A Biarritz samedi 24 avril dernier, journée nationale officielle, de commémoration du Génocide des Arméniens, une cérémonie très émouvante et empreinte de solennité a eu lieu au Monument aux morts, en présence du sous-Préfet de Bayonne Philippe Le Moing-Surzur, du Maire de Biarritz Maider Arosteguy et de ses adjoints, des sénateurs Frédérique Espagnac et Max Brisson, du député Vincent Bru, de Mr le Consul (h) de Russie, Alexandre de La Cerda, et des représentants des Maires de Bayonne et Anglet.
Après le discours du Président d'AgurArménie Clément Parakian et celui du Sous-Préfet, la sonnerie aux morts suivie de la minute de silence observée en hommage aux morts arméniens, aux anciens combattants et à leurs porte-drapeaux. Et la Marseillaise a retenti, suivie du beau texte poignant de Charles Aznavour, "Ils sont tombés" lu par Lucie Houbouyan.
La cérémonie s'est terminée au son du duduk de Levon Minassian..
En dépit des conditions sanitaires beaucoup de participants ont voulu honorer la mémoire des 1,5 million de victimes du 1er génocide du XXe siècle. Merci à ceux qui n'avaient pas l'autorisation "des 10kms" pour leurs messages de soutien et leurs pensées.
Allocution de Clément Parakian, président d’Agur Arménie
Je suis comme nombre d’Arméniens en France enfanté par des parents déportés de l’amère patrie ancestrale. Les miens venaient d’un village près d’Angora dont les traditions de culture, de langue, de mœurs ont provoqué à leur arrivée un choc, amplifié par le ressenti honteux du bannissement mais adouci par le côtoiement de nombreux autres Arméniens éparpillés, disséminés et retrouvés.
Ils n’ont plus rien, ils recréent une vie, une pauvre vie, Ils remercient et plus, ils vénèrent le pays qui les accueille d’autant que selon la formule ténébreuse et indéfinie inscrite sur leur passeport Nansen : « ils ne peuvent retourner.»
Une sinistre cohorte fait son apparition : les apatrides ! Comme beaucoup d’autres, ils ne reverront jamais leur village -Stanoz- fort de 7000 habitants dont il ne reste maison, ni église. Seuls les restes du cimetière sont toujours frénétiquement profanés à la recherche des « trésors » des Arméniens qui , bizarrement n’ont jamais vécu là ; il faut dire qu’ils ne représentaient que 90 % de la population !
Jeune enfant, je suis à l’état-civil, fils de réfugié apatride qui apprend à chanter « Allons enfants de Patrie », J’appris seul la langue française et je fais mienne la phrase d’Albert Camus : « ma patrie, c’est la langue française ! ». J’aime la France, sa culture, son histoire, sa cuisine en concurrence chauvine avec la cuisine maternelle arménienne.
A l’âge de 15 ans, je deviens officiellement Français par naturalisation dont je ne résiste pas à vous délivrer la définition du Larousse : Acclimatation dans un lieu éloigné de la région d’origine consécutive à une introduction volontaire ou accidentelle ».
Inconsciemment, je refuse le bannissement des miens, serai-je le fruit amer d’un arbre sans tronc ni racines ?
Cette évocation qui peut apparaître personnelle évoque la souffrance commune de nombreux parcours similaires ; elle souhaite faire résonner chaque conscience individuelle avec notre modeste destin collectif qui se cristallise ici, par hasard, au Pays Basque.
En 2012, je rejoins l’Association culturelle Agur Arménie créée en 2006 par quelque pionniers dont Lucie, fiers de leur mission : faire émerger le continent enfoui de nos traditions, de notre culture tri millénaire, de notre Histoire souvent douloureuse ; et aussi nous faire mieux connaître de nos compatriotes, nous les enfants et petits-enfants oubliés d’un génocide ignoré et toujours dénié par ses auteurs .
Faire parler de l’Arménie et des Arméniens au Pays Basque, terre de très faible ensemencement, le défi ne manque pas de panache !
Après 15 ans d’actions remarquables menées par les initiateurs et perpétuées par toutes les forces vives de l’association que je tiens à remercier chaleureusement, Agur Arménie est un adolescent désormais ancré solidement dans sa région.
Cet ancrage sera bientôt matérialisé par la pose d’une stèle, ici au Monument aux Morts, pierre érigée et gravée à la mémoire d’1 million et demi de disparus, le 1er génocide du 20 e siècle.
Au nom de tous nos membres, je tiens à remercier particulièrement la ville de Biarritz représentée par son Maire Maider Arostéguy d’avoir accepté et plus encore nous aider à installer ce « khatchkar », croix de pierre, à la mémoire de nos disparus innocents.
