0
Spiritualité
De saint Michel Garicoits et du card. Lavigerie à Jacques Ellul, des vies chrétiennes croisées
De saint Michel Garicoits et du card. Lavigerie à Jacques Ellul, des vies chrétiennes croisées

| François-Xavier Esponde 2385 mots

De saint Michel Garicoits et du card. Lavigerie à Jacques Ellul, des vies chrétiennes croisées

Dans le diocèse de Bayonne, Lescar & Oloron, quatre vies croisées du passé continué ont marqué la vie spirituelle des diocésains eux mêmes et bien au delà : saint Michel Garicoïts, le Bx Edouard Cestac, ainsi que les cardinaux Lavigerie et Etchegaray, auxquelles on ajoutera dans un domaine distinct celle de Jacques Ellul...

Saint Michel Garicoïts (1797-1863).jpg
Saint Michel Garicoïts (1797-1863) ©
Saint Michel Garicoïts (1797-1863).jpg

Le Père Michel Garicoïts y fut témoin de la Révolution Française et des avatars historiques d'un passé douloureux ici comme en tous diocèses voisins.

Son souci fut recommandé par l'évêque de ce temps, des séminaires, de la formation religieuse et du clergé, des fidèles a laissé une empreinte profonde à Larressore, Nay, Bayonne, et dans de institutions comme la Maison des Missionnaires de Hasparren puis encore à l'Abbaye de Belloc et chez les Bénédictines voisines. 

Le jansénisme ambiant avait entraîné la fermeture par deux fois du séminaire bayonnais sur décision romaine...

L'histoire de Bétharram prit son essor avec Michel Garicoïts, Père Etchecopar autant de mémoires actives de l'Institut dans la région et dans le monde.

Mais les questions demeuraient, d'un séminaire diocésain ou d'un séminaire bétharramite pour le diocèse ?

On  préjuge que le sujet demeure toujours aujourd'hui dans ce rapport induit entre religieux et séculiers d'un clergé soumis à des règles canoniques différentes.

- Il y eut encore la figure non des moindres d'Edouard Cestac et son rayonnement "charitable" à Anglet au "Refuge des Soeurs bleues" pour les uns pour les distinguer des Filles de la Croix, comme Soeurs de Notre Dame du Refuge 

Leur rayonnement fut large, écoles, dispensaires ruraux, de petites unités d'hôpitaux de campagne, d'écoles ménagères pour l'éducation des jeunes mères de famille, des ouvroirs où l'on apprenait la couture, la broderie, le repassage et bien des tâches domestiques habituelles.

D'autres congrégations religieuses, ursulines, carmel, franciscaines, dominicaines, siervas de Maria espagnoles, ont également tenu une mission passée dans ce diocèse ou poursuivent encore leurs activités.

Une assistance à la vie paroissiale s'ajoutant au reste de leurs occupations, les foyers sociaux modernes ont emprunté à ces mini sociétés actives des exemples acquis au long du temps de leur expérience.

Ce fut le siècle du rayonnement des congrégations diocésaines au XIX ème siècle, au sortir de la Révolution Française, il fallut réhabiliter la vie sociale et communale autour de l'école, de la paroisse et des services sanitaires les plus urgents !

- Le cardinal Lavigerie (notre photo de couverture : le buste du cardinal Lavigerie à Jérusalem) bien plus tard ouvrit des horizons à l'extérieur du diocèse avec le recrutement de jeunes gens et plus tard de jeunes filles, Pères Blancs et Soeurs Blanches pour l'Afrique et du nord et Centrale.

Des recrutements bien ciblés dans des familles militaires ou apparentées. Dans un contexte politico religieux de " la présence française en Afrique sur un continent colonial  ou d'influence française."

Pour l'histoire nul d'entre tous n'a oublié le Toast d'Alger d'un royaliste de tradition bien bayonnaise ouvert à la République, invitant l'Eglise et le diocèse de Bayonne à tempérer ses ardeurs anti républicaines, dans un dialogue ouvert et acquis des bénéfices et de la République et de l'Eglise pour le bien commun de la France !

