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Philosophie
"Marcher pour un Sourire - entre Cahors et Moissac" par le professeur Éric Trélut
"Marcher pour un Sourire - entre Cahors et Moissac" par le professeur Éric Trélut

| Éric Trélut 3333 mots

"Marcher pour un Sourire - entre Cahors et Moissac" par le professeur Éric Trélut

« Ah ! Combien alors bouleversé je fus,
quand je me tournai pour voir Béatrice,
de ne pouvoir la voir bien que je fusse
près d’elle, et dans le monde de délices ! »
Dante, Divine Comédie, Paradis, Chant XXV, 46.

Étrange destinée que celle de l’homme : il ne s’élève qu’en s’abaissant. Pour monter, il lui faut marcher — à la manière des bêtes, dirait Pascal, la tête penchée, souvent, les pieds dans la poussière, toujours. Et pour que l’esprit s’élève, il faut qu’il plonge dans l’obscurité de la matière, comme si toute ascension véritable naissait d’une immersion dans le poids du monde. Ainsi, l’âme s’élève à Dieu en descendant dans l’épaisseur de ce qui résiste, et le corps, pour monter, commence toujours par plier le genou.

Mais ce n’est jamais par son seul mérite qu’il monte ou bien qu’il marche : c’est Dieu, Le Très-Haut, dans sa tendresse et sa miséricorde, qui l’élève ou le soutient — à travers la poussière, à travers la nuit, à travers le pas humble du marcheur fidèle, à regarder « plus outre » : Ultreia ! Je crois qu’il n’y a de pèlerinage que celui qui descend dans le cœur, à la manière du Pèlerin russe — cet homme simple qui, ayant perdu presque tout, ne demandait plus rien que d’apprendre à prier sans cesse. 

Nul ne marche vers un lieu, mais dans un feu qui sourit.

1. Dante ou la définition du pèlerin

Dans la Vita nuova, Dante rappelle qu’il existe trois noms pour désigner ceux qui voyagent au service du Très-Haut : on les appelle palmieri — ou palmistes — lorsqu’ils se rendent outre-mer, rapportant souvent avec eux la palme, signe de victoire spirituelle ; romieux, quand ils se dirigent vers Rome, la ville des martyrs et du sang versé pour la foi ; enfin pèlerins, lorsqu’ils vont jusqu’à la maison de Galice, car nul Apôtre ne fut enseveli plus loin de sa patrie que saint Jacques.

C’est dans ce contexte, à Florence, peu avant la Semaine sainte, que Dante rencontre un groupe de pèlerins en route pour Rome, venus voir le linge sacré portant les traits du Christ. Mais pour lui, la vraie absence n’est pas celle du Sauveur voilé : c’est celle de Béatrice. Elle n’est plus là, et c’est toute la ville, à ses yeux, qui s’en trouve endeuillée. Il voudrait arrêter ces marcheurs, leur confier la mission impossible de la chercher — et, ne la trouvant pas, de la pleurer. Mais ces hommes viennent de loin. Ils sont étrangers à sa peine. 

« Ces romieux me semblent de lointain pays », pense-t-il, « je ne crois pas qu’ils aient même entendu parler de cette dame… leurs pensées vont sans doute à d’autres absents que nous-mêmes ne connaissons pas. »

Une pudeur — peut-être une timidité — le retient de leur parler. Mais dans le silence de cette non-rencontre, le poème s’écrit. Le regard n’a pas saisi, alors la parole tente de percer l’énigme de ce passage muet. C’est un poème qui pleure à la place de ceux qui ne savent pas pleurer, qui dit ce que le cœur voudrait crier :

« Ô pèlerins qui cheminez pensifs,
Qui sait ? De choses à vos vœux non prochaine
Venez-vous d’une gent si reculée
Comme le donne à voir votre semblance,
Que vous ne pleurez mie, en trespassant
Tout par le milieu de la cité dolente
A guise de songeurs qui n’ont figure
De prendre garde à son accablement ? »

Et le poète d’ajouter, dans un dernier soupir :

« Oyez, elle a perdu sa Béatrice…
Et d’icelle un mot seul qu’on puisse dire
A la vertu de faire les gens pleurer. »

Ainsi naît, dans l’ombre de l’absence et du silence, une parole pèlerine : une parole qui chercherait à faire pleurer ce qui est digne d’être pleuré — comme si le vrai pèlerinage n’était pas d’aller à Rome ou à Compostelle, mais d’apprendre à pleurer ce qui fut aimé, et d'avancer maladroitement entre la terre et le ciel …. « Nous n'avons pas ici-bas de cité permanente mais nous cherchons celle de l'avenir » (, 13, 14). 

