Plusieurs inscriptions votives (faites en conséquence d’un vœu à une divinité) d’époque romaine (Ier-IVème siècle ap. J.-C.) trouvées dans le Comminges (partie sud du dép. de Haute-Garonne) ont donné des noms de dieux locaux qu’on ne trouve pas ailleurs et que l’on considère être des dieux « aquitains », c’est-à-dire originaires de l’Aquitaine « de César » entre Garonne et Pyrénées. Il faut rappeler ici que le Comminges est presque la seule région qui nous a laissé des autels votifs mentionnant des noms aquitains de divinités ou de personnes. L’aquitain est considéré par la grande majorité des spécialistes actuels comme étant un ancêtre ou une langue proche de la langue basque. L’étude fondamentale de ces inscriptions est celle de Joaquín Gorrochategui, « Estudio sobre la onomástica indígena de Aquitania », Bilbao, 1984.
Le dieu qui a laissé le plus de mentions sur des autels votifs du Haut-Comminges est Abellio.
Un certain nombre de noms de ces dieux sont explicables grâce au basque actuel. Ainsi le nom du dieu « Aherbelste » est expliqué par les mots basques aker (bouc) et beltz (noir, obscur, sombre), ce qui donnerait le nom « le bouc noir ». Cet Akerbeltz (bouc noir) était toujours célébré au XVIIème siècle par des Basques, mais ce culte était à l’époque assimilé à la sorcellerie et au sabbat, appelé en basque akelarre ("le champ du bouc"), terme qui a donné en castillan le nom aquelarre (représenté sur un célèbre tableau que Goya peignit entre 1797 et 1798 pour la maison de plaisance des ducs d’Osuna aux environs de Madrid, ndlr.).
Le dieu « Asto Illuno » (au datif) pourrait être expliqué par les mots basques asto (âne) et ilun (sombre, noir), ce qui aboutirait à « l’âne noir ». Plusieurs noms de personnes aquitaines comportent l’élément Belex qui est rapproché du basque beltz (noir). Cela fait supposer que ces dieux sont « chtoniens », c’est-à-dire qu’ils sont liés au monde souterrain.
Il est très difficile de savoir jusqu’à quelle époque le culte de ces dieux a subsisté, mais il semble que la croix de Béliou (au-dessus de Bagnères-de-Bigorre) soit un monument originellement dédié au dieu Abellio (on y voit un visage sur l’une de ses faces) qui fut ensuite retaillé en forme de croix. La légende locale veut qu’elle marque l’emplacement de la tombe du personnage mythique bigourdan nommé Millaris.
D’autre part, les travaux ethnologiques du père Resurrección María de Azkue et surtout ceux de José Miguel de Barandiaran ont permis de reconstituer la religion basque pré-chrétienne à partir de récits folkloriques basques. La divinité principale serait la déesse Mari – on peut tout de même soupçonner une influence de la Vierge Marie dans l’attribution de son nom – qui représenterait la Nature. Son mari serait le serpent ou dragon Sugaar etc. Pour une présentation générale de la mythologie basque, voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Mythologie_basque
https://es.wikipedia.org/wiki/Mitolog%C3%ADa_vasca
Les récits concernant ces divinités montrent aussi qu’elles sont chtoniennes, c’est-à-dire qu’elles sont liées intimement au monde souterrain.
A noter que le mythe de la behigorri (ou beigorri), soit la « vache rouge » nous a été transmis par ces récits. Elle défendait l’entrée de la grotte qui menait à la demeure de la déesse Mari. Elle était à l’évidence inspiré par la Betizu (Betizu provient de Bei, vache et Izu, farouche), une vache sauvage du rameau blond du Pays Basque existant encore de nos jours. La vache béarnaise, elle aussi issue du rameau blond, est une parente des betizus. Il est possible que le curieux choix de deux vaches rouges comme emblème de la vicomté de Béarn avant 1150 soit le résultat de ces anciennes croyances vasconnes.
On peut raisonnablement supposer que cette religion pré-chrétienne et son acclimatation avec le christianisme dans une sorte de syncrétisme a concerné autrefois les Basques, mais aussi les autres Vascons, dont les ancêtres des Gascons. Après tout Baudémond, le biographe contemporain de saint Amand, expliquait bien que ce dernier se confronta à des Vascons qui vénéraient des « idoles » lors de ses missions évangélisatrices en Wasconia (en 636, 652 et 665) : « le peuple communément appelé vascon croyait en des erreurs, c’est-à-dire qu’ils suivaient des augures (présages ou prêtres) et toutes sortes de mensonges, et ils vénéraient toutes sortes d’idoles comme si elles étaient Dieu. Ce peuple vivait vers les forêts des Pyrénées, s’étendait sur plusieurs lieux inaccessibles, et se vantant de leurs capacités à combattre, ils occupaient souvent les frontières avec les Francs [en Novempopulanie] ». Un autre biographe de ce saint nommé Hucbaldus écrivait aussi à ce sujet : « Les habitants de la Wasconia vénéraient à cette époque le culte du démon ».
Il convient également d’évoquer les travaux que mena en Haute-Bigorre (Lavedan) Xavier Ravier sur les traditions mythologiques de cette région. Ils furent publiés dans son « Récit mythologique en Haute-Bigorre » (Aix-en-Provence, 1986). Le Lavedan s’est souvent révélé plus conservateur dans ses traditions que les vallées voisines du Béarn, ce qui a permis à ce chercheur de déceler des traces d’anciennes traditions. Outre les légendes sur les deux pâtres géants Millaris et Mullat-Barbe qui auraient disparu lors des premières neiges, qui symboliseraient l’arrivée du christianisme, on trouve trace de « l’homme sauvage », en gascon « eth homi saubatye », qui se retrouve également dans la mythologie basque sous le nom de « basajaun ».
Et Xavier Ravier conclut page 148 : « les grands mythes de la Bigorre et du Pays Basque, en particulier ceux qui ont trait à ce que j’ai appelé l’événement cosmique primordial et à l’apparition du christianisme sont non seulement ressemblants, mais identiques ». Pour lui, cela est une autre preuve que « les contrées pyrénéennes et sub-pyrénéennes, disons de l’Atlantique au bassin supérieur de la Garonne appartiennent à la même aire culturelle ». Il termine en indiquant : « Le fait est d’autant plus saisissant que dans les régions situées à l’orient du triangle aquitain [= gascon], Languedoc montagnard en particulier [Pays de Foix, Razès], les recherches de terrain ou l’étude des sources écrites n’ont pas, jusqu’à présent, permis de retrouver des mythes du type Mulat-Barbe, Millaris et leurs correspondants basques ». Enfin, il affirme page 178 : « les données extra-linguistiques sont, me semble-t-il, assez nombreuses et suffisamment significatives pour que l’on n’ait plus à douter de l’existence d’un très fort soubassement culturel et anthropologique rendu manifeste notamment par la similitude des traditions mythiques gasconnes et basques ».
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