A Paris, dans un appartement luxueux, une vieille dame aveugle (Marisa Borini) pérore en invectivant les siens : elle souhaite céder ses biens culturels (tableaux, mobiliers, objets, etc.) à Scottie’s, une prestigieuse salle des ventes parisienne. La vieille dame est désagréable, fustigeant son époque et ses proches, tous incultes.
Assis sur un canapé, concentré, tout ouïe, un homme André Masson (Alex Lutz), la quarantaine, habillé avec recherche, est l’un des commissaires priseur de Scottie’s, accompagné d’une jeune stagiaire, Aurore (Louise Chevillotte), laquelle prend fébrilement des notes.
La réunion finie, André Masson (comme le peintre, dit-il) et Aurore retournent à leurs bureaux dans la luxueuse berline d’André. Durant le trajet il y tient des propos ambigus, cyniques, sur leur profession, sur l’attitude d’Aurore.
Leurs relations professionnelles sont tendues d’autant que les exigences d’André vont croissant, soumis lui-même à une forte pression de ses supérieurs, notamment du patron Hervé Quinn (Dominique Rabourdin).
Une lettre, puis un échange téléphonique avec une avocate de Mulhouse, Maître Egermann (Nora Hamzawi) stipule à André qu’il y aurait dans un petit pavillon de Mulhouse un tableau d’Egon Schiele (1890/1918) représentant des tournesols d’après l’œuvre éponyme de Vincent van Gogh (1853/1890). L’œuvre serait détenue, par hasard par Sine Keller (Laurence Côte) et son fils Martin (Arcadi Radeff), un ouvrier chimiste.
D’abord méfiant, le tableau disparu selon ses recherches, a été spolié par les nazis en 1939 : ce doit être à tout coup sur une copie. Intrigué face a l’insistance de l’avocate, André contacte son ex-femme, Bertina (Léa Drucker), commissaire-priseur à Lausanne.
Entre temps, Aurore, menteuse patentée, a démissionné brutalement de l’entreprise Scottie’s. Dès leur arrivée à Mulhouse, Maitre Egerman conduit André et Bertina dans la maisonnette de Sine et Martin. Ces derniers sont impressionnés par l’allure des deux experts.
Dans une petite pièce le tableau aux tournesols est accroché au mur : il toujours été là. Un simple regard des commissaires-priseurs suffit : le tableau est authentique ! Sur le marché de l’art il serait estimé à des millions d’euros … A cette annonce, Sine Keller et son fils restent pétrifiés.
Quelle suite vont-ils donner à cette fabuleuse découverte …
Le réalisateur Pascal Bonitzer (78 ans) mène de front une double carrière artistique : d’abord scénariste très courtisé (45 scénarios depuis 1975 !) notamment pour Jacques Rivette (1928/2016) pas moins de dix films, et André Téchiné (né en 1943) encore six films. En 1986, Il a d’autre part été directeur du département scénario à la FEMIS (École nationale supérieure des métiers de l’image et du son) puis professeur de cinéma à l’Université Sorbonne-Nouvelle.
De fait, ses neufs longs métrages depuis 1996 (Encore) brillent par la qualité de leur structure scénaristique (il a cosigné en 1990, l’Exercice du scénario avec Jean-Claude Carrière !) et par celle des dialogues justes, toujours en situation.
Pascal Bonitzer est un grand observateur du monde tel qu’il est, de ses contradictions, de ses travers, de ses tropismes. Dans Le Tableau volé, ses personnages de classes sociales très différentes, le couple André/Bertina est bien doté (argent, langage, culture, etc.) alors que le couple Sine/Martin est pauvre (argent, habitation, etc.). Le troisième couple, intermittent, belliqueux, formé par Aurore et son père (Alain Chamfort, quelques apparitions énigmatiques), pôle « d’équilibre » d’un troisième point de vue, sans toutefois une intervention directe sur l’histoire du tableau spolié (histoire vraie : découverte au début des années 2000 d’un tableau d’Egon Schiele dans le pavillon d’un jeune ouvrier chimiste de la banlieue de Mulhouse).
Le Tableau volé est un film court (91 minutes), d’une élégance folle qui ne s’attarde pas en scènes superfétatoires qui, trop souvent, ralentissent le récit. Chaque scène « pousse » la suivante. Ce fait mérite d’être signalé car de trop nombreux longs métrages s’égarent en route par complaisance ou facilité (l’enregistrement numérique est moins dispendieux que l’argentique).
Le cinéma est un art cinétique, autrement dit tout en mouvements. Pascal Bonitzer avec sa grande culture cinématographique en connait les pièges, les trappes à lenteur.
Les acteurs, tous épatants, nous amusent par leur jeu pétillant (en particulier, Alex Lutz, Léa Drucker et Marisa Borini … en pré-générique) sur un sujet grave puisque la spoliation du tableau d’Egon Schiele est une conséquence de la Shoah (holocauste), destruction des juifs d’Europe par la barbarie nazie.
Ce n’était pas une mince gageure de fabriquer un long métrage « divertissant », au sens noble du terme, sur une trame historique a priori dramatique. Le pari est réussi !