Une reconnaissance tardive
En 1957, deux jeunes critiques de cinéma, Éric Rohmer (1920/2010) et Claude Chabrol (1930/2010) publient un petit ouvrage aux Éditions Universitaires : Hitchcock. C’est le premier livre d’une abondante bibliographie internationale dont les français, précurseurs, ont ouvert la voie. Les « Jeunes Turcs » des Cahiers du Cinéma, Éric Rohmer, Claude Chabrol, déjà cités, sont rejoints par Jacques Rivette (1928/2016), François Truffaut (1932/1984) et Jean-Luc Godard (1930) tous admirateurs inconditionnels de l’œuvre cinématographique du « maître du suspense » qui a déjà, en 1957, quarante longs métrages à son actif (période anglaise et période américaine confondues). En effet, outre une vingtaine de films muets (premier opus : Le Jardin du plaisir (The Pleasure Garden – 1925, muet), Alfred Hitchcock a réalisé Les 39 marches (The 39 Steps – 1935), Une femme disparait (The Lady Vanishes – 1938) en Angleterre. Aux États-Unis, il enchaîne coup sur coup, Rebecca (Rebecca – 1940), L’ombre d’un doute (Shadow of a Doubt – 1943), Enchainés (Notorious – 1946), La Corde (Rope – 1948), L’inconnu du Nord-Express (Strangers on a Train – 1951), Fenêtre sur cour (Rear Window – 1954).
A l’hiver 1954, François Truffaut et Claude Chabrol, adorateurs inconditionnels, rencontrent longuement Alfred Hitchcock qui termine en France le montage de La Main au collet (To Catch a Thief) réalisé en extérieur sur la Côte d’Azur. Le cinéaste est manifestement flatté de cette reconnaissance lui qui passe pour un « bon faiseur » outre-Atlantique.
En 1955, Alfred Hitchcock fonde la société de production Shamley qui produira durant sept ans (1955/1962) ans des courts métrages (26 minutes puis 52 minutes) pour la télévision américaine : Alfred Hitchcock présente (Alfred Hitchcock Present). Cette série popularisera sa silhouette enveloppée quand ces téléfilms, en noir et blanc, seront diffusés dans le monde entier. Le producteur/réalisateur fait toujours une courte intervention humoristique avant le démarrage du téléfilm précédé, durant le générique, par la Marche funèbre d’une marionnette musique du compositeur français Charles Gounod (1818/1893).
Son dernier long métrage Le Faux Coupable (The Wrong Man – 1956) qui décrit avec minutie, en noir et blanc, une erreur judiciaire avec Henry Fonda (1905/1982) et Vera Miles (1929) a été un demi échec. Mais ses thuriféraires français n’en non cure : ils ont une admiration sans bornes pour « Hitch ». Ils attendent avec impatience son prochain opus …
Alfred Hitchcock (57 ans) déçu par l’accueil réservé au Faux Coupable (un thème récurrent qui lui est cher), tout en réalisant des téléfilms à succès, cherche fébrilement un sujet pour son prochain, et dernier, film qu’il doit par contrat au studio Paramount.
Alfred Hitchcock (1899/1980), un génie précoce et prolifique
Alfred Joseph Hitchcock est né en 1899 à Leytonstone (banlieue nord-est de Londres) dans une famille de commerçants aisés de confession catholique. Dans l’Angleterre a majorité anglicane c’est pour le moins « exotique ». Jusqu'à l’âge de 14 ans Alfred, en bon catholique, fréquente le Collège de Saint Ignatus à Stamford Hill, une école tenue d’une main ferme par les jésuites. C’est une éducation rigoureuse à forte discipline. Les châtiments corporels sont tolérés et distillés avec une certaine perversité : lorsque la sanction est prononcée, elle doit être acceptée avec respect et le fautif attend un temps indéterminé, dans l’angoisse, son application. L’attente fait partie de la punition. Est-ce l’origine névrotique du suspense qui bien plus tard fera la fortune d’Alfred ? Pour l’heure, c’est un enfant solitaire choyé par sa mère, mais que son obésité, déjà prononcée, marginalise. Il ne participe pas aux jeux de ses petits camarades. Il les observe silencieux. Il écrit et, surtout, dessine. Après le collège des jésuites il étudie à la London County Council School of Engineering and Navigation à Poplar (Londres). Son diplôme obtenu, il est engagé dans un département publicité d’une société de télégraphe.
En 1920, recommandé par un ami, il intègre les Studios Islington nouvellement crées grâce au développement rapide du cinéma britannique. Alfred Hitchcock attiré depuis son enfance par le cinéma (en spectateur assidu, il a vu de nombreux films muets) progresse rapidement dans ce nouvel univers où tout est à inventer. D’abord graphiste (intertitres), décorateur, scénariste, il devient en 1922, assistant réalisateur du metteur en scène anglais alors en vogue, Graham Cutts (1884/1958). En 1924, avec ce dernier il s’installe pour quelques mois dans la « Mecque » du cinéma européen : les Studios Babelsberg à Potsdam, près de Berlin. Ces studios créés en 1912, aux plateaux techniques impressionnants, produisent des films muets de prestiges : Le Dernier des hommes (Der Letzte Mann – 1924) de Friedrich Wilhelm Murnau (1888/1931) qu’Alfred a approché durant sa production ; Les Nibelungen (Die Nibelungen – 1924) de Fritz Lang (1890/1976), œuvres majeures qui auront une influence visuelle décisive sur la grammaire cinématographique du futur réalisateur.
