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Patrimoine religieux
Année du Jubilé : Saint-Laurent-hors-les-Murs à Rome
Année du Jubilé : Saint-Laurent-hors-les-Murs à Rome

| François-Xavier Esponde 1633 mots

Année du Jubilé : Saint-Laurent-hors-les-Murs à Rome

1 - Sept basiliques du Jubilé à Rome

Le programme du jubilé romain était jadis bien réglé autour de sept Basiliques et églises majeures de la ville.

Après les quatre premières déjà mentionnées dans Baskulture, voici la cinquième en attendant les deux suivantes avant l'été.

Cette dernière ne manque pas d'intérêt. Cette basilique mineure se situe sur l'antique via Tiburtina qui mène à Tivoli, à l'écart de la partie centrale de Rome. Déjà édifiée dès le début du IV ème siècle par l'empereur Constantin sur le lieu présumé du supplice en 258 de l'archidiacre Laurent, dont on conserve encore les reliques. Fidèle à l'attachement de l'empereur d'imprimer le christianisme dans l'empire romain en ce que la ville maintiendra de plus sacré de son histoire chrétienne greffée sur le passé impérial et latin de la péninsule.

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Saint-Laurent-hors-les-murs à Rome : le cloître ©
Saint-Laurent-hors-les-murs Rome cloître.JPG

"L'architecture de cet édifice sacré de style paléochrétien saisit et éblouit par son trait épuré de grande humilité construite sur de précédentes églises remodelées à des époques différentes." A l'ombre des cyprès et des pins parasols se détache le portique aux colonnes antiques, la masse carrée de la basilique, le clocher et la colonne de saint Laurent. 

De fait, on y trouve la réunion singulière de trois églises. Celle la plus ancienne de Constantin, du IVème siècle, qui pour mémoire construisit la basilique à proximité de la tombe de saint Laurent et sur laquelle le pape Pélage II fit construire au VIème siècle, la basilique mineure à trois nefs. Celle de Constantin fut détruite entre le IXème et le XIIème siècle, on ne retient donc de cette origine que l'acte de fondation insérée dans un ensemble plus récent. 

Avec la construction d'un cloître au XIème siècle par le pape Clément III, la basilique fut totalement transformée au XIIIème siècle par le pape Honorius III qui à son tour, construisit une nouvelle abside après avoir détruit la précédente, à l'entrée à l'opposé de l'actuelle. 

On y découvre des fresques bien dégradées aujourd'hui et la guerre et le bombardement du 9 juillet 1943, détruisit une partie de l'ensemble qui sera restauré depuis lors jusqu'en 1948. La ville sainte eut à payer son tribut à l'histoire du XXème siècle transportée jusqu'en Italie !

2 - Laurent, le saint martyr romain

Né à Osca ou Huesca en Espagne, Laurent est un espagnol de l'empire latin venu d'Aragon, entre 220 et 225. Etudiant à Saragosse, il y rencontre le futur pape Sixte II et devient alors un des premiers diacres attaché à l'église de Rome. Il a la garde du trésor de l'Eglise, le percepteur en chef en somme, avec pour mission charitable de le distribuer aux plus pauvres. Mais l'empereur Valérien n'entend guère sa fonction religieuse et cherche à mettre la main sur Laurent et son butin. Ce qu'il fit en le faisant arrêter et faire subir les ignominies dont les romains étaient parfois capables avec ses sept compagnons diacres argentiers de l'église. Prié de restituer ce pactole qui commençait à attiser les convoitises publiques et impériales, Laurent convoque sa pléiade de miséreux de ses armées de gueux,  et les présentent comme le trésor au Préfet de Rome qui n'apprécia guère la réponse outrageante, lèse majesté, et le lui fit payer par un supplice public, à savoir son corps grillé à petit feu selon le témoignage des témoins. Jacques de Voragine excelle en ces récits illustrés dont la Légende dorée  évoque le courage de Laurent et les réparties de cet homme d'esprit issu de nos terres pyrénéennes, 

A la fin du VIème siècle le pape Pélage II fait transporter à Rome les reliques de saint Etienne découvertes et retrouvées à Jérusalem en 415; Etienne apparait comme un prédicateur juif du Ier siècle dans les Actes des Apôtres, comme rappelés par Luc en son évangile. Aux chapitres 6 , 1 - 8, et 7, 8 il est cité comme juif helléniste qui a connu jésus et est choisi  avec six autres hommes de sagesse et de bonne réputation,  pour être diacre et assister les apôtres. "Il sera déclaré comme blasphémant la loi, Moïse et le Temple et condamné à la lapidation". Une mort déshonorante et de grande cruauté, et par la mort de Laurent des siècles plus tard les deux figures obtiendront un rang de gravité et de sainteté dans l'église imprescriptible.

Pour saint Augustin, les deux sont des thaumaturges cités dans la Cité de Dieu.

Et ce n'est donc pas sans raison que les reliques de ces deux hommes d'exception soient réunies en cette basilique dans le maitre autel de Saint Laurent hors les Murs.

