Lors de la remise au professeur Jacques Le Gall du Prix Pierre Espil la semaine dernière au château d'Arcangues - sous la présidence d'honneur de l'archiduc Imre de Habsbourg-Lorraine - voyez notre article du 29 avril :
https://www.baskulture.com/article/larchiduc-imre-et-le-dput-vincent-bru-ont-particip-au-prix-des-trois-couronnes-4785
le président du Prix littéraire des Trois Couronnes avait souligné que l'auteur de "Georges Saint-Clair, féeries intérieures", passionné pour les grands auteurs pyrénéens, s'était intéressé aux « Promenades bordelaises » de Francis Jammes dont on ignore souvent qu’il vécut dans la capitale de l’Aquitaine pendant près de neuf années, entre 1880 et 1888, à une période de sa vie dont on peut deviner qu'elle fut cruciale : la fin de l'enfance et l'adolescence, ce qui permet de mieux connaître le jeune écrivain en devenir, ses attentes, ses impatiences, en même temps qu'ils révèlent Bordeaux, sa vie, ses quartiers, son milieu artistique et intellectuel, sous un éclairage nouveau...
Pyrénéiste patenté et reconnu, Jacques Le Gall avait également préfacé « Les Pyrénées Saint Jean Pied de Port, Oloron », de Jules Supervielle.
Autre grand poète auquel il s'était intéressé, Paul-Jean Toulet, qui s'était toujours présenté comme « pur Béarnais » alors qu’il fut conçu à l’île Maurice, « ce jeune dieu, à la couleur de miel » comme le décrivait Francis Jammes qui, finalement, s'échoua sur la Côte basque, à Guéthary où il termina sa vie à l’âge de 53 ans en laissant, dîtes vous, des chroniques journalistiques et notes critiques sur l'art ou la littérature, deux ou trois pièces de théâtre et un livret d'opéra resté inédit, un embryon de Journal, des traductions, des lettres étincelantes, des nouvelles et des contes, des madrigaux et des paperolles, des épigrammes et des oarystis, des romans, des pensées d'un « scepticisme aéré », des « vers trouvés sur un mirliton » et des vers ciselés.
Ce qui, « certains jours », a écrit Jorge Luis Borges, fait de Toulet « le plus grand poète français, même si tout le monde l'a oublié », c'est le style et c'est le mystère.
Si vivre est un devoir, quand je l'aurai bâclé,
Que mon linceul au moins me serve de mystère.
Aucun mystère, en revanche, concernant le poète Georges Saint-Clair auquel Jacques Le Gall avait déjà consacré plusieurs ouvrages dont le dernier est une admirable anthologie illustrée de multiples documents inédits et commentée.
Et de citer le bel article paru dans la revue diocésaine bayonnaise lors de son décès le 20 mai 2016 :
Prêtre et poète, l’abbé Jean Bégarie, alias Georges Saint-Clair, a vécu une vie à la fois humble et pleine de richesse, imprégnée de vers et de mots.
« Il y a mille ans de neige sur les toits
À l’horizon tristes et droits
Les bois
Sont comme un petit fagot de misère.
Il neige. Qu’il fait bon. Tout s’apprête tout bas.
Que se pose une rime et tous les blancs sont là
Harmonisés à moi qui ne suis qu’à moi-même
Et bougent peu de doigts entre pipe et poème.
La neige tombe au loin.
Il y en a pour les loups
ll y en a pour les bois
Il y en a pour les mains (…) »
Dans sa petite chambre aux volets clos de la maison François-Henri à Pau, emplie de livres et de papiers, le vieil abbé de 94 ans aime qu’on lui lise ses poèmes. Il les connaît tous par cœur. Il continue à les travailler, remplace un mot ici ou là, les scande en savourant la musique de chaque vers. Le poète, Grand Prix de poésie 1993 de l'Académie française et auteur de nombreux ouvrages, resté dans l’ombre par discrétion, nous fait découvrir tout un univers coloré et délicat, empreint de grâce et de légèreté.
Toute sa vie a été remplie par la poésie.
Originaire de Pontacq aux confins du Béarn, neveu du grand poète gascon Jean-Baptiste Bégarie, il a été inspiré par ses illustres voisins, Francis Jammes et Paul-Jean Toulet, originaires d’Orthez et de Pau.
