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Philosophie
Le monde est une théophanie, par Éric Trélut
Le monde est une théophanie, par Éric Trélut

| Eric Trélut 4039 mots

Le monde est une théophanie, par Éric Trélut

« Début Dimanche ! 

Et l'attente ne se distingue plus du matin 

Où celui que j'aime revient,    
Peut-être (1) ».

1. Une jeune femme dansait sur les quais

C’est une jeune femme dansant sur les quais d’une gare qui me l’a appris. Il a suffi d’une seule personne attendant sur les quais son train pour que la gare acquière une forme de grâce ou de privilège, puisqu’elle était une espérance, une fleur improbable éclose dans le béton et le bruit. Une rose rouge en hiver. 

Je ne vous dirai pas son nom. 

La gare où elle attendait son train, semblait être atteinte par une légère couche d’or. Dans cet univers de trains bruissant, ses espadrilles jaunes évoluaient lentement, comme portés par une musique qu’elle seule entendait. Elle dessinait des gestes doux, précis, telle une prière en mouvement. Son corps disait la patience du monde, la dignité du temps retrouvé. Sous ses pieds, l’asphalte dur devenait sol sacré, scène improbable d’une liturgie ordinaire, célébration des existences anonymes qui se croisent sans jamais se toucher véritablement. Je sentis alors que cette danse était bien plus qu’un simple geste artistique : elle était une invitation à s’offrir à la vie avec une intensité nouvelle, à retrouver, dans la banalité de l’attente, une forme de sagesse oubliée. Voici la gare transfigurée par un « coup de foudre » ; amoureux, je me vois arraché à ma finitude.

Quand son train arriva, elle s’immobilisa doucement, arrangea ses boucles dorés balayées par le vent, puis monta à bord sans précipitation. Le quai redevint ordinaire, mais j’emportais avec moi une étincelle secrète de cette beauté fugitive. Ce jour-là, j’ai compris que l’attente pouvait être le lieu privilégié d’une grâce inattendue, une clairière lumineuse ouverte dans l’opacité du quotidien. J’ai compris que l’attente était l’auréole de la beauté, « l'espace sacré où elle demeure intangible (2) ». 

« Tout ce que la grâce a mouillé, tout ce que la rosée du ciel
A pénétré, tout ce que la froideur du sol condense,
Tout cela du corps de la créature qui s’ouvre Se dégage avec un parfum Dieu quelle odeur !
Déjà à l’exhalation nocturne des jasmins, au profond soupir des géraniums,
(Chaque fois que le cœur a battu dix fois),
Se mêlent les roses rouges et blanches, en un seul bouquet confusément une fois encore composé,
Dont je distingue les deux accents comme les parties dans le chœur, et chaque voix si pure !
O la plus intime essence de la créature, ô présence délicieuse une seconde et possession à son insu de l’esprit qui d’elle-même s’exhale !" (3) »

2. Tout est étoffe d'esprit

La vérité est une mer voilée d'écume, un chant derrière un mur.

Charles de Koninck affirme plusieurs fois dans son œuvre que « Tout est étoffe d’esprit (4) ».
Mais il faut tout de suite préciser qu’il ne s’agit pas ici d’un panpsychisme. Cette affirmation peut être rapprochée d’intuitions formulées dans l’Antiquité grecque, telles que celle-ci : « Tout est plein de dieux (5) ».
Mais De Koninck veut dire autre chose en fait. Avant toute précision, on peut comprendre sa thèse comme voulant dire : tout l’univers est ordonné à l’intelligence humaine.

Il écrit en 1937 :

