1 - Chaque époque de l’histoire connait des angoisses et ses propres craintes pour la vie.
On imagine mal ce que fut pour le département des Basses Pyrénées la propagation du choléra au XIXème siècle et les morts par centaines dans une population traumatisée. La ville portuaire de Bayonne était exposée comme tous les ports du pays.
En 1347, comme rapporté dans les chroniques du temps jadis, Bayonne avait connu la peste et ses ravages sur la population. Seule réponse faute de mieux, le recours au Ciel et à ses protections dans la cité où le clergé organisa des processions pour demander la clémence et la paix.
La menace persistant, le Corps de Ville organisa ses premières dispositions de contrôle sanitaire des bateaux et de leurs équipages soumis aux vérifications, comme celle de déclarer toute maladie suspecte à bord. Un certificat de santé vit le jour et devint obligatoire pour les populations se déplaçant sur la mer.
En ce début du XIXème siècle, la peste fait partie des souvenirs passés. On mentionne cependant le typhus en 1811 et en 1812, ramené d’Espagne par les soldats de Napoléon.
Soignés et sauvés pour les uns, morts en nombre chez d’autres, les victimes se comptaient parmi les patients et les soignants. La contagion est localisée en ville, mais Dax, située sur la voie de passage des convois militaires n’est pas épargnée.
On connaîtra encore la fièvre jaune, apportée depuis l’Océan Atlantique par les marins naviguant dans les régions tropicales.
En 1821 et 1822, des mesures nouvelles, plus contraignantes, sont prises encore pour contenir le typhus et la frontière espagnole est sous contrôle à cause des populations qui fuyaient l’épidémie et cherchaient en France un lieu sécurisé.
Mais une nouvelle contagion par le choléra, menace. Les premières apparitions de la maladie se font jour en Europe dès 1823 et en 1832.
Vasco de Gama en avait donné déjà tous les symptômes à partir des milliers de victimes en Inde mais, du moins le croyait-on, cette maladie n’était pas épidémique et ne menaçait pas les autres populations du monde.
Or, avant que Bayonne ne fut touché, on dénombrait déjà en France, dans 57 départements, 230000 victimes du fléau.
La peur du choléra était cependant bien présente comme un ennemi silencieux et redoutable. On le situait en Afrique du Nord, sans le localiser encore numériquement en Europe.
Hélas, le répit sera de courte durée. Car en 1841, la menace arrivait aux portes de l’Europe et la peur retrouvait ses marques.
Les Bayonnais apprennent ainsi en décembre 1854 qu’un foyer épidémique existait à Peyrehorade, sans doute apporté par les Espagnols ou du moins par les échanges commerciaux avec les pays au Sud des pyrénées.
Le Maire de Bayonne chercha à rassurer sa population tout en redoublant de vigilance sanitaire. Au bureau de l’Etat Civil, le Médecin Chef sera convié à déclarer toute maladie mortelle par une notice cachetée sur les causes de la mort constatée des patients.
En ce mois de mars de cette année bouleversée de 1854, la Nive et l’Adour se déchaînent, emportant tout sur leur passage. On imagine le manque de barrages naturels face à la déferlante qui détruisit tout sur son passage sur les rives des cours d’eau et les précaires habitations situées le long des fleuves. L’eau boueuse pénètre sous les arceaux, un décor de fin apocalyptique se dessine dans la Ville de Bayonne. Mousserolles et les Barthes de Saint Esprit sont un terrain marécageux de désolation. L’Adour et la Nive se déchainent, et des torrents de boue agités de courants violents démolissent tout sur leur passage.
En ce temps-là, la violence des débordements aquatiques inspira de la peur aux populations sans défense et sans protection face à ces phénomènes naturels. Un malheur n’arrivant jamais sans conséquence sur la vie sanitaire de la population, une épidémie de typhus menaça les plus fragiles dès les premiers mois de 1855.
En présence de ces misère affectant les populations, les églises organisent avec le Corps de Ville des collectes d’argent et de biens meubles pour aider les plus indigents.
Le danger sera contenu. Et on pensera déjà à autre chose. L’Exposition Universelle passionne pour le moins les classes les plus aisées, et les travaux de la Villa Eugénie de Biarritz pour recevoir le Chef de l’Etat Napoléon III intéressent les populations de la Côte basque qui préfèrent oublier le mauvais sort et voir venir autre chose.
2 - Bayonne a sa gare en octobre 1854 et la visite de Napoléon III réjouit tout autant à Bayonne qu’à Biarritz.
Mais les édiles bayonnais sont soucieux. Les nouvelles sanitaires des voisins espagnols ne sont pas bonnes, ce pays connaissant à nouveau un regain du choléra et la menace demeure pour Bayonne, « la première ville espagnole française » !
Fin 1855, le « Courrier de Bayonne » ne peut contenir l’anxiété des gens qui relisent et lisent sans discontinuer ces nouvelles venues de l’autre versant des Pyrénées. Elles ne sont pas rassurantes : Madrid est contaminée par le choléra. Les familles quittent en nombre la capitale pour la côte basque, les plus chanceux s’établissant à Biarritz, Ciboure, Saint-Jean-de-Luz et Bayonne.
« Les articles pédagogiques », pour ne point alarmer les lecteurs bayonnais, parlent de propagation limitée, contenue et qui ne concernerait que les plus pauvres de la population… On désigne ainsi comme quartiers exposés les vétustes baraquements en bois, sans eau potable ni sanitaire établis le long de la Nive et de l’Adour qui ne présentaient aucune garantie pour la santé des populations.
