C’est un pari audacieux et original qu’a pleinement réussi l’Ensemble Orchestral de Biarritz en choisissant d’associer un film de Charlot à son concert de Noël.
Au moment où le souvenir de Chaplin est actuellement souvent évoqué en ce 130ème anniversaire de sa naissance, avec plusieurs expositions, en particulier « Chaplin, l'homme-orchestre » à la Philharmonie de Paris pour redécouvrir l’œuvre de Charlie Chaplin dans sa dimension musicale, c’est un véritable tour de force que vient de réaliser Yves Bouillier avec son Ensemble Orchestral de Biarritz en programmant ce premier ciné-concert Chaplin sur la Cote Basque !
Un événement qui marquera les annales de la musique car c'est un exercice périlleux qui a demandé énormément de travail de mémorisation et de connexion entre images et son, film et musique. On peut parler ici de performance : il y a plus de 200 tempos différents dans la partition, ce qui exigeait une très grande concentration de la part du chef comme pour les 60 musiciens de l'orchestre. Nos chers musiciens ont travaillé cette partition depuis trois mois et pour ce qui concerne Yves Bouillier, il n'y eut pas une journée sans Chaplin (écoute de la musique et visionnage du film).
Et le résultat fut à la mesure des efforts consentis : après ma présentation de l'événement avec à la clef quelques anecdotes non dénuées d’humour sur le séjour de Chaplin au Pays Basque, contribuant à la convivialité du concert chère à Yves Bouillier - dont l’entrée sur la scène pour diriger l’orchestre en fringant « jeune premier » avec son chapeau-melon et sa canne était parfaitement en relation avec le personnage de Charlot -, comme lors des concerts précédents, et mieux encore sans doute, le chef a su conférer cet élan, ce dynamisme et cet enthousiasme qui ont littéralement emporté la salle, tout en préservant la virtuosité technique voulue par Charlie Chaplin qui était lui-même musicien, un des rares – à l’époque - cinéastes compositeurs de la musique de ses films... D’ailleurs, il jouait du piano et du violon qu’il emportait partout avec lui, et il composait ses mélodies en étant aidé d'un orchestrateur… La musique précèdait ainsi la parole dans ses films ; quand le cinéma sonore arriva, il ne supporta guère l'idée de dialogues car c'était pour lui perdre la pantomime de son personnage et son universalité – quelle voix, quelle langue -, alors qu’il pouvait faire accompagner ses images par un langage universel, celui de la musique qu'il choisissait note à note. Chaplin chantait ou jouait les mélodies et Arthur Johnston orchestrait ; c 'est à dire qu'il notait les mélodies chantées par Chaplin et revenait avec un arrangement plus étoffé ; ils débattaient ensuite ensemble de l'instrumentation.
Énergie et plaisir ont ainsi été les maîtres-mots de ce ciné-concert d’Yves Bouillier et de son Ensemble Orchestral dont le parfait ensemble et les riches couleurs sonores ont su alterner avec des moments d’infinie délicatesse - par exemple dans le thème de la jeune fleuriste aveugle - qui ont littéralement envoûté le public de la Gare du Midi : plus de 1200 spectateurs enthousiastes ont ovationné l’Ensemble Orchestral de Biarritz en exigeant un bis qu'Yves Bouillier s'est fait un plaisir de leur offrir !
Quand Harry d'Arrast pilotait son ami Charlie Chaplin sur la côte basque
Or, Yves Bouillier ne pouvait mieux choisir Charlie Chaplin et « Les lumières de la Ville » car, parmi les étoiles du 7ème Art hollywoodien qui firent de Biarritz leur destination privilégiée pendant les Années Folles, Charlot occupe une place de choix : il était précisément en Europe pour une tournée de présentation des « Lumières de la Ville » en compagnie de May Reeves, une créature troublante et mystérieuse qui lui inspirera plus tard "La Comtesse de Hong Kong". Ainsi, une photo prise vers 1931 au Bar Basque à Biarritz le montre attablé avec son mentor Harry d'Arrast : Henri d'Abbadie d'Arrast, le neveu du savant constructeur du château d'Abbadia sur la corniche hendayaise s’était fait connaître à Hollywood comme "Harry d'Arrast", le réalisateur de "Service for Ladies", "Serenade", "Topaze" d'après Pagnol et "A Gentleman of Paris". Il avait amené dans son château d’Etchauz à Baïgorri son ami Charlie Chaplin, en tournée de promotion de son film « Les lumières de la ville ». Il y a d’ailleurs beaucoup d’anecdotes concernant le séjour de Charlie Chaplin sur la côte basque, combien il aimait fréquenter l’aristocratie, comment il écartait avec humour les importuns lancés à ses trousses : car, s'adonnant en toute quiétude aux joies combinées du tennis, du golf et du canot à moteur, assistant même à une corrida à Saint-Sébastien, Charlot fuyait les honneurs et les réceptions officielles, se défiant particulièrement des journalistes.
Quant à l'Ensemble Orchestral de Biarritz, créé en 2016, il est essentiellement composé de musiciens amateurs confirmés : des jeunes élèves de conservatoire, des jeunes en devenir (futur Pros) ; des musiciens amateurs adultes anciens élèves au conservatoire, des professionnels à la retraite et quelques musiciens pros qui ont envie d'apporter leur expérience de musiciens d'orchestre. C'est la passion, le plaisir et le partage qui animent tous ces musiciens qui sont âgés de 15 à 86 ans, ce qui apporte de très belles valeurs d'échanges et d'intergénérationnalité… et depuis quatre ans, la formation a touché des esthétiques différentes avec des projets variés : cela a pu aller d'un "Pierre et le Loup" avec Pierre Bellemare comme récitant en 2016 , jusqu'au concert Symphonique présenté par Lodéon avec des pièces emblématiques comme le Boléro de Ravel ou encore le requiem de Mozart à la cathédrale le 11 nov 2018... Leur prochain concert s'intitule "Biarritz- Oslo à l'unisson": le 10 mai à la Gare du midi, notre orchestre biarrot donnera en commun avec l'orchestre symphonique d'Oslo un concert qui sera présenté par Eve Ruggieri.