« Toute réalité est essentiellement étoffe d’esprit. En d’autres termes, tout être en tant qu’être est intelligible, c’est-à-dire transcendantalement accessible à l’intelligence, et le réel est tel pour toute intelligence. Cette vérité est assez étonnante. Nous sommes des intelligences, mais on dirait que nous n’avons d’intelligence que pour constater combien les choses sont obscures et impénétrables. Nous sommes tellement ignorants qu’il nous est impossible de savoir combien nous le sommes. D’ailleurs, si nous savions exactement quelle est la profondeur de notre ignorance, nous serions vraiment omniscients. En d’autres termes, Dieu seul peut savoir combien nous sommes ignorants, parce que lui seul sait tout. Comme disait Socrate : « Un homme ne sait que dans la mesure où il sait qu’il ne sait pas. » Mais savoir qu’on ne sait rien, c’est une façon de tout savoir. Lorsque je dis que je ne sais rien, je dis que j’ignore tout, mais comment pourrais-je savoir que j’ignore tout si je ne connaissais pas, d’une certaine façon, toute chose ? Je sais qu’au-delà de tout ce que je ne connais pas, il n’y a rien à connaître. Il y a donc une façon de ne rien savoir du tout, tout en sachant tout. Il serait même impossible de ne rien savoir sans tout savoir. C’est justement le privilège d’une intelligence de pouvoir dire « rien », c’est-à-dire « néant », c’est-à-dire « impossible ». Nous savons que le néant s’oppose à l’être, c’est-à-dire à tout être, ce que je ne pourrais pas dire si tout être n’était pas accessible à l’intelligence. Et c’est cela qui me permet de dire que l’être est intelligible, que l’être et l’intelligible sont coextensifs, et s’identifient absolument en toute chose, et que tout réel est étoffe d’esprit (6) ».

Il s’agit d’abord ici d’une méditation sur le transcendantal vrai (7) qui n’est autre que l’intelligibilité de tout être : tout ce qui est, est intelligible. 

Quel fil secret unit l’attente d’un train et la clarté de l’être ? Quelle correspondance invisible tisse l’attente silencieuse de cette jeune femme dansant sur le quai et le vrai ? Sa danse signifie. Mais que signifie-t-elle ? Elle a mis mon être d'homme en contact avec ce qui transcende le visible, ce qui dépasse tout sensible. En d’autres termes, elle éveille en moi la nostalgie d’absolu qui a inspiré à Baudelaire ces lignes impérissables (8) dans son article sur Théophile Gautier :

« C'est cet admirable, cet immortel instinct du Beau qui nous fait considérer la Terre et ses spectacles comme un aperçu, comme une correspondance du Ciel ».

Nous aimons la beauté parce que, présente visiblement, elle nous fait accéder, comme en un éclair, à l'invisible. Mais il y a bien plus. La beauté est l’éclat de la vérité. Hans Urs von Balthasar (9) écrit :

« Elle est le fond suprême et mystérieux de l'être qui transparaît à travers toutes les apparitions. D'une manière plus précise, elle est tout d'abord la manifestation immédiate de cet excédent irréductible qu'on découvre en tout ce qui est révélé, de cet éternel surcroît qui habite l'être de tout existant. Ce qui éveille la joie esthétique, ce n'est pas seulement la correspondance entre l'essence et l'apparition, mais la certitude absolument incompréhensible que l'essence apparaît réellement dans l'apparition (qui pourtant n'est pas l'essence), et qu'elle y apparaît comme un être qui est éternellement plus que lui-même, donc qui n'est pas susceptible d'une apparition définitive. Mais c'est précisément cette absence d'apparition qui apparaît. C'est le comparatif éternel qui s'exprime dans le positif ».

3. Les deux tables d'Eddington

Dans La nature du monde physique (1927), le physicien Sir Arthur Eddington formule une sorte d’aporie sur l’intelligence que nous avons du réel. Il prend l’exemple de la table sur laquelle il écrit. Deux approches tout à fait différentes sont possibles sur cette table : d’abord, je fais l’expérience de quelque chose qui me résiste, qui me sert de support, ma connaissance de la table est alors celle de l’expérience spontanée de la réalité sensible ; mais, si j’envisage le même objet comme physicien des particules, je sais que j’ai affaire avec une réalité discontinue, parsemée de vide, traversée d’électron… Deux tables se présentent donc à moi, et non une. Mais quelle est la vraie ? Aucune, pour Eddington, puisque l’une et l’autre sont en fait chacune issue d’une inférence que je fais plus ou moins consciemment.

L’expérience commune dépend essentiellement des sensibles propres (10) (couleurs, sons, dureté…).

Ce sont là des qualités élémentaires, pour nous. La définition que l’on donne usuellement aux choses à partir de l’expérience commune ne se fonde donc que par ce qui nous est le plus connu (le sensible), car, d’un point de vue pratique, cela suffit en général. Pour autant, ce qui nous est le plus connu est rarement ce qui est le plus connaissable en soi. Au contraire, ce qui est le plus intelligible en soi est généralement le dernier connu pour nous. C’est d’ailleurs pourquoi Dieu est à la fois le plus intelligible et le moins connu. La connaissance qui résulte des sens peut donc facilement nous tromper lorsqu’il s’agit de connaître les choses.

