A propos de l’exposition à la Médiathèque Bayonne qui évoque, grâce à un choix de documents anciens (plaquettes, photos, cartes postales, livres, objets), les relations entre Edmond Rostand et la 1ère guerre mondiale, de son rôle pendant le conflit à ses œuvres « récupérées par une propagande nationale », nous indiquions dans notre « Lettre » précédente que, jusqu’au bout de ses forces, dans l’espérance d’une issue victorieuse de la guerre de 14, l’auteur de « Cyrano » continuait de recevoir ses visiteurs à Arnaga : Pierre Loti, le poète Francis Jammes, ainsi que Sarah Bernhardt, en convalescence après son amputation de la jambe droite par un chirurgien militaire à Bordeaux.
En 1918, après un court séjour à Paris pour assister à la revue du 14 juillet, voilà Edmond Rostand de retour à Arnaga en compagnie de la comédienne Marie Marquet qui rêvait de prendre auprès de lui la place vacante de Rosemonde, affairée auprès de son protégé, le jeune compositeur Tiarko Richepin qui connaissait ses premiers succès à l’Opéra-Comique avec « La petite marchande d’Alumettes », mais avait été blessé au front.
C’est à ce moment, en septembre 1918, qu’une délégation de la troupe de l’Opéra-Comique parisien, délocalisée à Biarritz à cause du canon allemand « la grosse Bertha » qui menaçait encore Paris à la fin de la guerre, vint lui rendre visite à Cambo. Le directeur de la troupe, Pierre Barthélémy Gheusi, très lié à la côte basque où il possédait une villa, décrit l’accueil de Rostand dans son livre « Guerre et théâtre ».
Dédoublant, en 1918, sur la scène du Casino Municipal de Biarritz la troupe de l'Opéra-Comique, son directeur, Gheusi, avait oeuvré sans relâche pour assurer le succès de cette saison improvisée, n'ayant même accordé à son personnel, en six laborieuses semaines, qu'une seule journée de repos.
Ce matin-là, il amena donc ses étoiles du chant et de la danse déjeuner "en famille" à Cambo.
L'après-midi, ils allèrent, tous ensemble, rendre visite à Edmond Rostand, qui les avait, dans Arnaga, reçus en artistes, "avec cette urbanité de race et cet empressement qui furent toujours la marque de sa grande âme, si simple en dépit des légendes, si rayonnante surtout d'amitié "candide" et de bonté. Déjà souffrant et fatigué, le poète avait tenu à leur faire lui-même les honneurs de "son délicieux Arnaga" parmi les vénérables tilleuls qu’il avait achetés déjà adultes dans une propriété voisine. Sous un ciel brumeux d'équinoxe, dans l'immobilité morne des lignes, effacées à demi, qui dessinaient les jardins seigneuriaux, les "portiques païens, les charmilles de buis et les chênes du carrascal basque, Rostand nous conduisit partout où nos yeux pouvaient admirer une perspective, découvrir un plan délicatement théâtral". Pour sa part, l'auteur de "Cyrano" vint ensuite plusieurs fois, au Casino Municipal de Biarritz, assister aux spectacles de la troupe de l’Opéra-Comique et les applaudir. C'était surtout pour Fanny Heldy, la "cantatrice aux cheveux d'or, échappée de l'occupation prussienne des Flandres" qu'il s'était enthousiasmé, note encore Gheusi…
Sa voix, qualifiée parfois de "miraculeuse, de source et de cristal", le frappait d'étonnement et le ravissait d'allégresse. Son jeu, si expressif et si sobre dans La Traviata - elle ne l'avait, peut-être, jamais aussi dramatiquement jouée que devant lui - et les innovations scéniques autour de l'incomparable artiste le passionnèrent tout un soir, et il se divertit même, notera Gheusi, "lui que son imagination étincelante devait par avance blaser sur tout inattendu, aux singularités pittoresques, mais un peu hérétiques de nos improvisations.
Ses effusions, juvéniles et imagées, ont été, parmi nous, spontanées comme ses deux mains tendues ; je suis sûr que tous ses hôtes d'un après-midi de septembre à Arnaga l'ont pleuré comme un camarade et regretté comme un ami".
En fait, Rostand sera resté à Arnaga jusqu’à cet « après-midi d’un dimanche, dans ce silence de la campagne où nul ne travaille », comme l’a écrit Paul Fort, des cloches se mirent à sonner tout alentour. Non seulement au clocher de Cambo, mais aussi d’Espelette, de Souraïde, de Larressore, d’Halsou… Victoire, s’écria Paul Fort, ce ne peut être que l’annonce de l’Armistice. Rostand et lui s’embrassèrent et Rostand décida de regagner Paris immédiatement : « Il faut que je sois là-bas, pour ce 11 novembre qui s’annonce celui de l’Armistice. Mais toutes ces morts, ces familles endeuillées ! N’a-t-on pas payé bien cher la joie qui nous inonde aujourd’hui ? »
Médiathèque de Bayonne, jusqu’au 21 novembre / Visites commentées samedi 27/10 et mercredi 31/10, mercredi 14/11, à 15h, en compagnie de Michel Forrier (tél. 05.59.59.17.13 ou site Web : https://bit.ly/2MJWm9P