A - Le colloque de cette année proposé par Pax Christi France le 24 mars dernier au Centre Sèvres avait pour intitulé “Quelles missions pour l’Europe en 2019”. Alfonso Zardi, dans le billet introductif au programme, rappelait “le désir du Mouvement Pax Christi de faire le point sur l’avenir du projet européen, à l’heure où des intérêts géostratégiques d’un continent en paix sont chahutés par des puissances, Russie, Chine, Amérique, en lutte pour l’hégémonie mondiale”. Or, le 26 mai prochain, les élections européennes constitueront lune épreuve de vérité pour l’avenir commun du continent, pour chacun et les générations à venir.
Pax Christi a voulu lancer la réflexion, alimenter le débat et diffuser des informations sur l’état de l’Union. Ce colloque s’inscrit dans l’esprit de l’origine du Mouvement dès 1945, tourné vers l’avenir européen du continent dès la fin de la guerre.
B - Mgr Marc Stenger, Président de Pax Christi France, introduit le colloque en interrogeant chacun sur “le sens à vouloir pour l’europe partagée ensemble, au bénérice de la paix, de la sécurité et de la justice entre les pays de la communauté. Pax Christi demeure au centre de ce projet par le bien commun de l’homme au coeur de ces défis présents de la démocratie, de l’environnement fondés sur des valeurs chrétiennes telles que voulues par les fondateurs.”
C - Catherine Billet, déléguée nationale en fin de mandat, rappelle la préparation du colloque assurée par Alfonso Zardi du Conseil de l’Europe, et confirme que “Pax Christi est né de l’Europe, pour construire une Europe commune, celle de la paix qui demeure la ligne continue de ses actions.”
D - Alfonso Zardi souligne ”les enjeux gigantesques du projet européen, dans le sens des décisions parlementaires de l’Union, dans un temps de revitalisation en cours de nouveaux enjeux d’un projet civique à mener ensemble.” Pour la première fois, 28 Etats organisent cette consultation unique au monde à laquelle les chrétiens de diverse origine, catholique, protestante, orthodoxe participent. Quel est l’état de l’europe au milieu des menaces et des tensions actuelles, interrogera A. Zardi dans son propos liminaire du colloque.
E - Sébastien Maillard, directeur de l’Institut Jacques Delors, parle en premier. Ancien journaliste à La Croix, correspondant à Rome et Bruxelles et diverses capitales européennes. Spécialiste des questions européennes qu’il a enseignées à Paris à Sciences-Po et à Boston College, il est l’auteur de “Faire l’Europe dans un monde de brutes avec Enrico Letta” aux éditions Fayard. Rappelant le premier mot prononcé par Robert Schuman dans sa déclaration célèbre, “servir la paix mondiale. La paix dans ses deux volets, intérieur européen, extérieur hors de l’europe. Marché intérieur et ses réalisations, marché entre pays, l’euro comme monnaie d’échange, Schengen et la Pac des échanges agricoles de l’Union.
La première volonté des européens fut d’assurer l’indépendance alimentaire du continent, dans un enthousiasme positif et irréversible avant les imprévisibles qui suivirent. La décolonisation, puis la chute du Mur de Berlin, des guerres au sein de l’Europe seront des secousses accentuées encore par le terrorisme, daesh, les guerres du printemps arabe à l’extérieur, et l’afflux des migrants qui justifient que la mondialisation n’est plus euro-centrée dans un espace où les Européens ne représentent que 7 % de la population totale de la terre.”
Olivier Maillard souligne l’avènement encore de pouvoirs autoritaires dans et hors d’Europe, et l’arrivée de mouvements populistes en Italie, en Hongrie, en Espagne, en Autriche, aux Pays Bas, en Suède, auprès de trois catégories de population plus réceptives : ”les oubliés de la démocratie, les perdus culturels qui ont le sentiment de ne plus disposer d’une sécurité culturelle, les régions en marge en europe, craignant leur disparition à terme.”
