A - L'image religieuse interdite à ses débuts
Dans le monde contemporain de l'image dominante sur le texte on s'interroge sur les représentations de la vie de Jésus aux origines du christianisme. Et les surprises sont de taille, autorisées, interdites et restaurées, les images de l'art chrétien ont traversé des temps controversés de ce passé.
Et les historiens disent que "dans les deux premiers siècles le christianisme né en terre juive originelle se passe de telles images figurées du Christ." En terre juive le second commandement "tu ne feras aucune image ,aucune idole de ce qui est là haut dans les cieux, ou en bas sur la terre, ou dans les eaux par dessous la terre" domine les esprits. Ex 20, 4 ; Deut 5, 8 Comprenons que pour un témoin de cet interdit, voir dieu serait s'assurer sa perte, Moise voulant contempler l'Eternel en gloire s'entend dire, "tu ne pourras pas voir mon visage car un être humain ne peut pas me voir et rester en vie." E x 33, 20."
En chaque Théophanie, Dieu ne se montre dans le récit biblique que sous la forme d'une présence ou d'une lumière.
L'image demeure interdite par refus d'idolâtrie et respect absolu du monothéisme. Les religions non bibliques entretiennent les images des divinités dans leurs sanctuaires, de statuettes matérielles objets du culte . Si à l'origine Yahvé est un dieu parmi les autres dieux environnants, après l'Exil, le judaïsme le considère comme le Seul dieu et l'Unique. Non représenté pour n'être l'objet d'un culte comme les autres. Par respect absolu de son être. Cependant en toute discrétion, les chrétiens se reconnaissent entre eux aux croix, aux figures comme l'ancre, le poisson en grec Ichthus ou "Jésus Christ Fils de Dieu Sauveur". Des mosaïques du II et III ème siècle l'attestent en des villas ou des bijoux, faute d'églises, ces symboles sont gravées dans des demeures privées.
Viendra donc le temps du passage des symboles aux images. Dans les catacombes du IIIème siècle, suite à des fouilles récentes faites au XVIIIème siècle, où des scènes bibliques dominent sans exclusive mais non réservées à la seule figure christique. Scène du temps du Premier testament, Jonas comme tel est craché par un gros poisson, ou la guérison du paralytique par un jésus guérisseur est illustré. Les artistes chrétiens des origines s'interrogent sur la mort et l' après, le repos éternel s'adressant au christ incarné comme le berger "criophore" bon pasteur et sauveur des âmes disparues.
Au fil des discussions théologiques qui domineront l'histoire qui suit, l'interdit biblique fait place aux débats des savants, sur la nature christologique et trinitaire de la foi par les Conciles tenus pour la diffuser, et combattre les hérésies.
Nous connaissons les catacombes latines et romaines, mais la tradition grecque dispose de ses propres ressources historiques et iconographiques. A Doura Europos sur les rives syriennes de l'Euphrate découvertes en 1920, les vestiges dévoilent des trésors enfouis in situ des IIème et IIIème siècles. A savoir, des temples païens, une synagogue et un "domus ecclesiae" chrétien originel. Les images picturales sont présentes en toutes, sans exception,
Et pour le bénéfice de la maison d'église des baptisés, un baptistère, des peintures murales de 232 représentant Jésus thaumaturge guérissant le paralytique et sauvant Pierre de la noyade. Des lignes esthétiques sobres, presque dépouillées et comparé aux images présentes dans la synagogue d'une pauvreté qui envierait la richesse contenue dans les images de la synagogue !
Par les images des catacombes se vit une catéchèse et une théologie dans une intention appropriée destinée aux fidèles en quête de comprendre le contenu de la foi. Autant d'images régulièrement réaffirmées en Occident, celui d'un rôle assez éloigné du culte dont elles feront ensuite l'objet en Orient. Une stylisation des images au cours des siècles. variable en Occident selon l'histoire passée.
B - Constantin soutient l'iconographie chrétienne.
Avec Constantin et l'édit de tolérance, en 313, le christianisme sort de sa clandestinité et devient la religion officielle de l'empire romain. Déplaçant de Rome à Byzance - Constantinople la capitale, Constantin ordonne l'édification des basiliques romaines pour valoriser par leur image la grandeur religieuse du christianisme. L'image devient prépondérante en occident, par l'architecture, le culte des reliques des saints martyrs qui attirent les premiers pèlerins. Au milieu de toutes ces représentations en images, on représentera désormais jésus le Christ et sa mère indélébilement unis l'un et l'autre.