En décembre 1926, Alfred Hitchcock dont la carrière semble achevée suite à deux échecs en qualité de réalisateur (Jardin du plaisir - The Pleasure Garden – 1925 et The Mountain Eagle – 1926) épouse son assistante, également monteuse et scripte Alma Reville (1899/1982) qui sera la compagne, la précieuse conseillère de toute une vie (« Alma a bien aimé » ou « Alma n’a pas aimé »).
Quelques mois après son mariage, la chance lui sourit : il réalise son premier thriller, histoire librement inspirée de Jack l’Éventreur d’après le roman de la prolifique écrivaine Marie Belloc Lowndes (1868/1947), Les Cheveux d’or (The Lodger – 1925) avec un acteur britannique très célèbre Ivor Novello (1893/1951). C’est un triomphe au box-office. La longue carrière d’Alfred Hitchcock est lancée ! Les Cheveux d’or est considéré comme la première œuvre « hitchcockienne » avec un faux coupable (thème récurrent de la dramaturgie hitchcockienne), et un cameo (courte figuration muette) du réalisateur dans son film.
Entre deux continents : de l’Angleterre aux États-Unis
Dès lors pour diverses compagnies, Alfred Hitchcock enchaîne les longs métrages d’abord muets (9 au total) puis son premier film parlant Chantage (Blackmail – 1929) au succès phénoménal. Il produit des longs métrages à un rythme soutenu : L’Homme qui en savait trop (The Man Who knew Too Much – 1934), Les 39 marches (The 39 Steps – 1935), Agent secret (Sabotage – 1936), Jeune et Innocent (Young and Innocent – 1937), Une femme disparait (The Lady Vanishes – 1938). Il signe son dernier film « à costumes » La Taverne de la Jamaïque (Jamaica Inn - 1939) avec Charles Laughton (1899/1962) et la jeune Maureen O’Hara (1920/2015). Durant sa période anglaise il aura réalisé 9 longs métrages muets et 16 parlants en 14 ans (1925 à 1939) !
Ses succès ne passent pas inaperçus aux États-Unis le producteur David O. Selznick (1902/1965) l’engage en juillet 1938 avec un contrat de 40.000 $ par film. Alfred Hitchcock réalisera quatre films dans des conditions difficiles compte tenu de l’omniprésence du producteur a tous les stades de l’élaboration d’un film (scénario, tournage, post-production). David O. Selznick inonde l’équipe du réalisateur de ses célèbres « mémos » qui agacent tant l’anglais flegmatique. De ces collaborations compliquées, sans cesse perturbées par le « Mogul » aux horaires insensés, naitront toutefois : Rebecca (1940), La Maison du docteur Edwardes (1945), Les Enchaînes (Notorious – 1946) et Le Procès Paradine (1947).
Alfred Hitchcock qui adopte en public l’allure d’un « Bouddha flegmatique », cherche à s’extraire de l’emprise tatillônne, pesante de David O. Selznick en collaborant avec d’autres studios hollywoodiens (RKO, United Artist, Universal).
En 1947, Alfred Hitchcock bien implanté dans l’univers de l’industrie cinématographique hollywoodienne crée sa propre maison de production « Transatlantic » et réalise deux films : La Corde (Rope - 1948) et Les Amants du Capricorne (Under Capricorn – 1949) en couleur qui tous deux n’auront guère de succès au box-office. Attentif, comme tout au long de sa carrière à ses finances, il décide de s’adosser à un grand studio hollywoodien Warner Bros avec lequel il réalisera quatre films : Le Grand Alibi (Stage Fright – 1950), L’Inconnu du Nord-Express (Strangers on a Train – 1951), La Loi du silence (I Confess – 1953) et Le crime était presque que parfait (Dial M. for Murder – 1954) tourné en 3D qu’il détestait à cause des contraintes induites par le système (effet stéréoscopique). C’est sa première collaboration avec la jeune et blonde Grace Kelly (1929/1982). En 1956 il réalisera son dernier film pour la Warner Bros : Le Faux Coupable (The Wrong Man – 1956) avec Henry Fonda dans le rôle d’un musicien accusé à tort par la police, mais soutenu par sa femme Vera Miles (en contrat exclusif avec le réalisateur !).
Alfred Hitchcock toujours soucieux de son indépendance créatrice change de studios et passe à la Paramount avec lequel il réalisera quatre longs métrages en couleur : Fenêtre sur cour (Rear Window – 1954) avec James Steward et Grace Kelly. La Main au collet (To Catch à Thief – 1955) avec Gary Grant et de nouveau Grace Kelly, Mais qui a tué Harry (The Trouble with Harry – 1955) comédie macabre avec la débutante Shirley MacLaine (1934), sa deuxième version de L’Homme qui en savait trop (The Man Who Knew Too Much – 1956) comédie policière avec James Stewart et Doris Day (1922/2019).
Malgré son intense activité cinématographique, Alfred Hitchcock poursuit, encouragé par son immense succès, sa série Alfred Hitchcock présente qui l’enrichira considérablement.
En 1957, Alfred Hitchcock travaille à son prochain film et dernière collaboration avec La Paramount : Sueurs froides (Vertigo – 1958).
Fin 1ère Partie