C’est aux demandes réitérées du président mexicain Andrés Manuel López Obrador d’excuses pour le rôle de l’Église dans la conquête espagnole que le pape François a répondu récemment par une lettre envoyée à Mgr Rogelio Cabrera López, président de la Conférence épiscopale du Mexique, par laquelle François a demandé « pardon » pour les crimes commis par les conquistadors après la découverte de l’Amérique. En 2015, lors d’un voyage en Bolivie, le pape François avait déjà demandé pardon « non seulement pour les offenses de l’Église même, mais pour les crimes contre les peuples autochtones durant ce que l’on appelle la conquête de l’Amérique ». Le pape Jean-Paul II l’avait également fait en 1992, lors du 500e anniversaire du débarquement de Christophe Colomb en Amérique.
Or, si la plupart de ces « explorateurs-conquérants » ne furent pas des « saints », ils n’en libérèrent pas moins les peuples autochtones de la cruelle et sanguinaire tyrannie des Aztèques qui pratiquaient des sacrifices humains par dizaines de milliers, voire même l’anthropophagie : l’archéologue mexicain Alfonso Caso, ancien recteur de l’Université nationale autonome du Mexique, affirme que « le sacrifice humain était essentiel dans la religion aztèque ».
C’est pourquoi en 1487, pour célébrer l’achèvement de la construction du grand temple de Tenochtitlán, les victimes sacrificielles avaient été rassemblées en quatre rangées qui s’étendaient le long de la chaussée reliant les îles de Tenochtitlán. On estime que pendant ces quatre jours de fête, les Aztèques avaient tué entre 20 000 et 24 000 personnes.
L’historien nord-américain Williams Prescott, peu suspect d’hispanophilie, donne cependant un chiffre encore plus effrayant. « Lorsque le grand temple de Mexico fut dédié à Huitzilopochtli en 1486, les sacrifices durèrent plusieurs jours et 70 000 victimes périrent ».
Dans son livre « Historia de América », l’uruguayen Juan Zorrilla de San Martín explique que « Lorsqu’ils prenaient les enfants pour les tuer, ils se réjouissaient davantage car c’était pour eux le signe qu’ils auraient beaucoup d’eau dans l’année ».
« Le nombre de victimes sacrifiées chaque année était immense, admet Prescott, bien qu’il soit l’un des historiens les plus critiques de la conquête espagnole et l’un des plus fervents défenseurs de la civilisation aztèque. Pratiquement aucun auteur ne l’estime à moins de 20 000 par an, et il y en a même qui l’élèvent à 150 000. Dans son célèbre ouvrage « Cannibales et Monarques. Essai sur l’origine des cultures », l’anthropologue nord-américain Marvin Harris, écrit : « Les prisonniers de guerre, montant les marches des pyramides, […] étaient tenus par quatre prêtres, étendus sur le dos sur l’autel de pierre et ouverts de part en part de la poitrine avec un couteau […]. Ensuite, le cœur de la victime – généralement décrit comme battant encore – était arraché […]. Le corps était enfin roulé sur les marches de la pyramide ».
L’épopée des Basques au Mexique
Les Basques furent nombreux au Mexique. Si Francisco d'Ibarra colonisa sa partie occidentale, Juan de Zumarraga en avait été le premier évêque. Défenseur des droits indiens, il rédigea un des premiers documents-clefs dans l'histoire de la défense des droits humains.
Zumárraga était né en 1468 à Durango en Biscaye. Il entre dans l'ordre des Franciscains. En 1527 alors qu'il est supérieur du couvent d'Abrojo, il y reçoit l'Empereur Charles Quint.
Peu après, il est nommé juge dans l'examen du cas des sorcières du Pays Basque. Il ressort de ses écrits qu'il regardait les sorcières comme des femmes souffrant d'hallucinations plutôt que possédées par le démon. Zumarraga a été recommandé par Charles V pour la dignité de premier évêque du Mexique.
Il quitte l'Espagne avec les premiers responsables civils, commissaires aux comptes, vers la fin du mois d’Août 1528 pour atteindre le Mexique le 6 décembre suivant. Cette administration civile fut désastreuse dans la Nouvelle-Espagne (Mexique) et constitua une des plus grandes difficultés pour notre évêque biscaïen. Les colons espagnols ployaient sous l’impôt et les Indiens opprimés, et parfois vendus comme esclaves aux Antilles.
Zumarraga, en tant que Protecteur des Indiens, s'efforça de les défendre.
Sa position était difficile car la Cour d’Espagne n'avait pas défini l'étendue de sa compétence et de ses pouvoirs dans ce rôle. De leur côté, les Indiens firent appel à lui en tant que protecteur avec toutes sortes de plaintes, parfois grandement exagérées. Ses propres collègues religieux Franciscains, qui avait si longtemps travaillé pour le bien-être des Indiens, le pressaient de mettre un terme aux excès des commissaires aux comptes mais il lui était difficile d’être en conflit ouvert avec les autorités civiles de la colonie, en se fondant uniquement sur ses prérogatives spirituelles.
Entre temps, les calomnies répandues par les ennemis de Zumarraga et les partisans de l’administration civile le font rappeler en Espagne.