Un certain ordre communautaire fut dès lors remis en cause, dira O. Maillard, par le rappel de l’article 7 de l’Union Européenne, ou l’article 50 activant le Brexit au Royaume-Uni. La décision du PPE européen de ne plus recevoir le parti hongrois du président Orban est aussi une décision inédite pour l’heure dans l’Union jusqu’à ce jour. Le temps actuel est celui des paradoxes. Il n’y a de -brexit domino- d’autres d’autres pays européens, ni de frexit, ni fin de l’euro, sinon une prudence effective des nationaux face aux tergiversations anglaises qui ne veulent pas de l’Europe, mais sans volonté réelle de la quitter… “Le choix de l’Europe a gagné dans le civisme des Européens. Celui de la liberté, celui de comprendre la singularité d’un passeport européen pour des étrangers, celui de mesurer la garantie d’une union douanière et de ses protections du marché européen, l’euro gagne en valeur sur des monnaies étrangères.“ Mais les risques sont présents. La Chine est désignée désormais de ”concurrent systémique”, et la nature des rapports extérieurs prend le visage “d’une Europe géopolitique” de plus en plus engagée dans la défense même de ses intérêts. Si l’Europe bénéficia d’un modèle social européen, au fil “d’une europe de la civilisation” voulue à l’échelle du continent, les menaces d’entraver ce privilège d’antan demeurent.
L’Europe a connu ses divisions internes, la guerre en Yougoslavie. Les menaces actuelles ne sont pas de même nature. Portées par des nationalismes populistes , il revient aux Européens de prendre au sérieux la qualité de ces élections prochaines, plus européennes encore que les précédentes, de dimension plus large et qui doivent instruire le civisme européen dans la défense des droits des citoyens de l’Union.
F - Joseph Jamar intervient ensuite. Son parcours personnel est celui d’un Européen convaincu. Sa carrière professionnelles conjugue les responsabilités au sein de la Commission européenne et des engagements personnels comme auteur de plusieurs livres récents sur la Grèce et l’union européenne, « Pourquoi aimer l’Europe maintenant », « Lettres à Byron », « La deuxième chance », « Les larmes d’Ulysse ».
Joseph Jamar rappelle combien la situation actuelle est inédite en Europe. Des gens hostiles à l’Europe ad intra et ad extra. Les informations fausses distillées par les réseaux sociaux et de puissants organes de propagande internationale rendent vulnérables les moyens institutionnels existant en Europe peu préparés à ces campagnes. “Associé à des mouvements populistes qui se développeront au moment de la crise économique de 2008-09 (celle-ci ayant accentué un glissement vers l’austérité partagée), le courant euro sceptique a pris racine, appuyé par des médias sociaux qui ont ajouté au discrédit européen des informations fausses et sans contrôle, ni contrepartie de l’information.” Les défis à venir se conjuguent désormais dans la solution aux enjeux de fiscalités internationales, des défis climatiques, des questions de défense et de menaces de conflits sur la sécurité des Etats et des citoyens. “Il faut désormais convenir d’une ambition géo politique amplifiée par ces risques latents après un temps d’ambition politique commune partagée au sein de l’Union, au cours des dernières décennies en temps de paix et d’une sécurité garantie de risques sous contrôles.”
G - Birte Wassenberg universitaire, professeur d’histoire contemporaine à l’Institut d’Etudes Politiques de Strasbourg, titulaire d’une chaire Jean Monnet évoque les risques populistes actuels et les relations franco allemandes. Le populisme est un risque accentué de l’abstention, dira-t-elle. La réponse immédiate des citoyens est de participer aux élections pour en contenir les conséquences. Analysant l’évolution de l’abstention sur le déroulé d’élections précédentes, la conférencière rapporte que la réponse revient aux électeurs, à qui est demandé de se déterminer par eux mêmes sur la portée de ces votes.
H - Gaël Giraud, Chef économiste de l’Agence Française de Développement depuis 2015, directeur au CNRS, ses études portent sur la construction d’un indice mesurant la qualité du lien social et des modèles des décisions sur les enjeux de la transition écologique.
Expert financier, consultant, membre de la commission Stern-Stiglitz sur les prix du carbone, ses recherches font l’objet de parutions et d’un doctorat en cours de finition. Intervenant au Centre Sèvres tout le long de l’année...
L’exposé de Gaël Giraud évoque “la zone monétaire de l’euro dans une version optimale telle que voulue par ses promoteurs mais qui accentue les divergences de la croissance entre le nord et le sud du continent européen.” Les réponses techniques de l’expert parlent de politique financière à revisiter à nouveau par les dirigeants politiques européens. Ne plus pratiquer l’austérité financière conjoncturelle au vu de l’état de la Grèce soumis à un régime insupportable pour son économie de pays du sud du continent en souffrance. Prendre des mesures équitables pour chaque pays à la mesure de ses forces économiques.Le conférencier distinguera trois cas de figures envisageables… Pour interpréter les Traités Européens existants, à savoir le seuil des 3 % des déficits publics imposés qui doit être aménagé.
