Il n’y a plus de « poilus » au Pays Basque, mais les commémorations du 11 novembre - sans public, cette année, « coronavirus et confinement » obligent - rappellent leur sacrifice.
Quand on lit sous le porche de l’église d’Itxassou la plaque en marbre où sont gravés les noms des victimes de la Grande Guerre, celle de 14-18, on est frappé par l’extrême saignée que supporta la population de ce village, comme en tant d’autres, au Pays Basque. Car ils furent très nombreux, ces jeunes Basques, à servir dans les régiments de Bayonne – le 49e, dont une rue porte le nom, le 249e et le 142e R.I. – ainsi que ceux de Tarbes - les 14e et 24e d’artillerie, le 1er hussard -, de Pau, de Mont-de-Marsan et de Bordeaux.
Les déserteurs et les insoumis, nombreux auparavant (entre autres, à cause d’une dilution de l’esprit civique consécutif à « l’internat des Basques », ce drame de la déportation d’une partie importante de la population labourdine par la révolution française en février 1794) ne constituèrent qu’une minorité ; au contraire, beaucoup de jeunes Basques expatriés en Amérique sans avoir accompli leur service militaire, même ceux qui avaient acquis la nationalité de leur pays d’adoption, n’hésitèrent pas à braver une peine de prison pour insoumission à leur retour afin de rejoindre le front ! Ils se distinguèrent surtout à Charleroi, Guise, Craonne et au « Chemin des Dames » (1915) où un monument rappelle leur sacrifice héroïque.
Précisément, des Basques revenus d’Amérique participèrent au débarquement à Salonique et à la campagne d’Orient au 7e colonial. Après quoi, beaucoup de ces « Basques Américains » repartirent, du moins ceux qui n’étaient pas tombés pendants les combats ou, dans le meilleur des cas, revenus mutilés, ce qui représentait une forte proportion !
L’historien Eugène Goyheneche estime le nombre des Basque tués pendant la guerre de 14-18 à environ 6000. Le dernier « poilu » basque disparut il y a quelques années à l’âge de 104 ans, il s’agissait de M. Paul-Michel Harismendy, le père de l’ancien conseiller municipal de Saint-Jean-de-Luz.
Sur le sang des Elbée
Parmi ceux qui payèrent le plus lourd tribut figurent sans conteste les Elbée, établis au Pays Basque au XIXe siècle. Après s’être illustrés tout au long de l’histoire de France, lors de la résistance vendéenne comme à la bataille de Rosbach en 1757 – la défense du drapeau, malgré d’horribles blessures, par un de ses membres valut à la famille la devise « intacta semper sanguine nostro » (toujours intacte sur notre sang) -, ils avaient troqué les plats et dorés horizons de leur Beauce originelle contre les vertes falaises labourdines d’où l’on embrasse l’immensité océanique.
Or c’est peu dire que la guerre décima la génération 14-18. Sur les sept garçons de la famille en âge d’être mobilisés, quatre disparurent dès la première année : en août 1914, pendant la retraite de Charleroi, Bertrand, ingénieur chimiste à Bilbao, 25 ans ; en septembre, à Craonne, c’est au tour de Gonzague, 20 ans. Puis, en juin 1915, François, 30 ans, militaire de carrière, suivi en septembre de Philippe, 32 ans, qui était revenu de Philadelphie où il était ingénieur chimiste.
« Christian d’Elbée, mon père, était au 249e avec son frère Claude », se souvenait Gonzague d’Elbée, l’historien de la famille, qui avait participé il y a quelques années dernière à une cérémonie du souvenir à Paissy, sur le « Chemin des Dames », en l’honneur du commandant du régiment, le colonel Picot, qui créa également l’œuvre des « Gueules cassées » destinée aux blessés à la face. A la messe, l’homélie avait été lue par l’abbé Zabalo d’Hasparren, lui-même fils d’un soldat brancardier du 49e qui avait fait Craonne, Hurtebise, Verdun…
Et Gonzague d’Elbée de préciser : « Mon père était donc l’un des trois frères restés en vie, avec l’aîné Jean, directeur de revue et écrivain » (auteur, entre autres, d’un bel ouvrage sur le Pays Basque). Ce dernier consignera d’ailleurs dans ses mémoires comment la guerre vint les prendre à Guéthary.
Chisteras et « Guernikako Arbola »
« Nous y étions tous réunis pour les belles vacances, sauf Gonzague, retenu à Paris pour passer son examen de Saint-Cyr. Je m’en souviens. Nous étions en train de jouer à la pelote, comme toujours, lorsque apparut sur le chemin une auto rouge où deux gendarmes brandissaient des affiches de mobilisation. Et comme certains de nous, un peu impressionnés, malgré tout, commençaient de délier leurs chisteras, Bertrand, d’une voix à la fois grave et narquoise, lança : Eh bien, ce n’est pas une raison parce que la guerre est déclarée pour ne pas terminer la partie ! Et nous terminâmes la partie, la dernière… »
Car, rappelait Gonzague d’Elbée, « mon père Christian jouait à chistera avec son frère Bertrand, qui fut cinq fois champion de France ». Une photo ne représente-t-elle pas Bertrand d’Elbée comme partenaire de Chiquito de Cambo lors d’une mémorable partie de pelote à Sare en 1908, devant le roi Edouard VII d’Angleterre ?
Le 27 juillet 1919, parti depuis le 7 août 1914, le 49e R.I. rentrait triomphalement dans sa bonne ville de Bayonne, sous des arcs de triomphe et des guirlandes florales, au milieu des salves d’artillerie, des sonneries de cloche et des acclamations de la foule ; le « Courrier de Bayonne » relata le lendemain qu’à l’hôtel de ville, devant les corps constitués, le célèbre ténor hazpandar Guillaume Cazenave, de l’Opéra de Paris, ne manqua pas de chanter la « Marseillaise » avant d’entonner, « sur la réclamation de l’assistance, « Guernikako Arbola », qu’il enleva d’une voix de véritable stentor ! »