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Cinéma La critique de Jean Louis Requena
L’Innocence (126’) - Film japonais de Hirokazu Kore-eda
L’Innocence (126’) - Film japonais de Hirokazu Kore-eda

| Jean-Louis Requena 694 mots

L’Innocence (126’) - Film japonais de Hirokazu Kore-eda

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"L’Innocence" de Hirokazu Kore-eda ©
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Une ville au Japon. Un immeuble cossu est en feu. De nombreux pompiers tentent de maîtriser l’incendie, en vain. Dans un immeuble à proximité, surplombant celui livré aux flammes, une femme Saori Mugino (Sakura Ando), jeune veuve, vit avec son petit garçon, Minato (Soya Kurokawa) qu’elle surprotège. 
Minato montre des troubles du comportement : il donne à sa mère le sentiment qu’il redoute d’aller à son école. Sa mère s’en inquiète jusqu'à que tout à trac, il avoue avoir été traité de « cerveau de cochon » par son professeur. 
A l’école, une rumeur se propage, diffusée par les élèves : Michitoshi Hori (Eita Nagayama), ce nouveau professeur, fréquenterait le « bar à hôtesses » en flammes. Malgré ce fait, celui-ci tente, tant bien que mal, de maintenir sa classe où, parmi ses élèves agités, il compte Minato et Yori (Hinata Hiragi), deux amis inséparables.

Exaspérée par les propos rapportés par son fils, Saori Mugino suite à ses demandes insistantes, rencontre la directrice de l’établissement Makiko Fushimi (Yuko Tanaka) qui tente de la calmer. 
Soari refuse de laisser choir l’affaire. Intransigeante, elle finit par obtenir une réunion avec le professeur incriminé, la directrice et deux enseignants de l’établissement scolaire.

Malgré les excuses, à contre-cœur du professeur Hori, la réunion se passe mal. Saori Mugino, en mère célibataire surprotectrice, comme le souligne la directrice, veut aller plus loin que de simples excuses …

L’Innocence est le quinzième long métrage de fiction du réalisateur japonais Hirokazu Kore-eda (61 ans), dont la carrière a débuté en 1991, en tournant des documentaires pour la télévision japonaise. 
Il est connu en Europe car il a participé pas moins de huit fois au Festival de Cannes : Distance (2001) et Nobody Knows (2004) en compétition officielle (Prix d’interprétation masculine pour Yuya Yagira) ; Air Doll (2009) dans la section Un Certain Regard ; Tel Père, Tel Fils (2013) prix du Jury , Notre Petite Sœur (2015) tous deux en sélection officielle ; Après la Tempête (2016) section Un Certain Regard ; Une Affaire de Famille (2018) Palme d’or et enfin Les Bonnes Etoiles (2022) Prix d’interprétation masculine pour Song Kang-ho (coréen du sud).

Son dernier opus au scénario complexe, a été écrit par un scénariste de renom, Yuji Sakamoto, et non par le réalisateur, comme de coutume, bien que les thèmes abordés soient ceux, récurrents, intangibles, de la filmographie de Hirokazu Kore-eda : la famille dysfonctionnelle, l’absence d’amour ou trop d’amour, la carence de la figure paternelle. 
Ce dernier thème est une meurtrissure d’enfance du réalisateur : son père prisonnier des soviétiques en 1945 est revenu au Japon 1950 en homme brisé par sa dure captivité en Union Soviétique, incapable de s’intégrer dans la nouvelle société nippone. Traumatisme d’enfance non cicatrisé.

La structure de l’histoire de Minato et Yori n’est pas sans rappeler celle du chef d’œuvre d’Akira Kurosawa (1910/1998) : Rashomon (1950), Lion d’or à la Mostra de Venise 1951. Un unique récit raconté par trois personnages (il y en avait quatre dans le film de Kurosawa : le bandit, la femme, le samouraï, le paysan). 
Ainsi en multipliant les point de vue, le récit devient incertain, évolutif, car sujet à plusieurs interprétations qui toutes semblent acceptables. Il faut une grande maîtrise narrative dans ce genre de récit particulier afin de maintenir l’intérêt du spectateur qui de ce fait, devient partie prenante durant le déroulement des différentes séquences. 
Exercice on ne peut plus périlleux. Sans atteindre le niveau du modèle (« effet Rashomon »), le metteur en scène nous entraine dans un récit à trois niveaux : celui de Saori Mugino, mère célibataire et son fils Minato ; celui du professeur Michitoshi Hori, ; enfin celui des deux adolescents amis, Minato et Yori. Hirokazu Kore-eda multiplie des scènes interrogatives, semble flotter, nous égarer en de courts flash-backs avant une conclusion inattendue, laquelle d’un coup, en quelques brèves scènes, reconstitue le puzzle narratif.

L’Innocence est un long métrage dans lequel, le spectateur ne peut sous peine de décrochage, rester passif : il est partie prenante dans l’histoire chaotique de ces deux garçons. Comme lors de ses précédentes œuvres, Hirokazu Kore-eda nous propose un cinéma participatif et non une contemplation passive.

L’Innocence sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes 2023 a été récompensé par le Prix du scénario et … la Queer Palm.

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