Les congrégations insufflées par la figure géante de ce cardinal Bayonnais des Landes proches, ouvrirent des horizons positifs à l'Eglise elle même. L'apprentissage des langues et cultures autochtones africaines, l'ouverture de communautés religieuses et paroissiales, des écoles  en ces pays toujours d'obédience française, et à l'horizon de leur indépendance une approche pondérée des rapports entre colons et indépendants de fraiche date pour l'avenir.

On en mesure aujourd'hui encore les bienfaits ?

Bayonne s'ouvrait par le cardinal Lavigerie et ses oeuvres à des missions internationales et nationales plus évangéliques que de circonstance et d'intérêt politique du moment.

Parmi ces recrutements des locaux dans les rangs de "ces congrégations blanches" , on peut compter beaucoup de basco béarnais landais issus de vieilles familles issues de rangs militaires dans une région marquée par cette présence entre Bayonne Pau Mont de Marsan. 

Le cardinal Etchegaray avec Mgr Aillet
Le cardinal Etchegaray avec Mgr Aillet, à l'époque nouvel évêque de Bayonne © P. Exposito (Bayonne)
Le cardinal Etchegaray avec Mgr Aillet

- Le cardinal Roger Etchegaray 1922 -2019

Pour une génération plus contemporaine il y eut ce fils d'Espelette particulièrement au fait de la vie de son diocèse, qui décida de lui consacrer ses dernières années, après un séjour romain d'un quart de siècle.

Préoccupé par l'avenir et le recrutement du séminaire en difficulté, il distillait petitement ses desirata en laissant à chacun le soin de les comprendre ou les interpréter.

Bayonne méritait d'avoir son recrutement propre, de ses racines basco béarnaises et landaises, sans incompatibilité possible avec des arrivées externes, ne voyait d'antipathie entre ces deux dimensions légitimes d'une histoire religieuse conjuguées et complémentaires.

Le diocèse notoirement missionnaire ad extra devait assumer ad intra cet échange fraternel ?

"L'Eglise à ses vues était une grande maison ouverte mais à chaque étage de cet ensemble chacun devait y bâtir son espace de vie sociale, culturelle et spirituelle autonome". Il  ne manifestait de nostalgie du passé mais une confiance étonnante chez ce nonagénaire jeunes d'esprit et de coeur, pour la vie du monde et de son cher pays... basque universel !

Le père Etcharren des Missions Etrangères de Paris, originaire lui aussi du diocèse, entretenait avec feu le cardinal des relations amicales et suivies autour de l'Asie et de la Chine, terre de prédilection de ce vieux mandarins basque toujours rêvant d'un retour à Pékin, un jour, noizbait !

Croiser les vies de ces athlètes de la foi du passé nous donnera -t-elle de la ressource pour l'avenir ?

Nous sommes en droit de le penser. à l'heure des visites amicales romaines s'intéressent à notre futur diocésain.

Jacques Ellul, un esprit éclairé du siècle écoulé

Ses origines bordelaises issues de parentés maltaise, italienne, serbe, d'un père orthodoxe, d'une mère catholique disposant d'un statut austro-hongrois, de protection britannique et, ayant embrassé à 18 ans le protestantisme, font de lui une personnalité exceptionnelle.

On lui reconnaît une formation de sociologue, d'historien du droit, de lecteur assidu du marxisme et de théologien chrétien, d'esprit rebelle et anarchiste chrétien selon ses propres termes, né en 1912 et décédé à Pessac en 1994.

Sa pensée embrasse le monde des affaires auxquelles sa parenté aristocratique l'avait associé à Bordeaux dans l' économique et le négoce, tout en étant résistant engagé pendant la guerre, reconnu comme "un penseur acteur des temps modernes, de l'esprit académique et de la vie publique."

Indocile et d'un caractère atypique !

Il aura reçu par surcroit le titre "de Juste parmi les nations, à titre posthume". A la Libération en juriste, il intervient comme juge lors des procès de collaboration invoquant , " qu'une justice juste et non vengeresse soit assurée pour ces auteurs dénoncés du temps de la guerre !"

