« Oncle Vania » d'Anton Tchekhov sera « réinterprété » par la Cie Théâtrale Francophone de Montpellier au Théâtre AIEC de Cambo samedi 21 janvier prochain.
Dans cette adaptation et mise en scène de Philippe Nicaud avec ses cinq comédiens - lauréats du « coup de cœur de la presse » du dernier festival d'Avignon -, le chef d’œuvre de Tchekhov a été « recentré sur les cinq personnages principaux : on ne dort plus, on ne travaille plus, on mange à des heures impossibles. Rien ne va plus au domaine depuis que le “Herr Professeur” et son épouse Elena s’y sont installés. On en crève de ne pas avoir vécu, alors on boit, on danse, on chante, on rit, on pleure à n’en plus finir. Tout cela est malsain. Il fait une chaleur infernale. On étouffe. L’étau se resserre. L’orage va éclater... Lentement, pris dans cette spirale infernale de passions interdites et pas assez vécues, nos 5 héros frôleront la mort de près, nombre de fois. Rongés par l’ennui, par l’inaction, par l’ivresse, ils ne peuvent s’empêcher pourtant de nous faire rire car quand le pathétique atteint son paroxysme, l’humour est le dernier rempart à la folie meurtrière ».
Pour le metteur en scène Philippe Nicaud : « Plonger au cœur de l’extrême tension qui relie les protagonistes principaux de cette douloureuse histoire de famille. En tirer la quintessence dans toute sa violence, sa puissance, mais aussi dans son absurde drôlerie : voilà comment nous avons travaillé jusqu’à faire surgir notre Vania, une tragi-comédie éternellement moderne ».
Qu’eut dit Tchekhov de cette adaptation « drôle, dévorant et poétique, un précipité de violence et de tendresse mêlées, au point que la vie même est là devant nous tout simplement », comme l’analysait un critique ?
Tchekhov sur la côte basque
L’écrivain russe était né le 17 janvier 1860, à la veille de l’abolition du servage (en 1861) par le tsar Alexandre II, auteur des nombreuses réformes qui facilitèrent le prodigieux décollage économique et social de la Russie à la fin du XIXe siècle.
Il était précisément le petit-fils d'un serf libéré sous Alexandre II et fils d'un petit épicier moscovite failli, ce qui ne l'empêcha aucunement de réussir ses études de médecine et de briller très tôt dans le monde des lettres, aussitôt la vingtaine accomplie. Car pour s'imposer dans la Russie impériale en ce XIXe siècle finissant, le talent comptait autant sinon plus que l'origine sociale. Tchékhov considérait « la médecine comme sa femme légitime et la littérature comme sa maîtresse », et lorsqu'il s'ennuyait avec l'une, il allait coucher avec l'autre ! Des ennuis de santé (il fut victime d’une crise d’hémoptysie en mars et cracha du sang par les bronches) et des déboires littéraires (l’échec de sa pièce « La Mouette » au théâtre Alexandrinski de Saint-Pétersbourg en 1896) l'amenèrent en convalescence à Biarritz où il descendit à l'hôtel Victoria le 8 septembre 1897 sous des trombes d'eau agitées de rafales de noroît.
A peine arrivé, il s'empresse d'écrire pour donner de ses nouvelles et communiquer son adresse aux proches restés en Russie.
Il décrit sa chambre, le déjeuner, qu’il trouve trop copieux (5 plats) et le temps, « en général, pas fameux, surtout en matinée, mais il suffit que le soleil se montre pour qu'il fasse chaud et gai »... Il passera dès lors ses journées dans de grands fauteuils d'osier qui le protégeront du vent. Tchékhov en profite pour « avaler des journaux et observer une foule bariolée où passent des ministres, de riches juifs, des Espagnols, des caniches, les robes, les ombrelles multicolores, le soleil éclatant, beaucoup d'eau, les rochers, les harpes, les guitares, le chant »... Tout cela réuni « le transporte à cent mille verstes de Mélikhovo » (sa propriété).
