En l'absence de "musique vivante" et de confinements divers, de beaux souvenirs remontent à la mémoire : ainsi cette très belle soirée donnée il y a exactement vingt ans à l'Hôtel du Palais, et dont j'avais assuré la critique pour Radio France Pays Basque, alors remarquablement dirigée par André Morelle, artiste cultivé et homme de goût, et qui venait de rejoindre le nouveau réseau "France Bleu".
Sous les belles fresques début de siècle représentant les amours éoliennes qui répandent leur souffle lyrique aux quatre vents du Salon Impérial, en particulier celui de noroît, Scirion, le "vent noir" des Basques, "Haize belza", qui avait fait fuir, hélas, le beau soleil illuminant ces fêtes de fin d'année, les traditionnels rendez-vous d'Art Lyrique de Biarritz accueillaient de jeunes artistes au talent prometteur sélectionnés par Madame Munduteguy.
Comme il y a 70 ans, lors de l'hommage à Ravel avec des oeuvres jouées par le maître de Ciboure, mais également Jacques Thibaud, Robert Casadesus, Madeleine Grey et bien d'autres, ce même salon à la merveilleuse acoustique résonna de nouveau, cette fois des plus beaux airs d'opéra interprétés hier soir par la soprano Iane Roulleau et le jeune ténor d'Irun, Angel Pazos.
Tous deux ont fait entendre un timbre rayonnant de toute la puissance et de la fraîcheur de leurs jeunes années, et témoigné d'une excellente présence sur scène, naturelle et spontanée.
La formation à la Guildhall school of Music and Drama de Londres, puis à l'Ecole d'Art lyrique de l'Opéra de Paris, n'a pas été sans influencer, certes, le visage et les yeux si éloquemment expressifs de la belle et jeune soprane qui, en outre, pratique une articulation remarquable de clarté, tout comme son partenaire.
Précisément, nous avons été enchantés, c'est le mot, de la voix chaleureuse et forte, mais sans forcer aucunement, d'Angel Pazos. Alors qu'il avait donné toute la puissance nécessaire dans les extraits programmés de "Don Pasquale" et "l'Elisir d'amore" de Donizetti, on l'attendait un peu au tournant dans la célèbre "Una furtiva lagrima" : et bien, il y fut merveilleux de sentiment, même si - a dessein - il a en partie dépouillé l'air de cette note tragique qui avait fait le succès de Beniamino Gigli. Certes, il convient de souligner que ces partitions ont été écrites pour des gosiers italiens, ou pour le moins latins, et combien Angel Pazos excelle vraiment dans le genre. De même, dans l'air de Tamino extrait de la "Flûte enchantée" de Mozart, le sympathique jeune ténor a montré la gamme étendue de ses ressources et les multiples nuances de son art vocal, tout comme il a su rendre des accents tour à tour tendres et caressants, ou puissants et triomphants, dans "Un'aura amorosa" de "Cosi fan tutte".
Que n'a-t-on fait appel à des artistes de cette qualité pour certains concerts, telle cette calamiteuse "Damnation de Faust" qui nous avait infligé, en février dernier, l'affligeant et insipide ténor - mais aujourd'hui, je me garderai de citer quelque nom en vertu de la charité en usage lors de cette trêve des confiseurs... et des critiques vitriolées !
Et pour en revenir à notre récital d'hier soir, malgré une très courte répétition - c'est la première fois qu'ils chantaient ensemble - Iane Roulleau et Angel Pazos ont laissé à la très nombreuse assistance qui débordait du Salon Impérial une bonne impression d'harmonie dans les duos qu'ils ont interprétés, complicité renforcée par le talent du pianiste Fabrice Boulanger. Egalement chef de chant à l'Opéra de Lyon, il a remarquablement accompagné les voix, les mettant en valeur au lieu de les étouffer comme font hélas certains marteleurs du clavier.
Enfin, la soirée procura encore aux mélomanes l'excellente surprise de la lecture par son auteur, Christophe Goarant, d'un monologue extrait de la tragédie classique qu'il écrit actuellement.
