Après le jeune organiste basque Thomas Ospital qui avait évoqué ses « premiers émois musicaux » (notre « Lettre » du 27 mars), Yves Bouillier et Olivier Seube (notre « Lettre » du 3 avril), voici venu le tour d’Elisabeth Lamarque, pianiste accompagnatrice, concertiste, professeur de piano et écrivain :
Je me souviens avoir été bercée, dès ma plus tendre enfance, par le piano que jouait mon Père. C'était rituel, Papa nous endormait ainsi. Très doué, il aurait pu, sans problème, être musicien professionnel, mais ses parents en avaient décidé autrement.
Il nous jouait beaucoup de Chopin, Schubert, Liszt mais aussi des musiques qu'il jouait pour accompagner les films muets quand il était jeune et des symphonies ou opéras car à l'époque il y avait peu d'orchestres.
Il y avait aussi la voisine du dessus qui jouait toujours l'impromptu op.90 n° 4 de Schubert et aussi s'essayait sur la polonaise n° 6 op.53 de Chopin qu'elle égratignait toujours au même endroit...
C'est donc tout naturellement que mes parents m'ont fait donner des cours particuliers de piano, mais cela n'a duré qu'une année car bien que" douée disait mon professeur", je n'avais pas une grande motivation.
Notre piano 1/4 de queue "crapaud" était très abîmé par l'humidité. C'était le seul meuble que mes parents avaient pu ramener chez nous, d'une manière très inconfortable, depuis Amiens d'où ils s'étaient enfuis pendant la guerre pour arriver à Pau où je suis née en Mai 1945. De ce fait il est parti chez un facteur de piano qui l'a gardé pendant 3 ans !
Durant cette période, mes parents ont acquis une petite maison à la campagne à Siros, à environ 10kms de Pau.
Le fils de l'institutrice du village, de mon âge, jouait fort bien du piano. Cela m'a donné très envie d'en reprendre l'étude.
Ce manque de notre piano a fait que le jour béni où il est revenu à la maison, je me suis jetée dessus et avec quelques conseils de mon Père je me suis lancée dans du Chopin et du Liszt (je ne doutais de rien!).
Mon Père m'a inscrite à l'école nationale de musique de Pau en solfège quand j'avais 14 ans.
J'ai brulé les étapes car j'avais des facilités d'oreille et j'étais très motivée pour apprendre. A la fin de l'année, j'ai passé l'examen d' Elémentaire 2, ce qui correspondait à la 6ème année sur 9 de solfège.
Pour le piano, il a fallu que je passe, l'année de mes 15 ans un concours d'entrée directement en cours moyen1, compte tenu de mon âge. J'ai eu , pour ce faire, 2 morceaux imposés : l'allemande de la 6ème suite de Bach , que j'ai apprise laborieusement double croche par double croche , et le 3ème mvt de la sonate n°2 op.2 de Beethoven. C'était un sacré challenge car il n'y avait que 2 places.
Mes parents m'ont payé quatre cours particuliers d'1/2 h avec le professeur de l'ENM chez qui je me présentais.
Il va sans dire que j'ai passé des heures sur ces morceaux ! J'ai réussi à entrer et j'ai déployée toute mon énergie pour rattraper ceux de ma classe qui avaient 7/8 ans de piano dans les doigts !
Il y avait, dans la classe de Monique Oberdoerffer une grande émulation. Elle était d'une grande exigence. Elle nous imposait de rester pour écouter les autres. Elle nous réunissait le Jeudi (ce n'était pas, à l'époque le Mercredi!) toute l'après midi.
Très vite, elle m'a demandé ce que je voulais faire plus tard:" professeur de piano comme vous " ai je répondu innocemment. Son grand éclat de rire en me disant, "mais quand on a commencé si tard, c'est impossible" m'a terriblement vexée et je n'ai eu de cesse par la suite de lui montrer que c'était possible en raflant chaque année la 1ère place aux concours de fin d'année!
J'ai aussi joué en duo de piano avec une copine de classe, sous la houlette de notre professeur de piano et nous avons obtenu le 1er prix du Royaume de la Musique à l'ORTF. Mais, malheureusement, ma binôme n'a pas été en mesure de continuer. J'ai ainsi eu mes 3 prix en 2 ans: solfège, piano et musique de chambre ce qui m'a valu d'avoir le" prix du ministre".
Bien sûr, j'étais scolarisée au Lycée, et il était difficile de concilier les nombreuses heures passées au Latin et Grec avec mes études musicales. Mais la passion d'une adolescente est d'une force insoupçonnée.
(à suivre)
Elisabeth Lamarque
Légende : Premiers émois musicaux d'Elisabeth Lamarque.