« Mais le plus intéressant, ici, c'est l'océan qui continue de gronder même par temps calme » !
Il remarque les femmes pendant son séjour, « il y en a beaucoup à Biarritz ». Tchekhov rencontre même une jeune fille nommée Margot et l'engage soi-disant pour apprendre le français. Ce flirt va durer jusqu'à son départ de Biarritz.
Tchékhov sort et dépense beaucoup d'argent ; il note : « dans ma poche l'argent fond comme de la glace ». Il est obligé d'en faire venir de Russie car il s'est offert, entre autres, une petite folie : un chapeau haut de forme. « Ici tout est si élégant, si joli, si bon marché, que les mains éprouvent des démangeaisons pour sortir l'argent des poches ».
Il ne s'ennuie guère, se promène, écoute des musiciens aveugles sur la plage, se rend au Casino où il assiste à une représentation de "La Belle Hélène" et découvre à Bayonne les courses de vaches : « Les picadors espagnols luttaient avec les vaches. Celles-ci, excitées et assez adroites, poursuivaient tels des chiens les picadors dans l'arène. Le public était enragé ».
Il va souvent au marché qu'il trouve intéressant. Il fréquente peu ses compatriotes : « il y a beaucoup, beaucoup de Russes ».
Mais le temps se gâte, il pleut à nouveau, le vent souffle très fort et le 5 octobre, Tchékhov s'apprête à quitter Biarritz à regret. Son séjour dans notre ville dut lui porter chance car l'année suivante, « la Mouette » connut un succès éclatant au Théâtre d'Art de Moscou grâce au talent de Stanislavski, son directeur.
De retour de son périple français, Tchekov s'installa définitivement dans le midi de la Russie, à Yalta, où les artistes et les écrivains les plus célèbres ne manquèrent pas de lui rendre visite.
« La Dame au petit chien », « Oncle Vania », « Les Trois sœurs », « La Cerisaie », figurent parmi les chefs d'œuvre qu'il y composa, mais sa santé s'étant encore aggravée, il partit pour une cure à à Badenweiler en Forêt Noire où il mourut le 2 juillet 1904.
En témoin fidèle d'une certaine époque de la vie russe, Tchekov restitua dans ces pièces les types, les décors et les humeurs de ces véritables « drames du quotidien où la vie est laissée telle qu'elle est et les gens tels qu'ils sont, vrais et non boursouflés ». Bien que Tchekhov montre souvent « une vie faite d'horreurs, de soucis et de médiocrités qui se suivent et se chevauchent », mais sans dénoncer les êtres ni les institutions, sa formation scientifique lui fera toutefois garder quelque espoir dans le progrès de l’humanité. Car, affirme-t-il, « l'artiste doit être un témoin impartial (...), le littérateur doit être aussi objectif que le chimiste ».
Pendant la période noire de l’emprise communiste sur l’intelligentsia russe, de grands créateurs condamnés à « l’exil intérieur » se réfugieront dans l'adaptation de ses chefs-d'œuvre, tel le cinéaste russe Nikita Mikhalkov dont la « Partition inachevée pour piano mécanique » (d’après la première pièce de Tchekhov, « Platonov ») reçut la « Concha de Oro » au Festival de Saint-Sébastien. Mais, tout en adaptant Tchekhov, Mikhalkov glissait son petit message : une nostalgie terrible de l'ancien temps, de cette Russie où la terre avait un sens, où l'âme régnait, où le Tsar protégeait le pays de son autorité. Une nostalgie et toute la mélancolie de la terre russe que l’on trouve dans les œuvres de Tchekhov et dans beaucoup de compositions de Tchaïkovsky (on peut lire la relation complète du séjour de Tchekhov à Biarritz dans mon livre « La Tournée des Grands-ducs » publié aux éditions Atlantica).
Samedi 21 janvier à 21 h au Théâtre AIEC, Square Albeniz à Cambo, « Oncle Vania » d'Anton Tchekhov. Entrées : 12 euros / 10 euros (tarifs réduits, adhérents)
Gratuit pour les moins de 15 ans.