Le jeune poète dont l'élan lyrique est servi par une écriture classique et pure, pratique l'alexandrin avec prédilection et s'est mis en tête, après Rostand, le rêve fou et sublime de mettre le duc de Reichstadt en rimes ! Le réel enthousiasme manifesté par le public ne pourra que l'encourager dans cette belle voie, après les multiples lauriers qui ont couronné récemment ses recueils de poésies.
NDLR : Angel Pazos, qui avait effectué ses études au Conservatoire de Bayonne, obtenant une médaille d'or à l'unanimité dans l'enseignement supérieur, puis se perfectionnant au CNIPAL de Marseille et à l'Opéra Studio de Düsseldorf sous la direction de professeurs renommés, revint plus d'une fois nous enchanter de ses récitals : il fut, entre autres, l'une des cinq grandes voix lyriques présentes le dimanche 28 février 2016 à la Gare du Midi de Biarritz pour "Les Tubes de l'Opéra". Féru de son compatriote Luis Mariano, il était encore venu l'été dernier à Arcangues à l'occasion du cinquantième anniversaire de la disparition de l'inoubliable interprète de « La belle de Cadix » et de « Mexico ». Le concert prévu n'ayant pas eu lieu à cause des "conditions sanitaires", la voix d'Angel Pazos avait toutefois accompagné le "pèlerinage" des "marianistes" pour interpréter quelques succès du célèbre chanteur. Car Angel Pazos a créé à Irun l'Association Lyrique Luis Mariano.
Quant à l'élan lyrique du jeune poète kanboar (de Cambo) Christophe Goarant, nourri de sensibilité ardente et inquiète, il est servi par une écriture classique et pure.
La vingtaine à peine entamée. Comme je le relatai alors dans une de mes chroniques pour la revue littéraire "Atlantica", "il était déjà à l'époque l'auteur - maintes fois primé, en particulier par la célèbre Académie des Jeux floraux - de plusieurs recueils poétiques ("Cette ombre qui te suit" et "Fenêtre originaire"). Encore au seuil d'une carrière universitaire prometteuse (Anglais et Lettres modernes) il rejoindra un poste de "lecturer" au réputé collège de Shrewsbury, à la lisière du pays de Galles (actuellement, il enseigne à Chartres). Gardant encore dans l'éclat de son regard une parcelle de tendresse de l'enfance, reflet de ces premiers vers - à propos d'un jardin anglais "extraordinaire" - composés à l'âge de six ans pour sa mère, et de cette fibre poétique suscitée par une institutrice, puis entretenue dans un atelier d'écriture au lycée Cassin à Bayonne, Christophe Goarant ne se bornait pas à "errer par la rêverie dans les régions éthérées", selon la belle formule de Madame de Staël. A l'écoute de l'harmonie céleste et des émotions de l'âme, il n'en oubliait pas pour autant le bruit de la terre ; mieux, il en écrivait la symphonie bien contemporaine avec des vers d'une facture régulière et classique à laquelle il ne manquait plus qu'une once de démesure grandiose et hugolienne dont on sentait déjà les prémices. A l'image des exercices de virtuosité de son maître préféré, notre jeune poète pratiquait l'alexandrin avec prédilection et s'était mis en tête, après Rostand, le rêve fou et sublime de mettre le duc de Reichstadt en rimes" !
"Quand ma fièvre reprend, dans la nuit qui soupire,
Le jardin de Schönbrunn devient comme un bivouac
Où se meuvent shakos, bicornes et colbacks.
Les ombres du passé peuplent mon crépuscule,
Et de vieux souvenirs dans le parc se bousculent ;
Tout se mélange alors, le songe et le réel,
Pour qu'un passé renaisse... en moi... comme éternel."
Tel un Ignace de Loyola éperdu devant la beauté d'un ciel étoilé, mais sensible également à la poésie des trains et des gares où s'active sa veine créatrice, Christophe Goarant disperse pour notre plus grand bonheur des bouquets de rimes par brassées et sa "Prière à demi mots" qui fait "Accepter la caresse, impalpable, divine, / Unique de tes yeux qui se ferme en nuit... / Douce délicatesse où la lune s'imprime. / Reconnaître en son feu comme un être infini. / Encor plus de tendresse : et le jour se dessine... / Y puiser un aveu ! de l'Être qui s'enfuit."