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La critique de Jean-Louis Requena
La critique de Jean-Louis Requena
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| Jean-Louis Requena 608 mots

La critique de Jean-Louis Requena

Green Book : Sur les routes du Sud - Film américain de Peter Farrelly – 130’

New York 1962. Tony Lip (Viggo Mortensen), de son vrai nom Nick Vallelonga, est «videur » italo-américain dans une boîte de nuit. Il vit tant bien que mal, dans le Bronx, avec sa femme Dolores (Linda Cardellini), ses enfants, et sa nombreuse et bruyante, parenté. La boîte de nuit ferme pour travaux durant deux mois. Il lui faut rapidement trouver un job pour nourrir sa famille… Il rencontre dans un somptueux appartement de Carnegie Hall un célèbre pianiste noir, Dr. Don Shirley (Mahershala Ali), qui doit partir huit semaines en tournée dans le sud des Etats Unis…Ce dernier, hautain, dédaigneux, cherche un chauffeur… doublé d’un garde du corps. Le « Deep South » (Sud Profond) est soumis aux lois Jim Crow (lois ségrégationnistes abolies en 1964). Un noir se doit de voyager dans ces contrées peu hospitalières avec « The Negro Motorist Green Book (1936 – 1966) », fascicule qui indique les lieux où les noirs peuvent accéder (sans problèmes !) : hôtels, restaurants, bars, etc.

Tony Lip en chauffeur hâbleur, Dr. Don Shirley en passager distant, mutique, partent vers les routes du Sud dans une belle voiture bleu turquoise… Les deux hommes que tout sépare, le langage grossier, imagé, de Tony Lip, raffiné chez le pianiste, la culture musicale, populaire chez l’un, classique chez l’autre, les goûts culinaires, vestimentaires, etc… Ils sont aussi dissemblables que possible, l’un soumis à la pression raciale, l’autre à la culturelle, qui s’accroissent au fur et à mesure qu’ils descendent vers le Sud, jusqu’en Alabama.

Tony Lip et Dr. Don Shirley pénètrent progressivement dans un espace sociétal de plus en plus complexe, éprouvant, violent… Comment vont-ils réagir ?

Pour son quinzième film, Peter Farrelly (62 ans) est seul réalisateur à bord. Il ne co-réalise pas avec son frère Bobby ce long métrage ambitieux, loin de leurs habituelles pantalonnades depuis « Dumb and Dumber » (1994) jusqu'à « Dumb and Dumber To » (2014) en passant par leur grand succès au box office : « Mary à tout prix » (1998), grosse farce scatologique. Ce saut qualitatif inattendu est d’autant plus surprenant que le film de Peter Farrelly, sous une apparence lisse, formatée, raconte dans l’Amérique des sixties, une histoire vraie : le propre fils de Tony Lip, Nick Vallelonga a participé à la rédaction du scénario.

Le road movie, des personnages se déplaçant dans de grands espaces, est un genre cinématographique très prisé au Etats Unis, comme ailleurs. Cela a été vu mille fois. Les ressorts scénaristiques sont immuables, c’est par nature engorgé de clichés, de redites, de scènes attendues… que nous attendons. Elles sont là bien évidemment, mais la force de ce film réside, outre le jeu des acteurs impressionnant, que celles-ci sont détournées, déformées par l’environnement raciste qui du coup, les rend à la fois risibles dans leur essence, sinistres dans leur quotidienneté : en concert, le maestro est acclamé par la haute bourgeoisie locale, mais doit dormir dans un motel lépreux. Le ségrégationnisme pointilleux génère des situations grotesques qui rapprochent le chauffeur et le maestro.

Peter Farrelly a opté pour une écriture cinématographique simple mais efficace, portée par un bon scénario et un duo d’acteurs qui s’identifient aux personnages avec un grand professionnalisme : Viggo Mortensen s’est métamorphosé en italo-américain frustre, en surcharge pondérale et fort accent. Mahershala Ali en pianiste de concert snob, distant, assuré de son talent.

Certes, le dernier opus de Peter Farrelly est consensuel dans sa forme comme dans son fond. Cependant, n’est-il pas agréable, en ces temps perturbés, de visionner un long métrage de ce genre, d’autant plus qu’au final, l’émotion est au rendez-vous.

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