L’apôtre Saint Jacques apparaît à Dante lors de son arrivée au Paradis (Chant XXV, 17-18), signalé par Béatrice, emplie de joie, qui s’écrie : 

« Mire, mire ! ici vois le baron pour qui là-bas on visite Galice ».

Aux arrivants, il s’adresse (82-85) :

« L’amour dont brûle encore Mon cœur pour la vertu qui me suivit
jusqu’à la palme, au sortir du champ clos 
veut que je te reparle, à toi qui l’aimes »

Et interroge Dante sur son espérance pèlerine (86-87) :

« Et je te saurais gré si tu dis 
ce que l’espérance te promet. »

Figure 2 Lauzerte.jpg
Lauzerte ©
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Une nuit, alors que la tristesse l’enveloppait comme un manteau d’ombre, Dante fut visité par un songe. Il revit Béatrice, celle qu’il aimait, lui offrir un sourire radieux. Elle se tenait nimbée de la lumière du Paradis, entourée d’anges, transfigurée, plus belle encore que dans les ruelles de Florence où leurs regards s’étaient croisés. À son réveil, la mélancolie s’était dissipée. Car il l’avait vue, vivante, métamorphosée : il savait désormais qu’elle veillait sur lui, qu’elle intercédait en sa faveur. De ce moment naquit une résolution : écrire un livre qui répondrait à ce sourire céleste. Longtemps, il porterait cette œuvre en son cœur, jusqu’à ce que, façonné par les années et la sagesse, il se sentît digne de l’offrir au monde. Ainsi naquit La Divine Comédie — d’un regard entrevu une dernière fois, avant que Béatrice ne se tourne vers la fontaine éternelle.

De cette vision nocturne au sourire fugace d’un adieu, Dante nous enseigne un pèlerinage plus intime encore que ceux de Rome ou de Compostelle : apprendre à laisser partir ce qui fut aimé sans cesser de l’aimer, apprendre à discerner, dans un sourire qui ne nous appartient plus, la promesse d’une profonde éternité.

2. Marcher pour un sourire jusqu’au Ciel

Hier, en lisant La lettre à un otage d’Antoine de Saint-Exupéry, j’ai retrouvé cette même découverte d’une réelle présence au-delà de l’absence. Comme Dante, Saint-Exupéry découvre dans les visages aimés, dans les liens brisés par l’exil ou la guerre, une lumière qui transcende la perte — une invitation à poursuivre le chemin, porté par la mémoire et l’espérance.

Son absence me simplifie. Son silence me délivre. Qu’est-ce qui fait le pèlerin ? Qu’est-ce qui le pousse vers Rome ou Compostelle ? Qu’est-ce qui donne sens à son pas ? Nous marchons tous. Mais sommes-nous tous aimantés ? 

Marcher n’est courageux que si chaque pas est une lutte contre la mort. A chaque arrêt, l’on risquerait de tomber à côté de son cœur. Il faut marcher, le pas suspendu à son absence. Le chemin ne rend point les hommes ; il les fait naître. Naître ailleurs, autrement, dans une lumière pure et nue, plus vraie que la chaleur des commencements.

« Ce qui sauve c’est de faire un pas. Encore un pas. C’est toujours le même pas que l’on recommence... (1) » Comme Guillaumet.

Un jour, son sourire m’a ébranlé. Un seul sourire peut porter loin, comme l’amour … jusqu’à Compostelle. Antoine de Saint-Exupéry le savait : « l'essentiel, le plus souvent, n'a point de poids. L'essentiel ici, en apparence, n'a été qu'un sourire. Un sourire est souvent l'essentiel. On est payé par un sourire. On est récompensé par un sourire. On est animé par un sourire. Et la qualité d'un sourire peut faire que l'on meure. (2) » 

Il est vrai qu’un sourire peut suffire à changer une vie. Je le sais. Je l’ai su. Je le vis. Il ne pèse rien, il ne brille pas, il ne promet rien. Et pourtant, il donne tout. Et plus encore. Parfois, un seul sourire porte l’éternité comme on porte un silence, et dans ce silence quelque chose s’éveille — une paix, une espérance, une blessure aussi, douce et vive, comme une lumière qui s’ouvre dans l’ombre, une soif qui ne s’éteint pas.