Nos morts sans sépulture auront enfin un foyer : un petit cimetière minéral dans le joli bord de mer de la Biarritz lumineuse.
J’avais pris la parole ici en 2016 pour rappeler que 100 ans de non-reconnaissance du Génocide des Arméniens par la Turquie devenait une éternité, hélas il se confirme que l’éternité est sans fin !
Je rappelle cette cruelle et sinistre statistique : trois-quarts des nations mondiales, c’est-à-dire la Communauté internationale, refusent de reconnaître la réalité du Génocide des Arméniens.
Depuis plus d’un an, notre pays traverse une pandémie responsable de plus de 100.000 morts pour autant de familles douloureusement meurtries.
Cette situation nationale n’est pas sans rappeler, toutes proportions gardées, le contexte imprévisible et dramatique de la première guerre mondiale, prétexte pour l’Empire ottoman au déclenchement avec préméditation, de la disparition d’un peuple premier, autochtone, cultivé et christianisé depuis les origines .
Réplique des situations dramatiques, 1915-2020, l’Azerbaïdjan et son bras armé, la Turquie ont envahi et occupent une grande partie du Haut-Karabagh, berceau ancestral arménien. Les drames humains et les destructions sont massifs.
L’amertume et la colère ressenties par les Arméniens, la diaspora et tous les cœurs amis sont amplifiées par la confirmation de l’emploi de drones offensifs, interdits par la Convention de Genève, provoquant des dégâts corporels et psychologiques inouïs.
1896-1915-2020 accréditent l’idée philosophique nietzschéenne de l’éternel retour ; on peut aisément comprendre cette notion après avoir répondu à la question : comment nomme-t-on un conflit opposant l’Azerbaïdjan à l’Arménie ? Un conflit azéro-arménien !
Zéro arménien, cri cruel et bestial aboyé, le 24 avril 1915, par un aréopage meurtrier dont les noms personnalisent, par provocation morbide, les rues et places prestigieuses des grandes villes turques.
Ce cri a déjà été entendu en 1896 et l’a été en 2020. C’est cela l’éternel retour !
Le déni de justice humanitaire vécu par les Arméniens rend notre tristesse chaque année plus profonde ; le temps lui aussi est assassin, nous le constatons à chaque commémoration qui nous éloigne inexorablement de l’origine du meurtre prémédité et toujours impuni.
Mes chers Amis, nous sommes ensemble aujourd’hui et je voudrai profiter de cet instant de fraternité pour vous citer les premières lignes du premier livre imprimé en langue basque, c’était en 1531, il est écrit par l’abbé Decheparre : « le peuple basque comme de nombreux peuples vient d’Arménie... »
Poème "Ils sont tombés" de Charles Aznavour, lu par Lucie Houbouyan
Ils Sont Tombés sans trop savoir pourquoi
Hommes, femmes et enfants qui ne voulaient que vivre
Avec des gestes lourds comme des hommes libres
Mutilés, massacrés les yeux ouverts d’effroi
Ils Sont Tombés en invoquant leur Dieu
Au seuil de leur église ou le pas de leur porte
En troupeaux de désert titubant en cohorte
Terrassés par la soif, la faim, le fer, le feu
Nul n’éleva la voix dans un monde euphorique
Tandis que croupissait un peuple dans son sang
L’Europe découvrait le jazz et sa musique
Les plaintes de trompettes couvraient les cris d'enfants
Ils Sont Tombés pudiquement sans bruit
Par milliers, par millions, sans que le monde bouge
Devenant un instant minuscules fleurs rouges
Recouverts par un vent de sable et puis d'oubli
Ils Sont Tombés les yeux plein de soleil
Comme un oiseau qu'en vol une balle fracasse
Pour mourir n’importe où et sans laisser de traces
Ignorés, oubliés dans leur dernier sommeil
Ils Sont Tombés en croyant ingénus
Que leurs enfants pourraient continuer leur enfance
Qu’un jour ils fouleraient des terres d’espérance
Dans des pays couverts d’hommes aux mains tendues
Moi, je suis de ce peuple qui dort sans sépulture
Qui a choisi de mourir sans abdiquer sa foi
Qui n’a jamais baissé la tête sous l’injure
Qui survit malgré tout et qui ne se plaint pas
Ils Sont Tombés pour entrer dans la nuit
Éternelle des temps au bout de leur courage
La mort les a frappés sans demander leur âge
Puisqu’ils étaient fautifs d’être enfants d’Arménie
Charles Aznavour