Visiter à Rome cette mémoire transporte à Jérusalem et le contact du pèlerinage en ces lieux sacrés enrichit la spiritualité du voyageur. Le sacrifice de ces hommes tous deux dévoués ad vitam à leur maître et seigneur donne sens à notre vie spirituelle pour ne sombrer dans le doute, le désespoir ou pire le sentiment de non sens à toute vie dont la nôtre, ne domine aujourd'hui.

3 - La France des révolutions pendant les jubilés romains
L'histoire de France fille aînée de l'église demeure pour le cas singulière en ce XIXème siècle plus récent, dans les relations de la ville sainte romaine et le royaume de France chahuté par la Révolution.

Si aux XVIIème et XVIIIème siècles les rapports ne posent problème, les grands thèmes du pèlerinage fin du XVIIIème siècle ne semblent en phase entre les deux pays même si le dernier jubilé de 1775 se fit de français traversant les Alpes. On vit à Rome le futur Saint Benoit Labre "figure de pèlerin médiéval égaré au milieu du siècle des Lumières en France".

Le Jubilé de 1800 comme raconté par les chroniqueurs religieux du temps fut empêché par les fils de la révolution en France. Le pape Pie VI ayant ouvert sans douter le jubilé de 1775 tandis que le pape Clément XIV est décédé en novembre 1774 et le cardinal Braschi sera élu pape en février, les circonstances sont troubles car arrêté par le Directoire en février 1798 prisonnier en Italie puis en France au printemps 1799 il mourra à Valence  le 29 août 1799. 35 cardinaux réunis non sans peine à Venise n'éliront qu'en mars 1800 le cardinal Barnaba Chiaramonti prenant le nom de Pie VII  et qui ne put revenir à Rome qu'en juillet 1800. La question pressante pour lui n'était donc pas le jubilé en cours de fait mais des débuts d'une conversation diplomatique en vue d'un concordat pour rétablir la religion catholique en France.

La fille aînée de l'Église faisait valoir sa différence et le prix de la concession pour retrouver sa place et son rang dans la chrétienté du temps !

Le Jubilé reviendra avec le temps après d'autres péripéties passées. Pie VII meurt des suites d'une chute, en aout 1823 . En septembre élection du cardinal della Genga portant le nom de Léon XII, pape dit réactionnaire et strict sur les moeurs, de quoi meubler son temps et ses forces au milieu de courants révolutionnaires peu en prise avec la morale catholique...

Son souci rétablir le jubilé en attente depuis cinquante ans ! On craignait l'interdiction romaine des théâtres et cabarets  pendant le jubilé, pratique peu conformiste dans la cité.

Léon XII demeura inébranlable et le 27 mai 1824, la bulle d'indiction du Jubilé fut proclamée avec solennité. Il fallait se faire entendre, voir et reconnaitre. Un immense rassemblement de 15 000 pèlerins disent les chroniques se réunirent piazza Navona en plein air et le pape lui-même assista du balcon du palais Pamphilij. La basilique saint Paul hors les Murs venait d'être détruite par un incendie en juillet 1823 comme par un hasard douteux et la reconstruction était inachevée c'est sainte marie de Transtevere qui fit fonction de basilique majeure jubilaire de remplacement.

Ouvrir la porte sainte était un événement contenu et attendu ce 24 décembre après un tel délai d'espérance consumée, après 50 ans ! C'est le grand pénitencier cardinal Castiglioni qui tendit le marteau en argent au pape qui prononça ces paroles, "ouvrez moi les portes de justice" Ps 117, 19 et par la magie d'une mécanique réglée par Bernin la paroi céda et tomba en arrière, idée de génie ou de magie, qu'importe, l'effet sur les fidèles fut immédiat et le pape franchira le seuil les cloches de Rome se mirent à sonner fort et communément. Le cardinal Vidoni accompagnant le pape fut félicité de la conduite des opérations comme convenu, et ce dernier d'interpeller le pape, si par cas des failles furent commises, la prochaine fois très Saint Père nous saurons comment y remédier, futur de probabilité relative, en raison de l'âge des deux compagnons jubilaires.

La prochaine fois fut en 1848 le temps des révolutions sociales en Europe jusqu'en Italie. Le pape s'exila non à Avignon mais à Gaëte en Italie dans les Etats du roi de Naples pour ne revenir à Rome qu'en 1850, donc pas de jubilé en l'absence de pape pendant 20 ans ! En septembre 1870 les troupes du royaume d'Italie prennent possession de Rome. Le pape est isolé comme prisonnier au Vatican , il n'y eut donc pas de jubilé en 1875  et on attendit 1900 année séculaire. Les chroniqueurs rapportent qu'en 1825 Léon XII fut complimenté en latin par un enfant de 14 ans du nom de Joachim Pecci.  75 ans plus tard devenu pape sous le nom de Léon XIII c'est ce dernier qui ouvrit la porte sainte car il n'y avait eu de jubilé entre temps !

Ainsi va le récit jubilaire entre France et Italie, Rome et les Etats italiens. La fille aînée de l'Église eut ses heures de gloire, mais la raison l'emporta sur le récit, et le jubilé sur la terreur des révolutions, avec leurs cortèges de victimes et de rancunes. 

Telle l'espérance enracinée dans l'histoire des hommes et de leurs ambitions.

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