Car oui, l’on peut vouloir mourir pour un sourire. Ou plutôt, vivre à cette frontière incertaine entre la vie et la mort, là où l’âme vacille, là où plus rien ne tient que par la grâce, cette grâce infime et nue qui seule fait tenir debout. Il est des sourires qui vous arrachent au présent, qui vous précipitent dans un vertige — non pour vous perdre, mais pour vous faire naître autrement.

Lorsque ce sourire disparaît, il laisse un vide pire que le manque. Un vide unique et étrange, un vide affreux et habité, profond, et presque sacré. Et pourtant, dans ce vide, il arrive que quelque chose tienne bon. Que quelque chose brûle encore : le désir de celui qui, ayant entrevu l’essentiel, ne peut plus revenir à l’insignifiant. Un sourire vous a été donné, et avec lui, le monde entier. Il s’est retiré, mais il demeure. Il appelle. Il élève. Il creuse la soif. Il faut marcher comme suspendu à ce sourire. Son sourire brûle à l’intérieur de son silence, « comme une bougie à l’intérieur d’une lanterne » (3). Son silence est si unique ; je peux l’entendre sourire partout.

Compostelle n’a jamais été un choix. Nul ne sait ce que peut un sourire, tant qu’il n’est pas lui-même en chemin. C’est irréversible !

« Aussi irréversible que l'apparition du soleil. » « Rien n'avait changé, tout était changé. » J’entrais dans un « pays neuf et libre » ; dans le silence. Compostelle n’a jamais été un but (4). Je peine vers la même étoile vivante qu’elle ; l’amour nous oblige.

D’une façon étrange, Antoine de Saint-Exupéry éprouve alors la sensation d’une réelle présence : 

« J'éprouvais une extraordinaire sensation de présence. C'est bien ça : de présence ! Et je sentais ma parenté. […] Mais quelle étrange parenté ! elle se fonde sur l'avenir, non sur le passé. Sur le but, non sur l'origine. Nous sommes l'un pour l'autre des pèlerins qui, le long de chemins divers, peinons vers le même rendez-vous. (5) » 

Oui, des amants d’étoiles. C’est cela ! Me voici près d’elle, pèlerin auprès de ma pèlerine d’étoiles, en marche vers Celui qui seul unit au-delà du silence, dans l’éternité. Il me faut la laisser suivre son propre sentier, et pourtant je tremble : comment la laisser partir, elle dont la « longue épée de silence » s’enfonce tant dans mon cœur ? Elle savait « qu’en fin de compte une seule chose importe vraiment : être un saint (6) ». Quelle leçon ! Oh ! « La leçon est brutale, mais on apprend, Dieu sait qu'on apprend ! (7) » 

3. Méditation — Des anges, des âmes, et la visitation invisible

Je suis à vous plus que jamais, maintenant 
que je n’ai plus de vous que Dieu.

Il arrive que des êtres ordinaires s’approchent de nous comme s’ils portaient quelque chose qui les dépasse. Ils n’ont rien d’extraordinaire dans leur mise ou dans leurs mots. Et pourtant, lorsqu’ils tendent la main, offrent un silence, un regard ou un sourire, c’est tout un monde qui se remet à battre. Comme un ange qui passe… J’ai parfois pensé que les anges ne venaient pas toujours du ciel, mais de l’humanité même, transfigurée un instant par la charité. Leur passage est discret, presque furtif, mais il laisse un frémissement durable, comme un soupir que le cœur reconnaît sans l’avoir entendu. Ils ne se savent pas envoyés. Ils n’ont pas d’ailes. Et pourtant, ils font ce que les anges font dans les Écritures : ils accompagnent, ils annoncent, ils réveillent.

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Près de Lauzerte. Chartron ©
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Le sourire de Saint-Exupéry, dans sa nudité, est chez Lewis un acte de connaissance, une attention pure qui, comme le philosophe Gabriel Marcel, murmure : « Tu ne mourras pas. (8) » C. S. Lewis, dans A Grief Observed (9), évoque un moment bouleversant : alors que tout semble perdu, que Joy est morte et que son deuil l’épuise, il découvre un jour sa présence non pas comme un souvenir ou un fantasme, mais comme un souffle réel, âme à âme. Il écrit :

« Son absence est comme le ciel, étendu sur toute chose… Et pourtant, je commence à voir comment tout, même son absence, est plein d’elle. Ce n’est pas son fantôme que je cherche, mais son âme. Et peut-être est-elle ici. »

C. S. Lewis, dans A Grief Observed, découvre que la relation avec sa femme défunte atteint une forme d’intimité inattendue : une rencontre d’intelligence à intelligence, sans émotion, sans présence sensible, mais pleine d’attention lucide et de volonté silencieuse. Ce qu’il découvre, c’est une union où l’intellect est visité, et la volonté, fidèle. Une intimité plus proche de la contemplation que de la passion. Il retrouve sans le dire la définition thomiste de l’amour divin : intelligere et velle in Deo unum sunt — en Dieu, aimer et connaître ne font qu’un.

