Lorsque le soleil éclaire les tons roux veloutés des fougeraies de la montagne, les forêts de hêtres, les chênes et les châtaigniers revêtent leur flamboyante parure et l’air humide sent déjà la feuille morte mêlée à l’humus, paradis des cèpes et des « perratxikus ». Le Vent du Sud qui porte sur son aile la fièvre bleue des vols de palombes joue alors les prolongations de cette saison reine au-delà de novembre et même de décembre ; soufflant en folles bourrasques, « il donne toute sa valeur au paysage qu’il illumine et découpe en gros plans puissamment colorés, au dessin net, presque excessif », remarquait Gaëtan Bernoville. C’est le moment idéal pour parcourir la montagne souletine ou bas-navarraise. C'est là que vous enveloppe cette lumière si particulière du Pays Basque : mieux qu’un peintre, Ravel sut exprimer cette alchimie qui fait le Pays Basque. Il appréciait « un soleil à l'éclat fin » qui lui faisait dire : « le peuple s'en ressent, il est agile, élégant, et sa joie n'est pas vulgaire. Les danses sont légères, d'une volupté sans outrance »...
Mais attention aux feuilles mortes, comme l'indiquait avec beaucoup d'esprit Gustave Thibon : « Être dans le vent, une ambition de feuille morte… » Nos “élites” et nos gouvernants se plaisent en automne.
Nous vous proposons de débuter notre « escapade » au pied du massif des Arbailles, à Aussurucq. Depuis le typique clocher trinitaire souletin et le château d’Urrutia dont les deux belles et massives tours du XVe siècle veillent sur le village. C’est là que naquit Pierre de Charritte de Ruthie, aumônier et conseiller de François Ier. Il inspira le sujet d’une pastorale jouée il y a quelques années.
Et à propos de cette famille, une légende affirme que « la terre s’ouvrit sous les pas du chevalier d’Urrutie en punition de ce qu’il avait quitté l’église pour la chasse, un jour d’office dominical »… Il paraît même qu’on voit encore cette crevasse où le chevalier disparut !
De fait, la route qui monte depuis Aussurucq aux pâturages d’Ahusquy à travers la splendide forêt de hêtres des Arbailles traverse un plateau calcaire dont l’altitude atteint 1282 m au pic d’Ihatia. Ce massif des Arbailles, traversé par de magnifiques gorges boisées où le sol est percé par endroits de nombreuses fissures, d’entonnoirs et de gouffres, dans lesquels disparaissent les eaux de ruissellement. C’est le paradis des spéléologues et de leurs clubs qui organisent d’extraordinaires itinéraires de canyoning souterrain. Et celui des préhistoriens !
Un spéléologue de Mauléon, Pierre Boucher, également correspondant scrupuleux des antiquités historiques et préhistoriques, aperçut en 1950 un « petit cheval rouge signalant un parcours difficile au bord d’une faille, à travers défilés boueux et ressauts vertigineux surplombant des lacs profonds, menant à d’autres dessins ».
A quatre cents mètres d’altitude, s’ouvrait la grotte d’Etcheberrikokarbia où des chevaux rouges sur tâche d’ocre gambadaient sur les parois en compagnie d’un bouquetin à moitié effacé, d’une jument pleine et de bisons.
A proximité, la grotte de Sasisiloaga (sur le territoire de la commune d’Ossas-Suhare) recelait d’autres dessins du Magdalénien, tracés à l’ocre rouge et dont le « crayon » qui avait servi à les élaborer gisait coincé entre deux stalactites ! Un burin en silex taillé, dont le biseau tranchant pouvait être utilisé pour graver, avait été ramassé sur le sol, au même endroit.
Une eau bienfaisante
Après avoir traversé la forêt, notre route débouche sur les pâturages et mène à l’Auberge d’Ahusquy. Cet endroit situé en pleine montagne est témoin au début de l’été de l’immuable rite de la transhumance des animaux depuis les vallées environnantes. Encore une petite montée et l’on aboutit à l’endroit où jaillit la célèbre source aux eaux chargées de silicate de soude et de potasse, de carbonate, de sulfate et de chlorure, contenant également fer, magnésium et iode. « Bortian Ahuzki, hur huntik oso ». Elle est saine, l’eau de la montagne à Ahusquy (Ahuzki), comme le proclame l’inscription sur cette fontaine qui constitue, avec la bonne auberge en contrebas, un exceptionnel endroit de randonnée dans la montagne souletine. Utilisée de tout temps par les bergers, le barde souletin Pierre Topet « Etchahun » de Barcus y menait ses troupeaux et noyait son chagrin dans de sublimes sanglots poétiques.
Ses propriétés curatives ont été révélées par le maréchal Harispe au début du XIXe siècle. Réputée parmi les plus gros mangeurs et buveurs du pays, la source était recommandée dès 1862 par le guide Joanne pour guérir « les affections de la vessie, les fièvres intermittentes, l’atonie des organes digestifs et les aberrations du système nerveux ». En 1919, Jean Cocteau qui avait déjà séjourné au Pays Basque chez les Rostand, décide de tenter l’ascension vers Ahusquy en compagnie du compositeur Louis Durey (l’aîné du « Groupe des Six » réunissant entre autres Georges Auric, Francis Poulenc, Darius Milhaud, Honegger, etc.) et de son frère Pierre. Les trois jeunes artistes y mènent « une vie simple et saine à traire les vaches et à manger le chou ». Pendant leur cure, Cocteau et ses amis se livrent à des « agapes en compagnie des bergers chanteurs ». Sur leurs motifs musicaux notés par Durey, Cocteau écrira ses « Chansons Basques ».
Là-haut, les chemins suivent la ligne des crêtes qui est le domaine des pottoks. Ce site splendide sert de cadre en août à des « olympiades » entre bergers : triple saut, jet de la barre (« palanka »), de la pierre, course et, autrefois, jet de la hache et de la pique.
A ce point de l’excursion, on peut choisir d’obliquer vers Iraty et le col d’Orgambideska ; ou bien de continuer la route vers Mendive, Ahaxe et Saint-Jean-le-Vieux, où l’on rejoint la grande voie de Saint-Jean-Pied-de-Port à Saint-Palais.
Alexandre de La Cerda