Les églises bâties en terre sainte à partir de Constantin jouent un rôle majeur dans le développement des images religieuses. des modèles de Jérusalem devenant des objets souvenirs rapportés chez eux au terme d'un pèlerinage ou par des voyageurs. Le Vatican conserve un beau reliquaire en bois peint du VI ème siècle, dont le couvercle est orné à l'intérieur de scènes de la vie du christ. Des références sont ainsi reprises dans des manuscrits médiévaux ou les icônes les plus anciennes !
Une question demeure ; sur quel modèle ancien peut-on se représenter le christ ? Il faut attendre le IVème siècle pour repérer une réponse artistique polymorphe ? Christ est jeune et imberbe, ou barbu avec des cheveux longs et bruns. Les Grecs représentent ainsi Christ en Hélios avec des rayons qui sortent de sa tête ou Jupiter avec ses attributs. En gloire, en majesté sur un trône ! Source de lumière ardente.
De quand sont les icônes ou planches en bois peintes sur fond or représentant le Christ, la Vierge et les Saints ? Il faut remonter au VIème siècle. Avant, cela est possible mais non prouvé par les archéologues : cet art appartient à l'empire romain d'Orient né à Constantinople et à Antioche ou Alexandrie, en ces centres intellectuels de l'époque. Ces portraits ont des rapports avec les portraits funéraires égyptiens, dits "portraits de Fayoum". Des images comparables aux ex - voto, ou aux figures impériales romaines déposées dans les temples en souvenir de ces augustes majestés adorées comme divinités.
L'intérêt de ces icônes est de témoigner de leur existence avant la querelle iconoclaste qui en détruira par centaines lors des joutes théologiques et politiques à leur propos. A Rome, à Sainte Catherine sur le Sinaï, leur héritage préservé est un trésor patrimonial et religieux inestimable. On pense naturellement au christ pantocrator, repris sans cesse dans la peinture ou les mosaïques du VIème siècle, vraisemblablement offert à sainte Catherine par l'empereur Justinien lors de la fondation du monastère égyptien.
A partir du VIème siècle, le modèle du Sinaï devient le modèle du Christ Pantocrator qui se transmettra de génération en génération. Les historiens de l'art ajoutent, une copie dans l'icône du Christ et de l'abbé Ména, une œuvre copte datant du VIème siècle. conservée au Louvre. Encore dans les mosaïques d'absides du monastère d'Hosios Loukas en Grèce, ou la basilique Sainte-Sophie d'Istanbul, on retrouve le Pantocrator dominant. Rappelant que ces modèles n'interdisent des variantes dans le Moyen Âge ou dans le monde slave !
"La divinité du Christ est celle d'un homme et d'un dieu vrai comme en ce Pantocrator du Sinaï tenant entre ses mains un livre gemmé, orné de perles, le Livre des Ecritures que Jésus accomplit du commencement jusqu'au terme de sa vie." Cf La chapelle des Missionnaires d'Hasparren, en mosaïque
Il existe des bibles illustrées depuis le VIème siècle, de la vie de Jésus Christ. Habillé, les yeux ouverts évitant de le penser mort. En Occident, on adoptera la nudité et la souffrance doloriste du crucifié, une figure moins adoptée par les orientaux pour qui sa pleine gloire dépasse les étreintes de sa mort.
La crise iconoclaste qui exista en Orient à propos de la pérennité et du maintien des images pour valoriser la foi christique causa bien des déboires autres que patrimoniaux et destructifs. Les empereurs Byzantins de 726 en furent les auteurs. Leur théologie commandait leurs méfaits sur l'expression esthétique de la foi chrétienne Mais jean Damascène en théologien rappela une théologie de l'image qu'il rattache à l'incarnation de jésus. Ce lien avec l'image donne du crédit au récit.et entretient la dispute entre "les iconodoules" défenseurs des images, et les iconoclastes, leurs adversaires.
Mais la querelle dura 130 ans .Chacun ayant ses raisons d'en vouloir aux icones, théologiquement, en raison du pouvoir religieux qu'ils permettaient au clergé d'exercer sur les fidèles. ou par idolâtrie éloignant de la foi eucharistique du christ dans le culte sacré et sacramentel au bénéfice de dévotion seconde. ?