Mais ce qui chez Thomas est réservé aux bienheureux ou à Dieu, ne pourrait-il pas, sous une autre modalité, être pressenti dans certaines relations humaines d’un rare dépouillement ? Lors d’un songe, pendant sourire ou dans le silence ? Ainsi, deux amants pourraient s’aimer par le haut. À distance et pourtant si proche. En orbite silencieuse. Et l’amour deviendrait alors ce que Rilke appelait la prière d’un être pour qu’un autre soit pleinement ce qu’il est. Aimer l’autre dans ce qu’il contemple. Une étoile vivante, Dieu.

Je rêve. Un jour, je lui dirai : « Si vous le pouvez, venez à moi quand je serai sur mon lit de mort. » Elle me regardera, avec un tremblement dans les yeux, et si lointaine qu’elle me paraîtra, sourira, mais pas à moi. Elle se tournera vers la fontaine éternelle. Poi si volgerà all’eterna fontana.

4. Rencontres sur le chemin entre Cahors et Moissac

Sur ce chemin, deux rencontres m’ont révélé l’écho de ce sourire, de cette communion orientée vers Dieu. À Cahors (photo de couverture), un homme s’est approché, le corps brisé — par un AVC, peut-être, ou par une solitude par trop ancienne. « Priez pour moi, » m’a-t-il murmuré. Trois mots, et tout un monde. Son regard, où la détresse devenait offrande, était un sourire sans courbe, une prière nue. Comme l’aveugle de Jéricho criant « Jésus, Fils de David, aie pitié de moi ! », il m’a désarmé. Je lui ai répondu par un sourire. « Je prierai pour vous chaque jour » lui ai-je dit. Il me semblait qu’en cet instant, une part de sa prière était entrée en moi. Et qu’il me l’avait confiée comme un feu.

Figure 4 Le cloître de l'abbaye de Moissac.jpg
Le cloître de l'abbaye de Moissac ©
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Plus tard, entre Cahors et Moissac, le sentier s’étirait, dur et long. Quinze kilomètres sous un ciel vide de chaleur, avec le vacarme des seuls oiseaux qui chantaient l’arrivée du printemps sans s’arrêter, comme si j’étais transparent. Je n’aime pas faire du stop : cela me rend vulnérable, exposé, réduit à un geste. Je me résignais. J’ai tendu le bras. Il le fallait ! Une seule fois. Peut-être deux ? Et, Joie ! La première voiture s’arrêta. Un couple de Belges, souriants. C’est Dieu qui passait comme un doigt sur une joue encore chaude. Ils m’invitèrent à monter, puis à déjeuner à Moissac. Près de l’abbaye. Quelle grâce ! À table, les mots revenaient plus libres, comme s’ils avaient été lavés de la poussière du chemin — ou comme un vin longtemps gardé en cave, enfin versé, respirant à l’air libre et laissant remonter, avec douceur, tout le fruit du silence. Nous bûmes plus d’une bouteille ce midi-là. Dieu est bon.

Alors je parlai de ma thèse …et de Charles de Koninck. Lui aussi était belge, né à Torhout. Lui aussi évoquait la profondeur du sourire, celui du chat du comté du Cheshire ayant quitté la scène dans Alice au Pays des Merveilles. Ce sourire n’est pas rien, il a forme, une trace, une ténuité — quelque chose d’irréfutable dans le vide creux du monde. Et cela est bien quelque chose : une autre histoire, sans doute. Mais peut-être la mienne aussi.

Je suis un pèlerin,
sans maison et sans repos,
mais je porte en moi son nom
plus tendre que toute patrie.

Il me suffit de marcher,
et que mon cœur brûle au rythme
de la prière sans fin :
« Seigneur Jésus, aie pitié de moi. »

Et si le monde s’efface,
comme un conte qu’on oublie,
je garde — oui, je garde —
son sourire laissé dans l’air
comme une promesse d’éternité.