A son arrivée, en mai 1532, il doit faire face aux accusations de ses ennemis, mail il les confondra facilement, et le 27 avril 1533, Zumarraga sera solennellement consacré évêque à Valladolid car, bien qu’ayant été nommé officiellement, la cérémonie de consécration n’avait pu se faire avant son départ pour le Mexique.
Après deux années passées en Espagne, occupé de questions relatives au bien-être de la colonie et des concessions favorables aux Indiens, il rentre au Mexique en Octobre 1534. Entre temps, selon les chroniqueurs de l’époque, le nombre des Indiens qui demandaient à être baptisés aurait considérablement augmenté après l’apparition de Notre-Dame de Guadalupe le 12 décembre 1531, forçant les missionnaires à adopter une forme spécialement rapide pour l'administration de ce sacrement : on évoque même cinq millions de baptisés Indiens en six ans ! Il fallut faire reconnaître à Rome la validité de ces baptêmes un peu précipités…
En outre, il fallut régler un autre problème compliqué : des difficultés avaient surgi à propos des mariages déjà ! Dans leurs croyances païennes, les Indiens avaient de nombreuses épouses et concubines, et lors de leur conversion au christianisme, la question se posait évidemment : qui étaient les épouses et qui étaient les concubines, et si par hasard il y avait eu un mariage valide avec l'une de ces femmes ! Zumarraga avait participé à toutes ces discussions jusqu'à ce que l'affaire ayant été soumise au Saint-Siège, le pape Paul III dans sa Bulle "Altitudo" avait décrété que les Indiens convertis devraient garder la première femme qu'ils avaient prise pour épouse.
Juan de Zumárraga interviendra encore pour régler de nombreux conflits : à chaque fois, il usera de sa diplomatie et de sa modération coutumières, évitant même à la colonie Mexicaine de sombrer dans une guerre civile comme celle qui avait ensanglanté le Pérou.
Zumárraga avait reçu de l'inquisiteur général, Alvaro Manrique, archevêque de Séville, le titre d’Inquisiteur Apostolique de la ville de Mexico et de l'ensemble du diocèse avec des pouvoirs élargis, y compris celui de traduire des criminels devant des tribunaux civils mais n’usa jamais de cette charge, sauf pour un résident de Texcoco accusé d'avoir offert des sacrifices humains. A partir de 1541, les nouvelles lois de la Junta de Valladolid interdirent l'asservissement des Indiens qui ont été retirés aux propriétaires qui les maltraitaient.
Une importante colonie franciscaine avait été envoyée d'Espagne pour le Mexique par le Ministre général Quinones, dès 1524. L'arrivée de ce groupe de missionnaires est restée chère aux Indiens, qui ont dû aux Franciscains de ne pas être exterminés : les religieux les protégèrent des colons, tout en les éduquant. Les Pères ne craignaient pas de prendre ouvertement la défense des Indiens, tel Jérôme de Mendieta qui interpellait en ces termes quelques colonisateurs qui abusaient de leur pouvoir : « Que diriez-vous, et que penseriez-vous de la religion chrétienne, si vous étiez à la place des Indiens, et si eux-mêmes étaient à votre place ? »
Mendieta, un nom bien de chez nous : Gerónimo de Mendieta était né en 1525 à Vitoria-Gasteiz, capitale de l’Alava, au Pays basque sud. En 1545, il entre dans l'ordre franciscain. En 1554, il part pour le Mexique, alors vice-royaume de Nouvelle-Espagne, où il travaille à l'évangélisation des colonies. Il revient en Espagne en 1570, et retourne en Amérique trois ans après, pour ne plus jamais revoir l'Europe. De 1573 à 1597, il rédige l'œuvre qui l'a rendu célèbre, l’Historia eclesiástica indiana. Sa défense des Indiens lui valut des difficultés et beaucoup d'ennemis. Ses lettres au roi et au Conseil des Indes, où il dénonce les abus, furent en partie à l'origine d’importantes améliorations dans la législation.
Quant à Juan de Zumárraga, les dernières années de sa vie ont été consacrées à la réalisation des nombreux travaux qu'il avait entrepris pour le bien de son diocèse. On lui doit en particulier la création d'écoles pour les filles parmi les Indiens, du célèbre Colegio Tlaltelolco, le premier institut d’enseignement supérieur des arts et des sciences de toute l’Amérique les indigènes, l'introduction de la première imprimerie dans le Nouveau Monde, la fondation de divers hôpitaux, en particulier ceux de Mexico et de Vera Cruz, et l'impulsion qu'il a donnée à l'agriculture et à l'industrie, en faisant venir d'Espagne au Mexique des ouvriers et des artisans qualifiés ainsi que l'impressionde plusieurs livres dont il était l’auteur. A la demande de Charles Quint, le pape Paul III érigea en Février 1546 le diocèse de Mexico en désignant Juan de Zumárraga comme premier archevêque métropolitain. Mais la bulle de nomination papale envoyé le 8 Juillet 1548 arriva trop tard au Mexique : Zumarraga était décédé un mois plus tôt !