Barbara Film français de Mathieu Amalric – 98’
Pour son quatrième long métrage, Mathieu Amalric nous offre son opus magnum. A l’origine du projet, un autre metteur en scène, Pierre Léon, avait travaillé durant de longues années sur une biographie filmée de Barbara (1930/1997). Le « biopic » genre cinématographique est redoutable pour les spectateurs, car souvent le scénario sans relief est laborieusement chronologique, hagiographique, avec « les scènes à faire ». Ici, rien de tout cela. Les coscénaristes, Mathieu Amalric et Philippe Di Folco, ont brisé la linéarité du scénario original en constituant en puzzle la vie morcelée de la chanteuse disparue.
Pour ce faire, ils nous proposent trois Barbara : la véritable, dont nous percevons quelques extraits vidéos tournés pour la télévision (Dim Dam Dom) et des caméos du film de Gérard Vergez (Barbara, 1973). Une comédienne fantasque, Brigitte (Jeanne Balibar), qui « incarne » la chanteuse lors du tournage du film par le metteur en scène Yves Zand (Mathieu Amalric !) et qui se métamorphose en Barbara (posture, vêtements, voix). On pourrait craindre à juste titre que cette mise en abîme des trois Barbara, la vraie, la comédienne et le personnage vrai/faux créé par la comédienne, jouée avec subtilité par Jeanne Balibar, forme un « Boulgi Boulga » indigeste. Il n’en est rien. Certes cela exige un minimum de concentration du spectateur pour apprécier l’intelligence de la proposition cinématographique et, de fait, les émotions qu’elle fait naître.
Le réalisateur revendique la structure musicale de son film et le choix, fort judicieux, des chansons de Barbara tantôt chantées par elle, tantôt par Jeanne Balibar sans que celle-ci cherche l’imitation : la voix particulière de cette comédienne y suffit. Nous avons été séduits par la construction du film qui offre des moments de grande émotion : Barbara/Brigitte chantant en s’accompagnant d’un piano droit, avec des hésitations comme si elle déchiffrait le texte, Nantes, dans un improbable Relais Routier.
Le travail sur les décors est intéressant : reconstitution en studio de son appartement à Paris, puis celui de l’intérieur de sa dernière maison à Précy-sur-Marne. Son biographe et ami, Jacques Tournier (Pierre Michon), s’invite pour corriger les erreurs du décor (objets ajoutés ou mal positionnés). Mathieu Amalric et son chef opérateur, Christophe Beaucarne, ont choisi de tourner le film en 16 mm numérique afin que l’image plus « brute » puisse intégrer des séquences de vidéos existantes sans que cela crée une rupture dans le continuum visuel.
Le challenge était difficile à relever. Mathieu Amalric et son équipe artistique/technique ont réussi leur pari de filmer la complexité sans la confusion. C’est un film ambitieux à financement modeste mais qui ne sacrifie rien à l’air du temps : les comédies françaises sociétales dont nous sommes accablés.
Jean Louis Requena