Etats-Unis, Virginie 1958 : Mildred et Richard Loving s’aiment et décident à la grossesse de Mildred, de se marier. C’est un couple interracial : Mildred est noire et Richard est blanc et même blond ! Dans l’Amérique du Président Dwight D. Eisenhower (1953 – 1961), la Virginie, Etat clef dans la Guerre de Sécession (1861 -1865) avec sa capitale des Confédérés, Richmond, est ségrégationniste. Les amoureux décident donc de s’unir dans un Etat voisin, puis de revenir vivre paisiblement en Virginie. Dénoncés, ils sont emprisonnés pour violation des lois raciales en vigueur dans cet Etat. Ils sont relaxés sous conditions probatoires (un an de prison ferme s’ils ne s’exilent pas dans un autre Etat), et restent toujours sous l’œil de la « justice virginienne ».
A partir de cette histoire vraie, un documentaire poignant avait été produit en 2011 (« The Loving Story », par Nancy Buriski). Jeff Nichols a repris la trame de ce drame humain si proche de nous, et qui semble pourtant d’un autre âge : l’intolérance à la mixité raciale. Le tour de force de ce long métrage attachant est que le réalisateur et scénariste focalise son propos sur les deux personnages principaux, Mildred (Ruth Negga, frémissante), et Richard (Joël Edgerton, taiseux) qui vivent leur amour intense au quotidien entourés de la famille proche, aimante, et de quelques amis. Jeff Nichols évite adroitement le film de procès, spécialité américaine, qui permet aux protagonistes de développer leurs arguments au cours de longs débats judiciaires. Ici rien de cela, les avocats des Droits Civiques, caricaturaux, cherchent la faille juridique dans les lois ségrégationnistes de l’Etat de Virginie pour avoir accès à la Cour Suprême des Etats-Unis et y plaider. Mais ces scènes restent périphériques au regard de la famille Loving qui transite d’un lieu à un autre au gré de l’agrandissement de leur famille, trois enfants sont nés, et de la durée de la procédure : 15 ans !
Ce nouveau long métrage de Jeff Nichols (38 ans !) après ses films « Mud » (2013), « Midnight Spécial » (2015), en sélection officielle au dernier Festival de Cannes où il est revenu bredouille (mystérieuse décision du jury présidé en 2016 par George Miller, lequel a préféré donner la Palme d’Or à « Moi, Daniel Blake » du vieux briscard Ken Loach !), démontre à l’évidence la vitalité du cinéma indépendant américain (« Moonlight » de Barry Jenkins, « American Honey » d’Andréa Arnold, Prix du Jury au Festival de Cannes, déjà en salle, « Fences » de Denzel Washington, bientôt sur nos écrans).
Ce film poignant, d’une apparente simplicité narrative, filmique, au plus près de la vérité humaine, loin de tout effet, montre la pugnacité du cinéma indépendant américain, alternative heureuse à la confondante stupidité des « blockbusters » qui vampirisent nos salles obscures.
Jean-Louis Requena