On en oublierait au terme d’une vie de théologien et d’universitaire, d’évêque cardinal accomplie, la réception qui fut donnée par l’Académie du Béarn au Cardinal ossalois Pierre Eyt, reconnu par ses pairs et devenu membre de l’Institution béarnaise.
A deux mois de son décès en juin 2001, Pierre Eyt sera salué par ses pairs, ses amis et les prêtres du diocèse, lors d’une réception mémorable dont on peut trouver le déroulé dans le discours qu’il prononça à Pau.
Le nom de famille Eyt se retrouve dès le XIV ème siècle dans le Haut-Ossau, dans des cartulaires, suivant les recherches des historiens de la région béarnaise.
De l’école publique de son village de Laruns jusqu'au collège d’Oloron, ses études de Droit à Pau, le lycée Montaigne de Bordeaux, le jeune Pierre franchit toutes les étapes de scolarité avec succès.
Son intelligence vive et cultivée de lectures personnelles continues lui permettront de poursuivre par la théologie à Bayonne, Toulouse et Rome, le cursus brillant d’un esprit supérieur, apprécié pour la rigueur de son intelligence.
Le temps du service militaire en Algérie le conduisit trois année durant à y exercer sa mission d’officier de 1956-59.
Ordonné prêtre en 1961 par Mgr Gouyon en la cathédrale de Bayonne, ses amis pressentent déjà pour lui un itinéraire intellectuel hors du diocèse.
Professeur à l’Institut Catholique de Toulouse, Vice recteur puis Recteur de cette institution ancienne de la ville rose, la voie universitaire pour ce théologien formé à la Grégorienne de Rome, se poursuivra comme Recteur de ”la Catho de Paris.”
Membre de l’Académie des Sciences, Lettres et Arts de Bordeaux, le parcours de ce brillant universitaire le conduit à l’Archevêché de Bordeaux - Bazas, jusqu’à sa mort en juin 2001.
Le Pape Jean Paul II en fit un cardinal de l’Eglise en 1994.
Ses travaux théologiques sont connus dans le sérail ecclésial et ses livres publiés de son vivant. Et l’Académie du Béarn accueillit ce brillant ossalois, attaché à ses racines pyrénéennes, grand montagnard devant l’Eternel, habitué des sommets de la terre et de l’intelligence, au cours d’une réception ancrée dans le souvenir d’un passé encore récent.
Bien que souffrant, sa volonté indéfectible lui fit prononcer ce discours afin d'honorer ce pays de Haut-Béarn, ses amis et ses compagnons de route d’une vie remplie et admirée, parée des belles couleurs de son esprit !
François-Xavier Esponde
Extraits du discours de réception du cardinal Eyt à l'Académie de Béarn
A l’époque de mes dix ans, à l’école publique de garçons de Laruns, le béarnais nous était également familier et il ne m’a semblé qu’une hiérarchie réglait le rapport des deux langues. Le génie du Béarnais, notablement différent d’ailleurs dans le Haut Ossau et dans la vallée des Gaves en aval d’Oloron, m’était attesté alternativement en famille, dans notre commerce, aux champs, avec les animaux, dans le village, dans les jeux..Je ne crois pas que quiconque m’ait jamais fait remarquer qu’en tel moment ou en tel lieu, il eut été préférable que je m’exprime dans une langue plutôt que dans une autre. Par contre lorsque des corrections m’étaient adressées, elles visaient avec une même exigence l’amélioration de ma façon de parler dans l’une ou l’autre langue.
Et l’académicien de citer son grand oncle, prêtre, qui l’initie au latin, il s'agit de l’abbé l’Hospital :
"La langue s’écoute et se parle, la langue se lit et s’écrit. Nous avions dans notre maison de Laruns une bibliothèque..
Une collection Nelson m’offrait "La Chartreuse de Parme", "La légende des siècles", "Anne Karénine"...
La part qui m’attirait le plus était celui des récits militaires, l’expédition de Madagascar, et l’incontournable récit “la guerre racontée par nos généraux” avec pour le terrible conflit de 14, des plans en couleur, portraits, tableaux synoptiques des forces alliées et des armées d’Allemagne et d’Autriche... Un peu plus loin, une biographie solidement reliée du Maréchal Foch. Faut-il rappeler que lors de la Première Guerre Mondiale, les Pyrénées comptaient trois maréchaux de France : Gallieni, Joffre et Foch"...
