Automne 2012. Une villa luxueuse au bord de la Méditerranée à Marbella (Espagne, Andalousie). Un homme anxieux, nerveux, Hubert Antoine (Roschdy Zem) arpente les pièces puis sort dans le jardin jouxtant la mer. Soudain, il se précipite sur une plage à proximité de laquelle arrive, du large, une noria de zodiacs chargés de ballots surveillés par des hommes armés. Les colis sont rapidement chargés dans des fourgons lesquels se rangent sans plus tarder dans le grand garage de la villa. Hubert Antoine supervise l’opération : il s’agit de tonnes de drogue qui vont être acheminées vers Paris et Amsterdam.
Jacques Billard (Vincent Lindon) patron de l’OCRTIS (Office Central pour la Répression du Trafic Illicite des Stupéfiants) prend la parole dans un symposium pour défendre sa doctrine : il ne sert à rien de saisir des cargaisons de drogue dans la mesure ou il s’agit d’un prélèvement ridicule sur la quantité en circulation. En revanche, il faut intervenir sur la logistique des réseaux de passeurs afin de désorganiser leurs transactions : c’est beaucoup plus rentable … Cette stratégie a une conséquence majeure : pour avoir des informations sur les réseaux il est nécessaire de frayer avec de « gros bonnets », ce qui n’est pas anodin. De fait, on favorise le négoce de certains narcotrafiquants : c’est un jeu dangereux.
En octobre 2015, en plein centre de Paris, un contrôle inopiné sur des camions stationnés « sous surveillance » permet à la police de saisir neuf tonnes de drogue d’un important « parrain » en relation avec l’OCRTIS. La Procureure de la République (Valeria Bruni Tedeschi) lance une enquête et convoque Jacques Billard. Stéphane Vilner (Pio Marmaï) journaliste d’investigation au quotidien Libération démarre la sienne avec l’accord de sa rédaction.
L’affaire s’ébruite. Le journaliste est contacté par un inconnu qu’il rencontre dans un café : c’est Hubert Antoine, détenteur d’informations sensationnelles sur les rapports entre Jacques Billard, haut fonctionnaire de police, et les « gros bonnets » de la drogue.
Hubert Antoine a une personnalité complexe : est-il un manipulateur, un délateur ou un mythomane … Il est très prolixe.
Enquête sur un scandale d’Etat, troisième long métrage de Thierry de Peretti (51 ans) est tiré d’une histoire vraie : les révélations d’Hubert Antoine, un « aventurier du renseignement », de l’infiltration, au journaliste de Libération Emmanuel Fansten. Ensemble, ils rédigent un ouvrage à partir de leurs longs entretiens : L’infiltré (Editeur Robert Laffont – 2017), dont s’inspire librement le scénario du film. Jusqu'où, un état de droit peut-il se compromettre, via de hauts fonctionnaires de police, avec des truands notoires pour obtenir des résultats quantifiables ? A cette interrogation s’ajoute les doutes récurrents du journaliste/rédacteur souvent déstabilisé par la personnalité trouble de son informateur : Hubert Antoine reconnaît une longue amitié avec Jacques Billard qui aurait pris fin. Depuis, il l’accable de reproches, d’agissement déloyaux dans son ministère. Avec ses dossiers soigneusement classés, il souhaite « faire péter la République ». Rien de moins !
Thierry de Peretti raconte cette filandreuse histoire dans un style nerveux quoiqu’un peu bavard. Pour donner plus de vérité à son récit cinématographique, il choisit de le photographier en image format 1.33 :1 (format carré) inusité de nos jours, et en caméra numérique, éclairage naturel et son direct. La qualité de l’image sur l’écran s’en ressent. Par contre, les cadres sont toujours justes. Au Festival de San Sébastian 2021 où Enquête sur un scandale d’Etat a été présenté en sélection officielle, le film a remporté le Prix de la meilleure image ! C’est pour le moins surprenant de la part de nos amis espagnols.
Les deux acteurs principaux Roschdy Zem (Hubert Antoine) et Pio Marmaï (Stéphane Vilkner) sont surprenants de vérité chacun dans son style : le premier « tordu », dilettante, tout en sous-entendu et non-dit ambigu ; le second droit, entêté, dévoué à son enquête à la recherche de vérités qui se dérobent, s’estompent. Quelques intrusions puissantes de Vincent Lindon (Jacques Billard) en « super flic », passablement retors, complètent le tableau.
En conclusion, Enquête sur un scandale d’Etat un thriller haletant de deux heures que l’on visionne avec plaisir. De surcroît, nous sommes amenés, sans didactisme ni manichéisme, à nous interroger sur la solidité d’une démocratie adossée à un état de droit.