Prenons l’exemple de la lourdeur d’un objet : on sent une résistance dans nos muscles, on observe que le plus lourd est ce qui tombe le plus vite… ; or, par la raison, nous avons découvert que ce qui est le plus lourd n’est pas nécessairement ce qui tombe le plus vite, puisque cela dépend de la résistance de l’air. En fait, nos jugements spontanés sur l’expérience ordinaire, quand ils entendent désigner des essences, résultent déjà d’inférences et non d’évidences proprement dites. Ces inférences ne sont pas travaillées comme des inférences scientifiques, et, à la limite, celles-ci ont plus de pertinence pour savoir ce qu’est l’objet considéré (la table, par exemple), même si la connaissance scientifique est marquée par une imperfection qui est celle de l’abstraction qui l’accompagne : la science nous donne le « squelette » du réel (sa structure, donc), auquel l’expérience commune donne chair. La “vraie table” pourrait donc être la conjonction de ce que nous en dit la science contemporaine et de l’expérience ordinaire.

4. Où l'amour trace une troisième voie

De toute manière, la connaissance première ne peut suffire car elle est toujours la plus confuse. Nous n’avons d’évidence que par les sensibles propres et communs, à partir de quoi nous inférons : « ceci est une table » ; or « table » est ici un sensible par accident. En effet, dire : « ceci est une table » n’est pas, en soi, plus assuré que de dire « untel est arrivé » quand j’entends frapper à ma porte. Je n’ai finalement que la certitude de l’existence d’une chose, sans savoir ce qu’elle est.

Finalement, pour connaître la table réelle, il faudrait peut-être sortir de la pensée, comme le fait l’art. C’est ce que propose Graham Harman (11) affrontant l’aporie d’Eddington, dans un texte intitulé « La troisième table » : la vraie table n’est ni la table familière, ni celle du scientifique ; elle ne doit pas être cherchée par l’intelligence seule, mais par notre puissance d’aimer. Harman propose donc une troisième voie « artistique » pour connaître la vérité :

« L’activité artistique ne consiste évidemment pas à décomposer les baleines blanches, les radeaux, les pommes, les châteaux, les guitares, les moulins… pour les réduire à leurs soubassements atomiques. Il va de soi que les artistes n’ont à offrir aucune théorie de la réalité physique. La deuxième table d’Eddington est bien le cadet de leurs soucis. Mais ce n’est pas non plus la première table qui les intéresse comme si la tâche de l’art se ramenait à reproduire les objets de la vie quotidienne ou à produire sur nous certains effets. Au contraire, les artistes essaient d’envisager les objets à un niveau plus profond, au-delà des propriétés qui les rendent manifestes, ou bien ils font allusion à des choses qui ne peuvent exactement être rendues présentes. (…) Et si le contre-projet des quatre siècles à venir était de faire de la philosophie un art ? En lieu et place de la philosophie comme « science rigoureuse » (Husserl), nous aurions la philosophie comme art vigoureux. En se transformant d'une science en un art, la philosophie retrouve son caractère originel en tant qu'Éros. À bien des égards, ce modèle érotique constitue l'aspiration fondamentale de la philosophie orientée objet : la seule manière, dans le climat philosophique actuel, de rendre justice à l'amour de la sagesse qui ne prétend nullement être une sagesse effective (12) ».

C’est une jeune femme dansant sur les quais d’une gare qui me l’a appris. Ce jour-là, j’ai compris que l’idée même de sagesse dépassait la pure raison : l’attente, ce lieu privilégié d'une grâce inattendue, est aussi celui de l’amour qui entre quand l’intelligence s’arrête à la porte. « Amour est une prophétie (13) ! » s’exclamait Jankélévitch. « Quand l’intelligence à bout d’efforts reste dehors, l’amour dit : “Moi, j’entrerai !” » chantait Jean Ruysbroeck (14). 
Aimer, ce n’est pas seulement désirer ce que l’on n’a pas,
c’est aussi – et surtout – désirer ce que l’on a.
Si près… si loin !
Nous ne pouvons désirer quelqu’un sans ce désir de quelque chose de plus (15)
ce même désir qui, auprès de l’être aimé,
« ôte la sensation d’aimer (16) ».

« Car ce vide qui est entre les personnes fait toute l’innocence d’un cadeau offert,
purissima et sincerissima datione (17) ».