Ce grand seigneur de bonne famille s'intéresse dès ses jeunes années à la pensée philosophique de Karl Marx, sans devenir marxiste mais marxien comme on aimait dire en ces années des proxys d'aujourd'hui dans un paysage où le terme n'existait pas encore !

Le penseur rejetait le matérialisme historique attaché à son propos et la spiritualité laïque ou civile propre au marxisme, pratiquant des courants de pensée anarchistes qu'il avait côtoyés dans sa jeunesse sans en épouser le contenu.

Ses analyses sociologiques sur le monde du travail, des travailleurs, de l'économie, du marché et de la technique au travail fascinent. Elles furent prémonitoires, saisissantes d'acrimonie et dérangeantes pour nombre de croyants acquis au progrès humain et technologique, sans hésiter sur les suites induites d'une telle pensée libérale et communément admise.

On lui prête dans son travail à Bordeaux d'avoir rencontré des hostilités farouches pour ses idées auprès de ses employeurs  ; et dans les milieux religieux où il fait preuve de grande autonomie.

Ceux qui comprenaient la dimension intellectuelle de sa pensée en retinrent l'acuité et la perspicacité !

Mais elle ne lui fut acquise par tous.

La sacralisation de la technique au temps du XXème siècle lui était insupportable. Une société évoluée et progressiste lui semblait retirée du progrès en la technicité des choses et non dans le progrès humain de ses conséquences.

Des articles d'un esprit rebelle, trotskyste anticlérical mais hostile à la religion, dérangent encore aujourd'hui ceux qui lisent ou commentent cette pensée. La distinction entre religion et spiritualité le hante.

Dans "l'Espérance oubliée" en 1972 les lecteurs découvrent des thèmes chrétiens de sa philosophie. "La Foi au prix du doute" en 1980, puis encore "Anarchie et christianisme" en 1988 n'étaient pas dans le cours événementiel des années 70 et suivantes, où toute trace de spiritualité biblique devait disparaitre du cadran de la pensée officielle et universitaire française.

Depuis ce temps, la lecture politique et idéologique de l'auteur absente de sa pensée, on s'interroge encore à savoir si ses intuitions inspirées de la Bible, du Livre de Jonas, de classiques de la Torah la Genèse, Le Second Livre des Rois, l'Ecclésiaste, l'Epitre aux Romains, l'Apocalypse ne se doivent d' être re commentés   aujourd'hui en ce temps de bouleversement généralisé du classique par le wokisme académisé, et donnant  lieu à une révision de l'attitude d'intellectuels français.  Comme jean Paul Sartre rebelle farouche à reconnaitre la spiritualité ou lieu de ressourcement de la pensée sociale moderne.

L'existentialisme athée n'avait reçu sa faveur.

Le Livre de Jonas, ce monstre inouï qui dévore dans ses mâchoires toute autre liberté que celle qui viendrait des pouvoirs puissants et autoritaires des humains, est réédité et laissé à la réflexion de tout un chacun.

Jonas nous transporte au VIIIème siècle avant JC dans un récit aporétique. Faut-il l'évincer de la scène des temps que nous vivons ?

Dieu y prend un coup sévère, mais le prophète apocalyptique ne décolère contre son Seigneur qui a converti les païens de Ninive d'hier (et convertiraient ceux d'aujourd'hui). !

Avec quelque précaution introductive le présentateur de l'ouvrage, Sébastien Lapaque précise "Ninive est la grande ville, la cité des hommes, ce monde dont Satan est le prince, comprenez celui dans lequel nous serions aujourd'hui !

Un selon avis nous invite non à juger ce monde mais à l'étreindre avec humilité.

Jonas n'a pas choisi pour son avancement à être prophète, mais c'est Adonaî qui pariera sur lui !

Il invitera chacun de nous à risquer l'aventure chrétienne et spirituelle d'un lecteur passionné de la Bible qui visite tous les coins et recoins invisibles de ces Paroles qui dérangent plus qu'elles ne confortent les "craignant-Dieu" déjà assurés de leur propre survie !

Ce regard sur Jonas préfigure pour l'auteur le visage du Christ et celui du peuple choisi par lui pour conduire cette alliance pour la suite des temps.