A 18 ans, il connaissait les trois-quarts d’Heredia, mais ce n’est qu’à 32 ans qu’il trouve sa voie, « le son de ma voix » dit-il, qui ne le quittera plus. « Je me suis mis à composer des palettes de mots dans lesquelles je puise quand j’écris un poème ». Et il harmonise. Fait danser les mots, inspiré par la nature, la neige qui lui rappelle la liturgie de son enfance, marquée par les brumes de l’Avent.
Ordonné prêtre en 1949, il est nommé curé de Lucgarier, Lys, Gomer, puis surveillant d’étude à Nay pendant près de quarante ans.
Il est heureux auprès des jeunes, grand sportif, les fait jouer au rugby.
L’éditeur Paul Mirat se souvient de sa rencontre avec le prêtre-poète en 1965, en classe de septième au collège Saint-Joseph à Nay, il avait neuf ans :
"Béga me prit sous son aile et en faisant les cent pas autour du cloître du collège, il m'apprit qu'il était en correspondance amicale et poétique avec mon grand-père paternel.
Je n'ai jamais perdu le contact et allais de temps en temps à Pontacq faire avec lui le tour du parc de sa belle maison familiale. Il m'y recevait toujours avec la même gentillesse. Une vingtaine d'années après cette première rencontre, j'étais alors à la tête d'une imprimerie paloise, une amie de Navarrenx me demande si par hasard je pouvais lui indiquer un poète béarnais susceptible de donner une causerie sur « l'apport du Béarn dans l'œuvre poétique ». Spontanément je lui indiquai Béga, l'assurant qu'elle trouverait au moins une de ses plaquettes chez n'importe quel libraire de la région. Elle me rappelle quelques jours plus tard : « Paul, j'ai fait le tour des libraires, tous connaissent ton abbé mais ses plaquettes sont introuvables ». J'organisai donc une rencontre à Pontacq où mon amie Marie, jeune et belle béarno-vénitienne, chevelure au vent fit crisser le gravier de l'allée au volant de sa rutilante décapotable rouge.
L'abbé fit des mines, joua les anachorètes, se fit beaucoup prier, mais les yeux doux de Marie accomplirent le miracle.
La conférence se tint par un beau soir d'été, dans une salle archi-comble du château d'Audaux ; à la fin, le public nombreux s'étonna de ne pouvoir repartir avec quelques poèmes imprimés. L'abbé répondit qu'il éditait à compte d'auteur, à une centaine d'exemplaires tout au plus, qu'il en donnait une trentaine à ses amis et brûlait le reliquat.
Après ce beau succès, Marie, l'abbé et moi priment la route de Sauveterre, l'auberge surplombait le gave, les hirondelles virevoltaient dans un flamboiement orange et pendant que le Jurançon nous plongeait en état de grâce cette drôle d'idée me vint. Entre la poire et le fromage, je proposai à l'abbé d'éditer l'ensemble de son œuvre ! Je me souviens encore de son éclat de rire, il me traite de fou et me lance : « Mais enfin, Paul, je n'ai pas un pic ! ». Marie, brillante chef d'entreprise, assure alors l'affaire, s'engageant à couvrir les pertes si pertes il y avait. De retour à Pau, le plus dur fut de convaincre mes associés, une fois de plus je fus traité de fou. Editer de la poésie ?Écrite par un curé ? Que l'on m'enferme de suite !
C'est ainsi que quelques semaines plus tard, Georges Saint-Clair reçut le Prix de poésie de l'Académie française et que je devins éditeur : « Poésies complètes », Georges Saint-Clair, éditions Covedi, Pau, 1992".
Mais Georges Saint-Clair était également tourné vers sa vie intérieure, lors des longues nuits de veille consacrées à la lecture et à l’écriture. Ecrire était pour ce prêtre sensible, à la foi ardente, « une mise au point, une introspection, une radio que je m’administre ». Ecrire le rendait heureux. A travers ses poèmes, il parlait de Dieu. Pourquoi avait- il choisi le nom de Georges Saint-Clair ? Saint-Clair est le nom du Mont où est enterré le poète Paul Valéry, dont il était un fervent admirateur. La nuit précédant les obsèques du poète, l’abbé avait passé toute la nuit dans le cimetière marin, sur le Mont Saint-Clair, pleurant son poète chéri. « Son œuvre m’avait bouleversé », racontait l’abbé qui, en citant ses vers avait les larmes qui lui montaient à nouveau aux yeux. Il avait la beauté de ces aînés, qui rayonnent d’humour et de sagesse.
"Georges Saint-Clair, féeries intérieures" de Jacques Le Gall (PUPA, Presses universitaires de Pau Aquitaine)