La profondeur du débat sépara les églises d'orient et d'occident à partir de 1054 dans ce grand schisme dont il fallut du temps pour panser les blessures de la division entre chrétiens. La question des représentations artistiques de la foi chrétienne demandait une réelle intelligence spirituelle entre croyants pour ne produire le conflit de la foi que des conciles tel celui de Nicée voulurent colmater. Mais les traditions résistent. On dir à Rome que le pape François voudrait lors du Jubilé 2025 poser un acte fort et symbolique pour renouer avec l'orthodoxie ce lien vital d'hier pour l'avenir, en faveur de la foi chrétienne qui confirme les églises des deux faces dans une unique vocation.
C - Jésus chez les géants ?
Comment le représenter en grand sans doute ? Mais de quelle taille ou dimension ? L'histoire des sculptures des dieux et des hommes n'échappe à ces ambitions démesurées parfois, que rapportent les statues de jésus les plus grandes depuis les premières dans le monde. Christ de l'Otero à Palencia est érigé en Espagne de 21 mètres. Puis au Vietnam on parvient à 36 mètres avec le christ Vung Tau, les brésiliens adoptent les 38 mètres à Rio de Janeiro, et 40 mètres en Bolivie avec le christ de la concorde Cochabamba , mais ensuite on atteint les 50 mètres en Indonésie avec christ Manado et depuis 62,5 mètres en Pologne avec le Christ Roi SWIEBODZIN. Celle en cours de montagne en Arménie dépasse encore tous ses prédécesseurs sur le Mont Hatis en 2025 ? A suivre ! Sur 77 mètres de hauteur de la part d'un oligarque arménien, ancien boxeur professionnel de 68 ans, champion du monde de bras de fer. Avouez que le défi en est un de taille qui contrarie ses compatriotes mais qu'importe, pour lui sa fortune lui ouvre les portes de l'horizon dans l'immobilier, la vodka, les médias, les entreprises en vente, les voitures de luxe, et les cryptomonnaies. Seul défi pour cet homme, l'envergure du Christ debout en aluminium en imitant la pierre blanche et le prestige de porter haut et loin ce monument colossal et pharaonique. On n'imagine pas la France soutenir une telle aventure esthétique, mystique ni prosélytique !
La statue du Sauveur s'élèvera, en tant que symbole d'unité, entre les Arméniens d'ici et ceux de la diaspora dit le chef du projet premier ministre du pays en exercice Gagik Tsarukyan, un chrétien de conviction entouré de musulmans d'Azerbaïdjan.
Sous le Christ géant protecteur, on pourra trouver des boutiques de souvenirs, des restaurants, un casino pour satisfaire tous les visiteurs. Les opposants religieux arméniens n'ont pas manqué de marquer leur réticence à ce géant qui contraste avec les petites croix arméniennes classiques des pélerinages. Mais qu'importe pour l'oligarque les voies célestes du milliardaire lui permettent d'obtenir quelques assurances auprès de celui qu'il cherche à servir au prix de sa fortune !
Les archéologues, les écologistes, les défenseurs de forteresse en ruine in situ n'ont pas manqué de braver la décision finale qui prenant quelque retard donne à l'auteur l'espoir de voir son Christ sauveur dominer les résistances des uns, et les hostilités des autres dans une architecture monumentale debout courant 2025. ! Chacun attend de voir. Mais connaissant le porteur du projet ne doute de sa finalité.
D - Jésus au cinéma
Jésus acteur et auteur de son propre rôle tint depuis la création du cinéma par les frères Lumière en une centaine de films. Correspondant à chaque époque de l'histoire dans un narratif éloquent sur les raisons de montrer à l'image la vie du prophète des évangiles.
Pasolini dans l'évangile de Matthieu rapporte un Jésus révolutionnaire. La passion de Mel Gibson incarne la souffrance expiatrice. D'autres figures évoquent des visages du Christ classique ou iconoclaste. L'habit ne faisant pas le moine au cinéma, on se tient prévenant pour en saisir le sens et la portée des images aux accents corrosifs parfois. Nazarin de Luis Bunuel est de ce trait de caractère. Le scénario est partagé entre les conventions de la foi et les engagements socio et caritatifs évangéliques de la part du réalisateur faisant de Nazarin "un athée grâce à Dieu", un thème reconduit dans un chien andalou ou le récit de la méchanceté humaine présente en chacun. Nazarin finit son chemin dans la rue errant et conduit en prison s'adressant à un autre compagnon de vie. Tu as choisi le bien, lui dit-il, moi le mal, mais nous ne servons à rien, ni l'un ni l'autre !
