiniers qui s’émeuvent. On isole la rose, on cultive la rose, on la favorise. Mais il n’est point de jardinier pour les hommes. Mozart enfant sera marqué comme les autres par la machine à emboutir. Mozart fera ses plus hautes joies de musique pourrie, dans la puanteur des cafés-concerts. Mozart est condamné. Et je regagnai mon wagon. Je me disais : ces gens ne souffrent guère de leur sort. Et ce n’est point la charité ici qui me tourmente. Il ne s’agit point de s’attendrir sur une plaie éternellement rouverte. Ceux qui la portent ne la sentent pas. C’est quelque chose comme l’espèce humaine et non l’individu qui est blessé ici, qui est lésé. Je ne crois guère à la pitié. Ce qui me tourmente, c’est le point de vue du jardinier. Ce qui me tourmente, ce n’est point cette misère, dans laquelle, après tout, on s’installe aussi bien que dans la paresse. Des générations d’Orientaux vivent dans la crasse et s’y plaisent. Ce qui me tourmente, les soupes populaires ne le guérissent point. Ce qui me tourmente, ce ne sont ni ces creux, ni ces bosses, ni cette laideur. C’est un peu, dans chacun de ces hommes, Mozart assassiné. Seul l’Esprit, s’il souffle sur la glaise, peut créer l’Homme ».

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Candidats au concours d'éloquence sous la figure tutélaire du Père Doncœur ©
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