Pourtant, le vrai philosophe n’est pas un flâneur ; il est un pèlerin du réel. L’intelligence ne s’appartient pas à elle-même : elle est ordonnée à ce qui est. Aussi, l’Éros philosophique est un amour ordonné du vrai, un désir de vérité qui tend vers la contemplation.

5. Dieu se fait voir au cœur

«  Je me tiens sur la rive de l'être, et j'attends l'aube  ».

Charles de Koninck ne renonce nullement à l’idée selon laquelle tout être est accessible à notre pensée. Celle-ci constitue des totalités. Or les êtres acquièrent leur perfection par leur coordination qui les fait participer à une même totalité ; or, une telle totalité n’existe en acte que par une âme capable de la penser comme telle, et c’est d’ailleurs ainsi qu’on peut comprendre que l’âme soit tous les êtres, selon la formule d’Aristote, car elle est une puissance de totalisation, donc de perfection de l’univers – interprétation confortée par Saint Thomas d’Aquin (De Veritate, q.2, a.2). En tant qu’être naturel connaissant, et si imbécile – comme le dit Saint Thomas encore – que soit son intelligence, l’homme est alors la clé de voûte de l’univers : il unifie le cosmos par la pensée.

« Tout est étoffe d’esprit. » Autrement dit, tout est issu de l’Intelligence divine (exitus), mais, par l’intelligence humaine en tant qu’elle est interne à l’univers et qu’elle connaît cet univers, tout retourne à cette Intelligence (reditus). L’être est fait pour être dit par l’homme, donc rendu à la première Parole, celle de Dieu. L’homme est donc manifestement la raison d’être de tout l’univers.

L’univers n’est pas organisé autour du plus grand, mais du plus noble. Ainsi, même si l’homme est une "flammèche", il demeure le sommet de la création visible, car il est capable de goûter Dieu. Béatrice n’enseigne-t-elle pas à Dante que le véritable centre n’est pas dans les astres lumineux, mais dans l’amour divin, invisible aux yeux du monde ? Elle aussi, elle dansait !

Où est le centre du monde ? Est-il dans la densité du réel, dans la masse des étoiles, dans l’éclat des comètes ? La science contemporaine nous enseigne que l’univers n’a pas de centre, qu’il est une expansion infinie, une danse sans chorégraphe. Mais l’homme, lui, cherche un point fixe où poser son désir, une terre ferme dans l’océan du vide.

Peut-être dans une gare, sur un quai ? La jeune femme danse pour rien, sans public et sans raison, sinon celle d’exister, d’être là, simplement offerte au vent et au silence. Elle tourne, s’arrête, repart, comme si le monde entier tenait dans ce balancement fragile. Elle ignore qu’un regard l’a vue, qu’un instant, elle a contenu l’univers entier dans l’infime espace d’un pas esquissé. Mais cela suffit. Sans le savoir, elle a effleuré l’éternel, comme on frôle une main dans l’ombre, sans y prendre garde. Ce qu’elle portait en elle, ni les savants ni les puissants ne pouvaient le nommer. Seul l’amoureux, celui qui a gardé en lui un espace pour l’émerveillement, pouvait en percevoir le frisson.

Peut-être dans une gare, sur un quai ? Comme un enfant couché dans une mangeoire, la jeune femme porte l’invisible dans un battement d’aile. Si vous saviez ! Le plus humble des lieux peut contenir l’Infini lorsque son orientation est juste. Ce n’est pas l’univers matériel qui donne sens à l’homme, c’est l’homme qui donne sens à l’univers, car l’homme est capable de Dieu (capax Dei). Et cet homme, cet être de poussière, trouve son accomplissement non dans la maîtrise du monde, mais dans l’abandon à l’Amour. Les sages d’Orient ont suivi une étoile, mais c’est dans une crèche qu’ils ont trouvé leur roi. Depuis, ceux qui cherchent un Dieu éclatant passent à côté de Lui sans Le voir. Charles de Koninck écrit d’ailleurs :

« C’est qu’il ne faut pas chercher le centre du monde dans la quantité, et dans la position spatiale. Tout d’abord, notre état présent n’est pas définitif. Nous cheminons vers une fin dans un monde tout provisoire. […] Si une intelligence étrangère cherchait dans le monde son centre ontologique, celui vers lequel l’univers tout entier est orienté, elle se dirigerait d’abord vers les corps célestes les plus brillants et les plus énormes. Après bien des déceptions, elle le découvrirait enfin et par hasard dans un obscur appendice du soleil. Mais cette intelligence serait analogue à celle des juifs qui cherchaient le roi du monde sur un trône brillant et entouré d’une armée puissante. Ils ne savaient pas combien grand était leur Dieu, et qu’il n’a pas besoin de démonstration, et qu’il est là où on s’y attend le moins : dans une étable, couché sur la paille, avec autour de lui un bœuf et un âne qui le réchauffaient de leur haleine (18) ».