Primé à Cannes en 1959, Nazarin fut chaudement défendu par plusieurs membres du jury de l'office catholique international du cinéma.
Autre film de Jules Dassin, Celui qui doit mourir met en scène un berger grec pour incarner le film de Marie et de Joseph.. La scène se passe en 1921 en une adaptation du roman le Christ recrucifié de Nikos Kazantzakis qui est aussi l'auteur de La dernière tentation, inspirant à son tour Martin Scorsese. En terre dominée par les Turcs, le récit en image n'épargne le clergé sans vergogne et bien éloigné des enseignements évangéliques..
Une histoire datée où les acteurs vivent à la fois le scénario et une partie de leur propre engagement militant, tel Kazantzakis en grâce à Hollywood et Dassin militant communiste plus occupé de lutte des classes que de spiritualité !
Autre film du canadien Denys Arcand en 1989 pour Jésus de Montréal au récit passionnel d'un acteur qui identifie la passion dévorante de Daniel à celle de Jésus, une menace pour les autorités qui le feront disparaitre. Le jésus de ce film meurt non sur la croix mais sous la croix après une dispute avec la police, venant interrompre le cours du film et éloigner la foule. Un film au final de tragi comédie, comme les aimaient Bunuel et Dassin.
Les films à thème religieux n'épargnent pas l'institution elle même. La parole donnée du brésilien Anselmo Duarte obtint la palme d'or à Cannes en 1962. Zé portant sa croix demande à entrer dans une église en remerciement d'un vœu exaucé. Mais le prêtre refuse l'accès, en apprenant que Zé est adepte de religion croisée afro-brésilienne et catholique. L'homme est porté en triomphe par la communauté noire de Bahia, victime des balles de la police et vénéré dans l'église là même où l'hospitalité lui avait été refusée !
Dans d'autres cas, les thèmes théologiques de la mort et de la rédemption occupent des metteurs en scène comme Scorsese ou Luc et Jean-Pierre Dardenne. Le propos de ces derniers ne pratiquant la langue de bois assurent : "s'il était parmi nous, Jésus serait sur la Huitième avenue à côtoyer les prostituées et les trafiquants de crack" selon Scorsese , dans les Cahiers du cinéma en 2005.
Taxi Driver, Palme d'or à Cannes en 1976, émerge d'une nappe de fumée chez cet acteur Travis est pourchassé par son désir de quitter les bouches de l'enfer qu'il côtoie, mais partage par un allant raciste et une passion pour une jeune prostituée qui le ressaisit dans ses mouvements.
Les frères Dardenne dans le Fils inspire une trame différente du père pour le meurtrier de son fils habité de sentiments transcendants dans l'épreuve que lui fait ce sujet. Olivier Gourmet incarne "ce rôle qui se compare au Christ lui même portant sa croix, du Fils de l'Homme portant le péché du monde".
Les femmes actrices de rôles majeurs ne sauraient être oubliées, telles Lars Von Trier, Bess de Breaking the waves, et Selma de Dancer in the dark. Ou le don d'une vie par une épouse et une mère; Mais Simone Weil dans son expérience mystique a su inspirer chez Ingrid Bergman dans Europe 51 de Roberto Rossellini un rôle magistral de conversion de la vie au risque de n'être compris ni accepté sinon taxé de folie par l'entourage !
En conclusion comme ne pas citer l'Histoire de Judas de Rabah Ameur Zaïmeche en 2015, de culture musulmane, propose un portrait en creux de Jésus imprégné de joie, de fraternité et d'humilité. Un défi souvent porté aujourd'hui par les acteurs créateurs des images qui présentent dans le visuel moderne du récit oral conventionnel !
Bibliographie
L'art des chrétiens d'Orient. De l'Euphrate au Nil de Raphaëlle Ziadé Citadelles et Mazenod 2022
Exposition Salle des icônes et de l'Orient chrétien au Petit Palais à Paris VIIIème (photo de couverture)