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Le Cinéma de la semaine
Cinéma La critique de Jean Louis Requena
Cinéma La critique de Jean Louis Requena

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Cinéma La critique de Jean Louis Requena

« The Perfect Candidate » - Film saoudien de Haifaa al-Mansour – 104’

Une petite berline bleue roule sur une voie rapide. Bientôt elle quitte celle-ci pour s’engager sur une petite route ravinée en terre battue et finit par se garer devant une clinique. La conductrice est Maryam (Mila Al Zahrani) une jeune femme vêtue d’une abaya noire : elle est doctoresse dans cet établissement médical. Avant d’y pénétrer, elle prend soin de couvrir son visage par un niquab : seul ses yeux noirs sont visibles. Nous sommes en 2019, dans une ville moyenne d’Arabie Saoudite monarchie islamiste absolue dirigée par Salmane ben Abdelaziz Al Saoud (84 ans) roi régnant (et premier ministre !) depuis janvier 2015. C’est l’un des fils du fondateur de la dynastie saoudienne Abdelaziz Ibn Saoud (1875/1953) qui cumule le pouvoir.

Maryam, jeune doctoresse compétente, est appréciée par le personnel féminin de l’établissement mais côtoyée, non sans réserve, par ses collègues masculins. Un ouvrier âgé vient d’être blessé sur le chantier à proximité de la clinique. Les infirmiers le présentent à Maryam pour une auscultation. A la vue de la doctoresse qui a enlevé son niquab et endossé une blouse blanche sur sa abaya, le vieil homme se rebelle refusant obstinément d’être examiné par une femme fut-elle médecin. C’est une rebuffade de plus que subit Maryam dans cette société patriarcale ou les femmes sont maintenues systématiquement en état d’infériorité.

Entre autres affaires, Maryam s’insurge contre la voie d’accès à la clinique qui est boueuse, non asphaltée, créant ainsi un accès insalubre au centre médical. Cet état de fait, simple à régler, peu onéreux, parait insoluble : la machine administrative ne répond pas … Il faut connaitre des notables, avoir un réseau d’influence, etc.

Maryam est la fille aînée d’Abdulaziz (Khalid Abdulraheem) veuf qui enseigne le oud et le chant de mélopées traditionnelles. Outre Maryam deux autres filles vivent avec lui dans sa grande maison : Selma (Dae Al Hilali) photographe, organisatrice de mariages et Sara (Nora Al Awadh) la plus jeune, lycéenne la moins rebelle aux traditions ancestrales. La maisonnée est joyeuse malgré l’absence de la figure maternelle disparue il y a quelques années. Le père Abdulaziz doit s’absenter quelques jours car il part en tournée avec son petit orchestre. Maryam doit se rendre à Dubaï pour candidater à un poste de chirurgien dans un grand hôpital. A l’aéroport un employé lui refuse l’accès au hall d’embarquement : il manque une autorisation de son père. Un simple SMS suffirait, mais son père, en tournée dans des zones désertiques, n’est pas joignable.

Elle ne peut aller à Dubaï … Folle de rage, à la suite d’un quiproquo, elle décide de se présenter aux élections municipales de sa ville. Elle est une femme, elle n’a jamais fait de politique, elle n’a pas de moyens financiers, elle n’est parrainée par personne.

Aidée par ses sœurs, Maryam se lance dans la périlleuse aventure…

The Perfect Candidate est le quatrième long métrage de fiction de la réalisatrice saoudienne (l’unique !) Haifaa al-Mansour (46 ans) qui nous avait ravi avec Wadja (2013), histoire d’une fillette saoudienne qui veut faire du vélo (Prix du meilleur film Art et Essai à la Mostra de Venise 2012). Pour tourner ce film dans les rues de Riyad, capitale de l’Arabie Saoudite, la réalisatrice a dû se cacher dans un van et donner ses indications par talkie-walkie : les femmes n’étant pas censées donner des ordres aux hommes ! Depuis l’oppression masculine dans ce pays s’est un peu desserré … mais le chemin est long et la pente rude. Le récit de The Perfect Candidate décrit par le menu une famille saoudienne de la classe moyenne : un père aimant, tolérant en souvenir de sa femme défunte, et ses trois filles, Maryam, Selma et Sara. C’est la force et la faiblesse du scénario de Haifaa al-Mansour qu’elle a co-écrit car le film alterne d’une manière systématique, le voyage du père musicien dans les contrées reculées du pays et les péripéties de son aînée secondée durant sa campagne électorale par ses deux sœurs. Le récit perd en fluidité et nous apparait heurté. Il n’en reste pas moins plaisant à visionner tant il distille des informations sociétales saugrenues, à notre regard, sur cette monarchie opaque.

Dans ce pays où l’Islam sunnite hanbalite (rigoriste) est reconnu comme religion d’état, les femmes ont peu de territoires où s’émanciper de la tutelle masculine toujours vigilante, tatillonne, n’accordant ici et là que quelques hochets (le droit de conduire, le droit de vote sous tutelle, accès contrôlé à l’instruction, etc.). Aussi face à ces codes stricts (vestimentaires, conduites sociales, etc.) la réalisatrice ruse un peu pour rendre son dernier opus acceptable par les autorités saoudienne (le cinéma y était interdit il y a peu d’années !). C’est donc par ses interstices que le dernier film de Haifaa al-Mansour est intéressant car il dresse en creux les us et coutumes de ce vaste pays à la fois fort riche, moderne (le pétrole), et indigent, réactionnaire (la société). C’est la description de ce paradoxe que la réalisatrice réussit malgré quelques maladresses narratives (le montage alterné).

The Perfect Candidate a été présenté en sélection officielle à la Mostra de Venise 2019.

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La réalisatrice saoudienne (l’unique !) Haifaa al-Mansour ©
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