La Commission Européenne doit prendre des mesures en ce sens, dira Gaël Giraud. “Au bénéfice de la question sociale des citoyens de l’Union, et de l’écologie qui sont de véritables enjeux du futur. L’exposé des mesures est destiné aux Banques BCE et BEI à qui revient la légitimité des décisions à proposer. Au partage des tâches relevant de la Commission Européenne et au Parlement Européen, la BCE doit se soumettre au corps politique européen, et ne plus agir selon des critères extra parlementaires.” Il est venu le temps de réviser des dogmes européens, et d’ouvrir des voies de coopération plus soutenue par delà des volontés concurrentes des Etats nationaux entre eux, rapporte le conférencier. Le protectionnisme demeure un sujet tabou, le projet économique européen doit retrouver une ambition au service de la Communauté Européenne selon un type de société qui demeure encore à construire. Pour éviter les tentatives de Brexit, Frexit, et des risques latents des plus riches à bâtir une union commune aux franges de la Communauté à 28.
I - Antoine Arjakovsky intervient ensuite. Haut fonctionnaire du Quai d’Orsay, artisan de la paix, membre des Semaines Sociales, Directeur de recherches aux Bernardins, Créateur de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation entre la Russie - l’Ukraine et l’Union Européenne. Auteur de plusieurs dizaines de livres dont Retrouver le goût de l’aventure européenne écrit avec Jean Baptiste Arnaud l’intervention de l’exposé est suivie avec grand intérêt. L’auteur relate librement ses thèses. “L’Europe aujourd’hui est menacée par la propagande dans une guerre hybride où les armes effectives sont les réseaux sociaux et numériques selon l’adage partagé “si rien n’est vrai, tout est possible”...
- La guerre prend un visage invisible, et la propagande-information devient une réelle menace pour les Etats et les citoyens.
- L’urgence de l’heure est de mieux former les médias et les réseaux d’informations pour parler non de façon exclusive de guerre, sinon de rappeler les bienfaits de la paix.
- Enseigner l’histoire commune européenne devient un enjeu face aux risques nationalistes d’un enseignement aux franges populistes, de courte vue et de dimension étroite.
- Apprendre à croiser des regards et des enseignements, franchir les frontières des Etats et confronter les connaissances.
Les propositions du conférencier sont multiples. Elles ouvrent des voies nouvelles d’une ambition pour l’Europe plus à même de comprendre et partager des espaces de vie entre tous.
J - Marc Peix et Albrecht Knoch illustreront le dialogue décennal porté par les chrétiens des deux rives du rhin, entre la France et l’Allemagne, des chrétiens autour de l’europe, “pour réconcilier au fil du temps et rapprocher deux pays divisés par les guerres du passé.”
Catholique pour le premier, protestant pour le second, leur travail partagé ensemble demeure un laboratoire de propositions à venir en d’autres régions de l’europe, où l’histoire a pu unir ou diviser les églises entre elles.
Il fut rappelé l’existence de 500 millions de chrétiens en europe, 250 millions de confession catholique, 180 millions réunis au sein de la KEK : protestants, orthodoxes de 113 églises membres. Depuis la déclaration de 1945 du repentir des chrétiens allemands, bien du chemin a été accompli, par la réintégration des chrétiens des deux rives dans le réseau des chrétiens européens. De nouvelles sollicitations attendent les chrétiens, autour des migrants, des questions écologiques, du climat, et des commissions sociales sur le bénéfice du travail partagé. En 2001 la Charte oecuménique des chrétiens fut un pas de plus en faveur des églises engagées ensemble mais les chrétiens sont encore sollicités à ce jour “pour porter le ambitions de l’europe avec la société civile au delà des appartenances religieuses de nos origines.” Pax Christi, bien des décennies après sa fondation, relève de nouveaux objectifs, car désormais bien de ces défis proviennent de l’extérieur de l’espace européen commun aux 28 Etats de l’Union.
Le colloque parisien fut de premier intérêt, légitime et indispensable aux artisans de paix en quête de ressourcement personnel à la veille d’élections civiques déterminantes pour l’avenir !
Dans la tradition fidèle d’un Mouvement qui n’a pas oublié ses racines chrétiennes mais les revitalisent au contact de la vie présente.
François-Xavier Esponde (Pax Christi Bayonne)