"Mais le récit déroulé des événements du monde nous apprend la douleur intérieure de tout homme épris de ses facultés et de celles que lui adressent la grâce inconnue de Adonaï à aller là où il ne voudrait aller, et choisir des destinées non souhaitées !"

Jacques Ellul confirme le lien insécable de Jonas et des évangélistes Matthieu au chapitre 12, et de Luc au chapitre 11, à cette génération adultère "en fait de signe, il ne lui sera donné que le signe du prophète Jonas.
En effet comme Jonas est resté dans le ventre du monstre marin trois jours et trois nuits, le Fils de l'homme restera de même au coeur de la terre, trois jours et trois nuits" Mt 12,39-40.

Car le drame ambiant auquel nous sommes soumis désormais est le désir de miracle technique, du ciel pour solutionner nos problèmes, de guerre, de paix, de dialogue et de concorde, de sécurité et de justice...

La liste des doléances adressées à Adonaï est légion, le renvoi de réponses d'Adonaï est dérangeant !

Le nom de Jonas signifierait dans la bible celui de la colombe prise dans un tourbillon d'hostilités imbriquées entre elles.

Le temps de l'alliance et de la grâce serait-il venu ? Pour qui, pour Jonas ou pour nous ?

Pasteur Ellul rappelle que chaque année en synagogue lors de la fête de Yom Kippour on lit le livre de Jonas pour demander à Adonaï le Grand Pardon !

Jonas était contrarié par l'Eternel... Béni soit son nom d'avoir à convertir ses ennemis, et par devoir, il s'y soumit.

Il en fut sauvé par pure grâce, comme le seront un jour ceux qui endosseront "la tunique du service de la paix " en Europe, en Orient, sur les terres bénies de notre histoire et de nos origines spirituelles.

Mais faudra-t-il compter encore et encore des myriades de morts et de blessures irréparables avant de voir la promesse de Jonas se réaliser autour de nous.
Ces faibles lucioles que nous voyons de missions humanitaires, de déclarations papales pour revenir à la raison, semblent utopiques pour l'instant.

Mais les vieux stratèges de la guerre disent qu'il faut savoir y mettre un terme sans y laisser son honneur ou sa dignité. De telles vertus sont-elles encore audibles ou intelligibles dans le jeu actuel des rivalités impériales que nous contemplons par défaut !

* Eléments bibliographiques

Jacques Ellul est l'auteur d'une soixantaine d'ouvrages imprimés, de centaines d'articles, de milliers de lettres . Juriste de formation sept livres traitent la question des institutions et leur histoire en occident.

Authe sujet de recherche La technique et le politique 15,La théologie 19, Des recueils posthumes de lettres de l'auteur, 14 et les milliers d'articles de revues, journaux, éditions privées..

Depuis son enseignement à Montpellier, puis à Bordeaux et Paris jacques Ellul est hanté par le Marx contre le marxisme, du Capital à la technique au travail, de la Société industrielle à la société technicienne qui la domine, du Propagandé au Propagandiste qu'il abhorre en économie, de la place conquérante de la technique dans le monde contemporain qu'il dénonce, du statut du révolté dans toute révolution sociale, de l'aliénation à la liberté au nom d'une anarchie chrétienne selon ses termes, d'une dialectique de l'action et d'une réflexion biblique qui demeure le coeur de sa pensée académique et théologique.

La foi en la spiritualité contre la religion chrétienne qu'il qualifiera en 1982 de "trahison du Christ", habité d'un anticonformisme viscéral depuis son enfance et d'une origine familiale aristocratique venue d' Europe de l'est qui demeure, Jacques Ellul donne à réfléchir particulièrement en sus sur son opinion de l'islam politique.

Sa proximité avec le personnalisme d'Esprit d'Emmanuel Mounier interroge. De tels grands génies se croisent, se rencontrent et s'inspirent. Disparu en 1994, Ellul est encore présent à l'intelligence du siècle qu'il traversa de sa vie et de son esprit.

Répondre à () :

| | Connexion | Inscription