Marseille 2018. Deux immeubles s’effondrent rue d’Aubagne, au cœur de la ville, dans le quartier populaire de Noailles. Sous les décombres, huit morts sont à déplorer. La population du quartier s’insurge d’autant que de nombreux immeubles sont vétustes, délabrés, et menacent de s’effondrer.
La municipalité de droite, depuis 23 ans (1995 : élection de Jean-Claude Gaudin), avoue son impuissance, face à ce drame, malgré de nombreuses alertes. Les sinistrés sont provisoirement logés dans une église avoisinante où, Alice (Lola Naymark), militante écologique dirige, tant bien que mal, une chorale. Son amoureux est Sarkis (Robinson Stévenin) patron du bistro « La Nouvelle Arménie », un lieu de rencontre favorisant des liens avec la communauté arménienne installée à Marseille depuis les années 1920 : celle-ci fuyait le génocide (1915/1923) perpétré par l’Empire Ottoman.
La mère de Sarkis, Rosa (Ariane Ascaride) est infirmière dans le grand hôpital de la « Timone ». Elle est proche de la retraite mais milite toujours à gauche et tente de regrouper les militants de gauche et les écologistes en vue des prochaines élections municipales. Elle se désespère des divisions et de l’inertie de ses camarades. Elle s’épuise dans son travail et dans d’interminables réunions afin de dresser une liste de candidats. Elle se dit prête à abandonner, devant les difficultés, le rassemblement des troupes de gauche.
Henri (Jean-Pierre Darroussin) qui vient de prendre sa retraite et transmettre sa librairie, s’installe provisoirement à Marseille, dans un hôtel, afin de se rapprocher d’Alice, sa fille. Il fait ainsi la connaissance de Rosa, mais aussi de Tonio (Gérard Meylan) le frère de celle-ci, chauffeur de taxi, de Laëtitia (Alice Da Luz) une collègue de Rosa, colocataire de Tonio, et de Minas (Grégoire Leprince-Ringuet), le second fils, médecin, de Rosa.
Tout ce petit monde gravite autour de la figure tutélaire de Rosa femme d’idées et d’actions … Henri ne semble pas insensible à cette veuve énergique …
Et la fête continue est le 23ème long métrage de Robert Guédiguian (70 ans), lequel trace le même sillon depuis son premier opus : Dernier Été (1981). Ce réalisateur marseillais également scénariste (avec des collaborateurs) et producteur, est un cas singulier dans l’univers du cinéma hexagonal. Ses films, à peu d’exception, ont pour cadre Marseille (quartier de L’Estaque !) ou sa région : il s’éloigne fort peu de son centre de gravité hormis : 2005, Le Promeneur du Champs de Mars ; 2009, L’Armée du crime.
Ses interprètes, souvent les mêmes, forment une véritable troupe de comédiens : Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Robinson Stévenin, etc. Ariane Ascaride, son épouse, est la porte-parole d’un personnage fort, résilient, dans la quasi-totalité de sa filmographie à quelques exceptions (Le Promeneur du Champs de Mars, sur la fin de vie du Président François Mitterrand). Exception qui confirme la règle !
Avec le temps, les films de Robert Guédiguian ont gagné en complexité à la fois dans le fond (scénario) et dans la forme (mise en scène : images et sons). De fait, ses dernières œuvres sont devenues moins manichéennes que le « cinéma social », projeté dans les festivals avec obstination, à une assemblée en smoking et robes du soir, qui truste les récompenses : le britannique Ken Loach (deux Palmes d’or au Festival de Cannes en 2006 et 2016, pour Le Vent se lève et Moi, Daniel Blake), et les frères belges Jean-Pierre et Luc Dardenne (deux Palmes d’or également en 1999 et 2005 pour Rosetta et L’Enfant, auxquelles il faut ajouter une multitude de prix !).
Des musiques préexistantes, Joseph Haydn (1732/1809), Wolfgang Amadeus Mozart (1756/1791), Gioachino Rossini (1792/1868) et la chanson Emmenez-moi (1967) de Charles Aznavour (1924/2018), d’origine arménienne comme le réalisateur, lient et soulignent avec justesse, l’arc narratif.
Robert Guédiguian semble s’être libéré de la pesanteur formelle de ses choix politiques qui « alourdissaient » ses œuvres. Et la fête continue ! baigne, sous le soleil provençal, dans un climat de désillusion et de mélancolie mais, toutefois, sans renoncement : la vie continue !
Comme toujours, la troupe d’acteurs du réalisateur marseillais sont au diapason : ils adhèrent à l’histoire sociale telle qu’elle est contée ; ils sonnent juste. La scène finale, chorale, est émouvante. A l’évidence, Et la fête continue ! harmonise le « cinéma d’auteur » et le « cinéma populaire ».