Peut-être dans une gare, sur un quai ? C’est une jeune femme dansant sur les quais d’une gare qui me l’a appris.

« Tout est étoffe d’esprit ».

Est-ce une femme qui danse ? Ou est-ce un ange ? Ou… ?

« Mon affaire n’est pas de savoir, mais d’obéir (19) ».

Éric Trélut
Gabat

Notes

(1) Paul Claudel, Deux Poèmes d'été , 1914. 

2) Maria Zambrano, Les clairières du bois , 1992 : « Mais la beauté qui crée ce vide, ensuite, le fait sien, car il lui appartient, il est son auréole, l'espace sacré où elle demeure intangible. Où il est impossible à l'être humain de s'installer, mais qui le pousse à sortir de lui-même, qui amène l'être caché, âme accompagnée des sens, à sortir de soi ; qui entraîne avec lui l'existence corporelle et l'enveloppe, l'unifie. Et sur le même seuil du vide que crée la beauté, l'être terrestre, corporel, existant, capitule ; il livre ses sens, qui ne font plus qu'un avec son âme. Événement qu'on a nommé contemplation et oubli de tout souci ». 

(3) Paul Claudel, Cinq grandes odes , Gallimard, 1913. 

(4) « Pour dire la chose en deux mots, l'étoffe de l'univers est de l'étoffe d' esprit . Mais, comme il arrive souvent quand on veut tout dire en une phrase, il me faut expliquer que par « esprit » je ne veux pas dire exactement l'esprit et que par « étoffe » je ne veux pas du tout parler d'une étoffe. L'étoffe d'esprit du monde est, bien entendu, quelque chose de plus général que nos esprits conscients individuels ; mais nous pouvons nous représenter sa nature comme n'étant pas entièrement étrangère à ce qu'éprouve notre conscience ». (Arthur S. Eddington, The Nature of the Physical World , New York/Cambridge, The Macmillan Company/Cambridge University Press, 1928 ; trad. de l'anglais par le colonel G. Cros,  @La nature du monde physique , Paris, Payot, 1929.)  

(5) τινες αὐτὴν μεμῖχθαί φασιν, ὅθεν ἴσως καὶ Θαλῆς ᾠήθηπάντα πλήρη θεῶν εἶναι. Certains disent que l'âme est mêlée dans tout l'univers : c'est peut-être pour cette raison que Thalès disait que tout est plein de dieux. Aristote,  De anima , 411a 7–8 Ross (= Thalès, 11 A 22 DK = 10 A 14 Colli). 

(6) Charles de Koninck, Dossier 20 partie 7 , Le monde comme élan vers la pensée , 23 février 1937, texte tapuscrit. 

(7) La vérité n'est pas seulement une propriété des jugements humains, mais une caractéristique de l'être lui-même. Dire que  le vrai  est transcendantal signifie que tout ce qui existe est intelligible, c'est-à-dire qu'il peut, en principe, être compris par une intelligence. L'être est "vrai" parce qu'il est  conforme à l’intelligence divine qui l’a créé, et accessible à l’intelligence humaine qui peut le connaître. Un arbre, un rocher ou une étoile sont "vrais" non parce qu’ils disent eux-mêmes une vérité, mais parce qu’ils possèdent une réalité objective qui peut être perçue et comprise. Saint Thomas d’Aquin : « Le vrai est dans la chose en tant qu'elle est ordonnée à l'intellect ; il est dans l'intellect en tant qu'il saisit la chose telle qu'elle est. » (Somme Théologique, Ia, q.16, a.1).

(8) « C’est cet admirable, cet immortel instinct du Beau qui nous fait considérer la Terre et ses spectacles comme un aperçu, comme une correspondance du Ciel. La soif insatiable de tout ce qui est au-delà, et que révèle la vie, est la preuve la plus vivante de notre immortalité. C’est à la fois par la poésie et à travers la poésie, par et à travers la musique, que l’âme entrevoit les splendeurs situées derrière le tombeau ; et quand un poème exquis amène les larmes au bord des yeux, ces larmes ne sont pas la preuve d’un excès de jouissance, elles sont bien plutôt le témoignage d’une mélancolie irritée, d’une postulation des nerfs, d’une nature exilée dans l’imparfait et qui voudrait s’emparer immédiatement, sur cette terre même, d’un paradis révélé ».