Eric Trélut, Gabat

Notes

(1) Antoine de Saint-Exupéry, Terre des hommes, Folio, 2024.

(2) Antoine de Saint-Exupéry, Lettre à un otage, Folio, 2014.

(3) Christian Bobin, Le Christ aux coquelicots, Gallimard, 2001.

(4) Antoine de Saint-Exupéry, Lettre à un otage. « Le voyageur qui franchit sa montagne dans la direction d'une étoile, s'il se laisse trop absorber par ses problèmes d'escalade, risque d'oublier quelle étoile le guide. S'il n'agit plus que pour agir, il n'ira nulle part. La chaisière de cathédrale, à se préoccuper trop âprement de la location de ses chaises, risque d'oublier qu'elle sert un dieu. Ainsi à m'enfermer dans quelque passion partisane, je risque d'oublier qu'une politique n'a de sens qu'à condition d'être au service d'une évidence spirituelle. Nous avons goûté, aux heures de miracle, une certaine qualité des relations humaines : là est pour nous la vérité. »

(5) Ibid.

(6) Graham Greene, La puissance et la gloire, Robert Laffont, 1948.

(7) Dans les Ombres du cœur (“Shadowlands”), film de Richard Attenborough de 1993. Il s'agit d'un film biographique sur Clive Staples Lewis, professeur à l'université d'Oxford, notamment sa rencontre avec la jeune romancière américaine, Joy Davidman.

(8) Gabriel Marcel, Tu ne mourras pas. Textes choisis et présentés par Anne Marcel. Préface du P. Xavier Tilliette, Orbey, Arfuyen, 2005

(9) C. S. Lewis, A Grief Observed, 1961. « Il y avait pourtant une intimité extrême, joyeuse — une intimité qui n’était passée ni par les sens, ni par les émotions. Si cela venait de mon inconscient, alors il me faut croire que mon inconscient est un lieu bien plus intéressant que ce que les psychologues des profondeurs laissent entendre. Car il semble, entre autres, bien moins primitif que ma conscience. D’où que cela vienne, cela a fait en moi comme un grand ménage de printemps. Les morts pourraient être ainsi : de purs intellects. Un philosophe grec n’aurait pas été surpris par une expérience comme celle-là. Il aurait même attendu cela : si quelque chose subsiste de nous après la mort, ce serait justement cela. Jusqu’ici, cette idée me paraissait aride, glaciale. L’absence d’émotion me rebutait. Mais dans ce contact — réel ou non — elle ne me rebutait en rien. L’émotion n’était plus nécessaire. L’intimité était complète — tonique, même restauratrice — sans elle. Et si cette intimité, c’était cela même qu’on nomme amour ? Un amour qui, dans cette vie, s’accompagne toujours d’émotion — non parce qu’il serait lui-même émotion, ni qu’il en aurait besoin, mais parce que nos âmes animales, nos nerfs, nos imaginations, n’ont d’autre manière d’y répondre ? Si cela est vrai, combien de mes idées préconçues dois-je laisser derrière moi ! Une société, une communion de purs intelligences, ne serait pas froide, terne ou désolée. Mais elle ne ressemblerait guère à ce que les hommes entendent lorsqu’ils parlent de « spirituel », de « mystique » ou même de « saint ». Si ce que j’ai entrevu est vrai, alors — j’ose à peine employer les mots qui conviendraient — ce serait… vif ? joyeux ? acéré ? vigilant ? intense ? éveillé ? Et surtout : solide. D’une solidité sans faille. Sûre. Ferme. Chez les morts, il n’y a pas de faux-fuyant. Quand je dis « intellect », j’y inclus la volonté. L’attention est un acte de volonté. L’intelligence en acte est la volonté par excellence. Ce que j’ai rencontré semblait rempli de résolution. Un jour, très près de la fin, je lui avais dit : « Si tu le peux — si c’est permis — viens à moi quand moi aussi je serai sur mon lit de mort. » « Permis ? » répondit-elle. « Le ciel aurait du mal à me retenir ; et quant à l’enfer, je le briserais en morceaux. » Elle savait qu’elle parlait là un langage mythologique, presque comique. Il y avait un éclat dans ses yeux, autant qu’une larme. Mais il n’y avait ni mythe ni plaisanterie dans la volonté, plus profonde que tout sentiment, qui fulgurait en elle. »

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