Le choléra est dans les esprits. Les articles de presse ne font rien pour circonscrire la peur qui enracinée dans une population qui n’a pas oublié la précédente contagion de 1832. Les familles espagnoles continuent d’affluer, disent les chroniques du temps. Et les nouvelles concernant des passagers de bateaux morts par centaines et jetés à la mer ne soulagent guère l’angoisse de la population. Soldats, jeunes et enfants sont les victimes désignées du choléra.
Les mesures imposées par le Corps médical semblent insuffisantes. S’habiller et se protéger ne suffisent pas à préserver les plus vulnérables. Le Docteur Pascal cité comme Médecin-Chef de l’hôpital donne ses conseils d’usage mais la maladie gagne déjà Ciboure et Saint-Jean-de-Luz.
Hésitant entre le devoir d’informer et celui de préserver la confidentialité des informations, « Le Courrier de Bayonne » est contraint en septembre de donner des consignes de mise en garde et de prévention à la veille d’une arrivée imminente du choléra à Bayonne.
Les publications de l’époque constituent une indication de l’anxiété partagée par les gens de presse et les lecteurs à qui on préfère encore dissimuler les alarmantes nouvelles, sans doute pour n’affoler personne.
Mais la population n’est pas dupe. On préfère garder le silence et chacun constate le peu de moyens de la médecine pour parer la contagion qui désormais est située dans la région côtière basque. Les plus vertueux recommandent le respect de la prospérité, de la moralité, d’autres promeuvent une hygiène de vie, de propreté, et de protection des points d’eau de la ville.
On rêve encore en ce temps estival à la saison qui s’annonce. Car c’est bien de Biarritz que provient une « belle » actualité...
3 - La Villa Eugénie, objet de fascination à l’époque.
Distractions de l’été, cirque et saison des corridas à Saint Esprit qui constitue désormais un quartier de Bayonne, la programmation festive ne ralentit guère le choléra qui menace…
Le Maire de Biarritz est soucieux, la saison de l’été est vitale pour sa ville et les nouvelles qui circulent ne sont pas rassurantes. Or, le 26 juillet, le jour tant espéré voit l’arrivée à Bayonne par le train, dans une gare fraichement inaugurée, de Sa Majesté l’empereur Napoléon III. Un événement magnifique : le cortège ne traîne sur les bords de Nive, on prend sur le champ une route carrossable vers Biarritz. Quant à l’impératrice, elle arrive des Eaux Bonnes où elle a coutume de suivre des cures en prévision d’un heureux événement, la naissance tant attendue d’un héritier pour la dynastie. Le retour se fera encore par Bayonne comme à l’aller où le couple impérial reprend le train pour Paris.
Or, toute visite impériale est porteuse de « bonnes affaires » : le tourisme dans la région prospère, maisons et villas se construisent autour de résidences cossues et fournissent un apport conséquent à l’économie locale. Et les visiteurs de marque constituent un joyau rare de dividendes pour les artisans de la vie locale.
Cependant, dès la mi-août, les nouvelles du choléra sont rapportées par les sources d’informations. Les familles espagnoles ne cessent d’arriver en nombre de Madrid et d’autres villes du pays. Les mesures prophylactiques ne suffisent plus à enrayer la maladie. On dénombre déjà des victimes à Mauléon, Saint-Etienne de Baigorry et Tardets, sans compter les plus anciennes cités où les morts du choléra se comptent en chiffres redoublés. Les courriers et enveloppes adressés par Napoléon III mentionnent désormais « Bayonne et Mauléon atteints de l’épidémie »...
En ce mois de septembre « noir » de l’année 1855, on compte près de 500 morts et la ville s’organise en huit sections soumises aux contraintes sanitaires d’un exercice imposé à la population. Nettoyage et usage de sulfate de fer, chaux et purification sont exigés. Les Filles de la Charité et des médecins interviennent à Saint Esprit et à Ondres, le Préfet fait sa visite de contrôle, l’évêque est convié à faire de même : « Sa Grandeur s’est rendue », disent les chroniques, « dans l’hôpital, et les maisons tenues par les sœurs soignantes, pour apporter sa confiance et son soutien à toutes ses bonnes volontés engagées pour apaiser ces douleurs »...
La ville est figée. Le théâtre est fermé. Toute représentation et contact de la population est prohibé. En ce mois de septembre, noir et éprouvant pour la ville, qui ressemble à une mise en quarantaine drastique et nécessaire, on dénombrera entre 550 et 700 personnes mortes du choléra, ce qui représente à cette époque un pourcentage élevé de la population bayonnaise. Dans les Basses-Pyrénées, 23 communes connaîtront des décès suite à la contagion. Parmi eux, aucune catégorie sociale - des maires, aux ecclésiastiques, aux sœurs soignantes, aux médecins et aux fonctionnaires - ne sera épargnée.
Dès octobre, les mesures imposées ont porté leurs fruits. L’assainissement est entré dans les règles. Conduits d’eau et contrôles sanitaires des voies publiques sont devenus une obligation pour le bien commun, dans l’intérêt de la population.
Les œuvres de bienfaisance prennent le relais des services médicaux. Le nombre des orphelins, des enfants sans famille, est élevé. L’abbé Dartayet ouvre une souscription pour placer et financer l’accueil de ces enfants de la rue. Et dès le 21 octobre, le Théâtre rouvre ses portes. La vie sociale revient.
Bayonne aura connu son mois de septembre bien sombre dans son histoire de l’année 1855. Beaucoup l’ayant totalement oublié, se remémoreront ainsi que la convivialité habituelle de la cité aura pris le pas sur cette éprouvante époque passée. La solidarité en œuvre fit front à la propagation d’une épidémie venue de l’étranger. Elle mit du temps à se réaliser dans une adversité redoutable mais elle permit de vaincre les menaces mortelles affectant les plus fragiles parmi les enfants qui en ce dur temps jadis n’étaient que très peu protégés.