(9) Hans Urs von Balthasar, Phénoménologie de la vérité, trad. R. Givord, Paris, Beauchesne, 1952, p. 212-213.

(10) Propres à un sens en particulier, comme la couleur pour le sens de la vue. Ils se distinguent des sensibles communs qui sont des qualités sensibles pouvant être perçues par plusieurs sens à la fois. Ce sont des propriétés objectives des objets qui peuvent être connues indépendamment de l’organe sensoriel particulier qui les capte. Par exemple, le mouvement peut être perçu par la vue (en voyant un objet se déplacer) et par le toucher (en sentant un objet bouger dans la main). De même, la figure (forme) peut être perçue par la vue mais aussi par le toucher.

(11) Graham Harman est une figure centrale dans le paysage philosophique actuel, invitant à repenser notre relation aux objets et au monde qui nous entoure.​ Il est surtout connu pour avoir développé l'ontologie orientée objet (Object-Oriented Ontology ou OOO), une branche du réalisme spéculatif. Cette approche propose que les objets existent indépendamment de leurs relations avec les humains ou avec d'autres objets, remettant en question l'anthropocentrisme traditionnel en philosophie.

(12) Graham Harman, The Third Table, Hatje Cantz Verlag, 2012.

(13) Vladimir Jankélévitch, Le paradoxe de la morale, 1981. « L’amour, selon Diotime, est celui qui vient (ἴτης) ; l’avenir est annoncé dans sa venue ; toujours en marche et toujours jeune, Amour est une prophétie ! » 

(14) Jean Ruysbroeck, Ornement des noces spirituelles , 1909. Traduit du flamand par Ernest Bonjour. 

(15) Aristophane du Banquet de Platon parle d'un quelque chose d'autre ἄλλο τι (192c-d) dont les amants sont épris et qu'ils ne peuvent exprimer, que leur âme devine par entrevision et qu'elle exprime énigmatiquement par ses transports prophétiques (μαντεύεται, αἰνίττεται). Platon le suggère d'une manière merveilleuse en ces termes admirables : ἀλλήλων γίγνεσθαι , ils ne doivent dire ce qu'ils attendent l'un de l'autre. Ils sont amoureux, mais ne savent pas, au fond, de quoi ; ils aiment un je-ne-sais-quoi. La vraie réponse n'est pas celle de Vulcain qui leur propose l'unité de telle sorte que ni jour ni nuit ils ne soient jamais l'un sans l'autre. Ce discours est un leurre comme celui du serpent spécifié à Eve. On ne peut posséder qu'une chose, ou tant l'aimé que l'aimant ne sont pas des choses ! L'un et l'autre sont des fuyantes ipséités, des personnes qui ne ressemblent en rien à des objets maniables qui peuvent être saisis. Ensemble, mais pas encore ; la personne est toujours ailleurs dans sa présence. L'Éros du Banquet veut plus que la possession, l'éros insatiable désir plus que l'avoir : il veut être ce qu'il ne peut avoir ; être l'autre qu'il ne peut avoir, il va le chercher là où il est. Mais, devenant l'autre, il ne faut pas qu'il se perde et s'abîme dans l'autre ! 

(16) Marcel Proust, À la recherche du temps perdu , Édition 1919, t.3. ( À l'ombre des jeunes filles en fleurs ). 

(17) Expression de Guillaume d'Auvergne citée par Vladimir Jankélévitch Les vertus et l'amour , 2. Traduction personnelle : « par un don d'amour infiniment pur et sincère ». 

(18) Charles de Koninck, Dossier 20 partie 7 , Le monde comme élan vers la pensée, 23 février 1937, texte manuscrit. 

(19) Paul Claudel, La Cantate à trois voix , écrite entre 1911 et 1912.

Photo de couverture : "Jésus et la Samaritaine" - École italienne du XVIIème siècle

Répondre à () :

MARTIN DESMARETZ de MAILLEBOIS | 21/03/2025 10:19

Excellent modèle de devoir de philosophie pour tels élèves de Bac auxquels je vais le donner !

Eric Trélut | 22/03/2025 16:01

Merci, c’est un honneur qui m’inspire à donner le meilleur de moi-même.

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