Pierre Eyt cite encore les campagnes militaires de Napoléon Bonaparte : "Un livre touchant “Un petit soldat de la Grande Armée" un prix remporté par notre grand père paternel à l’école d’enfants de troupe, faisait passer une naïve fraîcheur au milieu de tant de gloire !"
L’académicien béarnais s’intéresse encore aux livres de cuisine et la Revue du Touring Club des années trente :
"Au milieu des oeuvres d’Edmond Rostand, la langue française dominait dans cette petite collection littéraire.
Néanmoins quelques ouvrages inspirés par le courant du félibrige étaient présents. Celui de jean Eyt préfacé par Léon Bérard, de Robert Bréfeil sur les chants et les danses de la vallée d’Ossau me permettront de mieux comprendre le milieu des traditions et de fêtes propres à nos villages de la haute vallée. Deux ou trois cahiers manuscrits reproduisant les paroles de nombreux chants d’Ossau me fournissaient l’occasion de vérifier que ce que j’entendais les soirs des grandes dates avaient été transmis oralement depuis des siècles ou du moins des générations.
La langue béarnaise s’est surtout imposée à ma mémoire grâce au chant, aux poèmes rythmés les plus anciens de la vallée, authentique expression archaïque et incantatoire. Les thèmes de ces chants nous ramenaient aux troubadours, au Comte Gaston de Foix.
Sur les suggestions de Manuel Machado frère aîné d’Antonio, nous vérifions l’authenticité à la fois noble et populaire de notre hymne pyrénéen “Aqueres montagnes qui tan haütes soun”..
Jusqu’à ce que le peuple les chante les couplets ne sont pas complets, et lorsque le peuple les chante nul ne sait plus qui les a faits, Telle est la gloire Guillen, de ceux qui écrivent les chants, c’est d’entendre dire aux gens qu’ils ne furtent écrits par personne, Tâche donc que tes couplets par le peuple soient chantés, bien qu’ils cessent d’être tiens pour devenir ceux des autres.
Car en mélangeant ton coeur, avec l’âme de ton peuple, ce que tu perds en renommée, tu le gagnes en éternité...
Je veux évoquer ici ces exercices d’orthographe dictée et questions, lorsque les lignes caligraphiées par notre instituteur figuraient sur le tableau noir. Ce spectacle m’inspirait le sentiment d’une perfection indépassable dans une forme conventionnelle de relatif, “parfait dans son ordre”.
Qui ne voit que dans cette austère disposition graphique se fraie et s’établit aussi une règle, un ordre, une éthique essentielle en éducation ?
Ce n’est pas le jeu du hasard que la calligraphie comme nous le prouvent tant de documents latins, grecs, arabes, se soit si bien adaptée à la parole révélée de la Bible ou du Coran et que l’art de la traduction la plus minutieuse se soit tellement appuyé sur la croyance en l’inspiration divine du texte même des livres saints.
N’y a t-il pas pour les scribes antiques et leurs héritiers une relation trés étroite entre l’ordre du monde créé par Dieu et l’écriture que ce même créateur inspire au poète ? Le psaume 19 dira l’académicien le suggère d’une manière merveilleuse...
Le discours évoque en conclusion l’éducation reçue de nos parents qui nous donna une capacité de discernement et d’action qui peut aider encore nos cadets. La maitrise de la langue française a joué un rôle capital à la fois comme élément d’insertion professionnelle et culturelle :
"Je me réjouis que dans ce département la langue béarnaise tout comme la langue basque puisse contribuer à la formation linguistique et culturelle des enfants en fonction du souhait de leurs parents et de leur environnement familial.
Je ne suis pas moins convaincu que de par notre histoire, la langue française est aussi pleinement chez elle en Béarn et qu’elle y a apporté un extraordinaire supplément de richesse culturelle.
Aujourd’hui dans le monde du XXIème siècle notre langue française remplit cette mission. Elle peut donc sans percevoir quelque menace que ce soit, accueillir d’autres possibilités d’expression, selon les régions et selon les traditions plus particulières.
L’académicien souligne la connaissance de plusieurs langues, celle de langages technologiques présentes : "Le cadre porteur de ce projet est fourni par ce que Dieu a donné de plus grand à l’homme : le signe, la parole, le verbe, l’écriture, les langues".