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Histoire
Février 1906 : le Pays Basque défend ses églises contre les spoliations républicaines
Février 1906 : le Pays Basque défend ses églises contre les spoliations républicaines

| Alexandre de La Cerda 856 mots

Février 1906 : le Pays Basque défend ses églises contre les spoliations républicaines

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Le marquis d’Arcangues menotté par les gendarmes, mars 1906 ©
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La reine Nathalie de Serbie protestait également contre les "Inventaires"... ©
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Il y a cent quinze ans, l'application de la loi de Séparation de l’Eglise et de l’Etat avait mis la France en ébullition, particulièrement le Pays Basque. Parmi les épisodes les plus « tumultueux », les expulsions de religieux et les troubles provoqués par les fameux « Inventaires » des biens ecclésiastiques de 1906 avec la célèbre photo du marquis d’Arcangues menotté par les gendarmes publiée en une par « L’Illustration » qui a fait le tour de la France.

Un climat de combat…

A l’image d’Arcangues, l'agitation avait gagné les paroisses les plus reculées. « Il est frappant de constater que, dans toutes les localités basques, en particulier celles que la Révolution avait soumis à la déportation en 1794, la résistance aux Inventaires a été particulièrement active » (1).

A Urrugne, les paroissiens résistèrent aux forces de l'ordre et à l'infanterie, venues de Bayonne... Le curé, devant le porche, lut une protestation, puis se retira dans l'église, où les hommes s'étaient enfermés. Tous chantaient des cantiques, tandis que la petite porte était enfoncée... Pendant ce temps, la population, massée sur la place, en face de l'église, clamait son indignation ; un homme solide s'accrochait à la bride du cheval du capitaine, mais il lui fallut bien céder…

Même résistance à Bidarray où les habitants, groupés autour de l'Eglise, offrirent le rempart de leurs poitrines à l'assaut des soldats.

La côte et les grandes villes n’étaient pas de reste : à Biarritz, il ne fallut pas moins d’une vingtaine de gendarmes sabre au poing et tout un bataillon du 49e régiment d’Infanterie appelé en renfort depuis Bayonne pour protéger les autorités, maire et sous-préfet en tête, venus procéder aux inventaires de l’église Saint-Martin sous les hurlements et quolibets de la foule assemblée : « sacrilèges, voleurs…» !  A Sainte-Eugénie, le populaire curé Gaston Larre, retranché dans son église, résista à la troupe pendant que la foule, maintenue à l’écart, clamait son indignation. « L’Illustration » publia la photo de la reine Nathalie de Serbie au milieu des protestataires, indiquant « qu’elle se montra parmi les plus résolus : elle avait amené avec elle tout un groupe des fillettes des écoles chrétiennes en leur faisant chanter des cantiques sur la place, car on ne laissait personne approcher de l’église ». Une inscription sur la porte de la sacristie dénonce encore aujourd’hui l’attitude des autorités qui en avaient forcé l’entrée alors qu’une déclaration ministérielle à la Chambre des Députés, trois semaines auparavant, avait assuré : « Nous ne sommes pas des crocheteurs… ».

De l’anticléricalisme à un apaisement négocié

La loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat, votée le 3 juillet 1905 et promulguée en décembre était l’aboutissement d’une dégradation progressive des relations de l’Etat avec l’Eglise catholique. Marquée à partir des années 1880 par les décrets de dissolution des Jésuites assortis de menaces envers les autres congrégations catholiques, elle tournait à « l’anticléricalisme comme mode de gouvernement » (2) avec la loi de 1901 sur les associations, œuvre de Waldeck-Rousseau visant en réalité les congrégations. L’année suivante, dans un climat assombri par l'affaire Dreyfus, les élections portèrent au pouvoir les radicaux et radicaux-socialistes ; Emile Combes, ancien séminariste et docteur en théologie assura avec encore plus de sectarisme l'exécution de cette loi. « Ce petit vieillard de soixante-dix ans, étroit et borné, pétri de haine farouche, en fit une arme exterminatrice pour les congrégations religieuses. Toutes les autorisations furent refusées en bloc, et le droit d'enseigner leur fut retiré.. » (3). Même l’observatoire du château d’Abbadia, appartenant à l’Académie des Sciences, fut fermé car, conformément au testament d’Antoine d’Abbadie, il était confié à un religieux ! Il fallut attendre la guerre de 1914-18 pour que les religieux puissent rentrer d’exil…

Le vote de la Loi de 1905 intervint dans un véritable climat de guerre de religion encore accentué par une défaite diplomatique à l’extérieur : obligé de plier devant les exigences allemandes, le président du conseil Maurice Rouvier avait été contraint de « démissionner » de façon humiliante son ministre des Affaires Etrangères Delcassé. Et la rupture unilatérale par la France d’un traité bilatéral, le Concordat, sans engager de nouvelles négociations avec le Saint-Siège, fragilisa encore sa position internationale…

Dans le diocèse de Bayonne, privé de son évêque depuis la mort de Mgr Jauffret en 1902, tous les sénateurs (sauf un) votèrent contre la loi ainsi que 4 députés sur 7 : Harriague (Bayonne II), Legrand (Bayonne I), Pradet-Balade (Mauléon) et Gontaud-Biron (Pau II).

Depuis lors, ce texte législatif a été précisé et complété grâce à des négociations menées sous les pontificats de Benoît XV, de Pie XI et aboutissant sous Pie XII à une convention touchant au statut de l’Église en France.

Dans son discours de réception à l’Académie des Sciences morales et politiques, le cardinal Etchegaray suggérait que l’Etat laïque ne pouvait plus se contenter d’une neutralité par abstention. Son devoir et son intérêt même lui dictent de créer un climat qui permette à chaque religion de se réaliser, dans toutes ses exigences culturelles et sociales, de telle manière qu’à l’intérieur du débat démocratique elles puissent vivifier tout le tissu national.

(1) « Les Inventaires de 1906 dans les B.P. », P. Tauzia, S.L.A. 1971
(2) « Clemenceau » de Philippe Erlanger (Perrin, 1979)
(3) dans « L’âme basque » de Roland Moreau (Ulysse-Editions, 1982)

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Pyrénées : le curé protégé par les ours lors des "Inventaires" ©
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