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Cinéma La critique de Jean Louis Requena
Dancing Pina (112’) - Film documentaire allemand de Florian Heinzen-Ziob
Dancing Pina (112’) - Film documentaire allemand de Florian Heinzen-Ziob

| Jean-Louis Requena 1047 mots

Dancing Pina (112’) - Film documentaire allemand de Florian Heinzen-Ziob

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"Dancing Pina" de Florian Heinzen-Ziob ©
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Philippina Bausch, danseuse et chorégraphe, alias Pina Bausch est née, en 1940, à Solingen (Allemagne). Ses parents sont gérants d’un hôtel dans sa ville natale. Elle affirmera qu’elle a « grandi dans un bistrot », sous les tables, au milieu des chaises, observant les consommateurs ; ce vécu enfantin aura une influence déterminante sur son art (Café Müller, création en 1978 ; affirmation de son style particulier). 
A quinze ans, Elle commence sa formation de danse à la Folkwang-Hochschule d’Essen, berceau de la danse-théâtre dirigée par Kurt Jooss (1901/1979), son professeur, lui-même influencé par le français Jean Cébron (1927/2019), l’un des rares danseurs/chorégrahe europeéen adepte alors, de la danse moderne
A 19 ans, grâce à une bourse, elle part étudier aux États-Unis à la prestigieuse Juilliard School de New-York. Elle travaille son art, comme soliste, avec plusieurs chorégraphes importants, dont notamment Paul Taylor (1930/2018) et Antony Tudor (1908/1987). En 1961, elle est embauchée par le Metropolitan Opéra de New York.

En 1962, Pina Bausch retourne en Allemagne, rappelée par son premier maître, Kurt Jooss. A partir de 1968, elle commence ses chorégraphies et prend, en 1969, la suite de Kurt Jooss. En 1972, lors d’une tournée aux États-Unis, elle rencontre le français Dominique Mercy (1950). Elle l’invite à la rejoindre dans son centre artistique de la danse, le Tanztheater Wuppertal, où elle développe son concept de danse-théâtre ou Tanztheater. Dès lors, ils seront des partenaires inséparables jusqu'à la mort de Pina Bausch en 2009, à l’âge de 68 ans, à Wuppertal (Land de Rhénanie-du-Nord- Westphalie).

Le répertoire de sa compagnie est constitué de 42 pièces de Fritz (1974) à Kontakhof (2008), troisième et ultime version, supervisée par Pina Bausch gravement malade. Depuis sa création, la troupe a accueilli environ 450 danseurs venus de tous horizons (pays, cultures, religions, etc.).

La danse-théâtre est un nouveau genre chorégraphique. Les danseurs, avec leurs « instruments » (leurs corps), ne sont plus astreints à accomplir la gestique classique, normalisée, fortement hiérarchisée, apprise au cours de leurs longs cursus (Opéra de Paris, le Bolchoï, deux des plus célèbres « temples »). 
D’autre part, la chorégraphe, bien que pointilleuse, intègre, mélange, les physiques des danseurs en dehors de toutes normes de silhouette générale, de taille ou de poids. Peu lui importe que le danseur jouisse d’une grande technique ou non ; ce qu’elle exige dans ses spectacles, c’est l’implication totale de chacun, la motivation soutenue. 

Enfin, les artistes ne sont plus muets comme l’exige la tradition, mais peuvent s’exprimer pour des paroles, voire des cris. Ses œuvres traitent, sous diverses formes, non conventionnelles, des sujets banaux du quotidien, des rapports de séduction hommes-femmes, de la solitude des couples : Café Müller (1978) déjà cité, Kontakthof (1978) une œuvre remarquable interprétée par sa troupe, puis reprise deux fois en 2000 avec des « dames et messieurs de 65 ans et plus » (habitants de Wuppertal !), puis en 2009 avec des « adolescents de 14 ans et plus » (élèves de lycée ou collège). 
En 2005, deux de ses œuvres représentées dans la Cour d’honneur du Palais des Papes au Festival de Théâtre d’Avignon ont stupéfié les spectateurs présents par, leur force, leur originalité : Walzer - Valses (création 1982), Nelken – Les Œillets (création 1982).

Dancing Pina est un documentaire du cinéaste allemand Florian Heinzen-Ziob. Ce long métrage de près de deux heures (112 minutes) met en miroir (montage en séquences alternées), deux pièces du répertoire de Pina Bausch : Iphigénie en Tauride (1779), création à l’Opéra de Paris du compositeur Christoph Willibald Gluck (1714/1787) et Le Sacre du Printemps, ballet de 29 minutes d’Igor Stravinsky (1882/1971) créé au théâtre des Champs-Élysées en 1913, dansé et chorégraphié par Vaslav Nijinsky (1889/1950). 
Dans son troisième long métrage le réalisateur filme deux œuvres on ne peu plus dissemblables dans le temps (XVIII ème siècle et XX ème siècle), dans l’écriture musicale (classique, moderne). 
Ces deux œuvres magistrales sont interprétées par des artistes venus d’horizons différents dans des lieux différents : L’Opéra Semper (Semperoper) dans le centre « historique » de la ville allemande de Dresde ; le second à L’école des Sables, au Sénégal, près l’océan Atlantique, à Toubab Dialo (proximité de Dakar !). 
Les répétions harassantes sont menées par des disciples de Pina Bausch dépositaires de ses principes, de sa méthode, de sa parole, à la fois calme et déterminée : les françaises Malou Airaudo (créatrice du rôle d’Iphigénie) et Clémentine Deluy (metteuse en scène à l’Opéra de Dresde) pour Iphigénie en Tauride ; l’australienne Joséphine Ann Andicott (metteuse en scène du ballet) et Le colombien Jorge Puerta Armenta pour Le Sacre du Printemps, tous deux secondés par la maîtresse des lieux, Germaine Acogny (78 ans) sénégalaise, directrice artistique de l’École des Sables.

Dancing Pina décrit aussi le choc culturel par-delà les continents : à Dresde la soliste sud-coréenne Sanguen Lee, grande liane déliée, répète inlassablement, corrige sa gestique particulière, sous la gouverne amicale de Clémentine Deluy et les remarques sévères de Malou Airaudo. 
A l’École des Sables, des africains et africaines venus de tous les pays (Mali, Cap-Vert, Niger, Benin, etc.) s’efforcent dans la douleur, mêlée de volonté, de danser le ballet d’Igor Stravinsky malgré leurs déficits technique (Hip-hop, danses africaines, etc.) : ils compensent, s’adaptent au mieux, sous la direction bienveillante de Joséphine Ann Andicott.

Dans Dancing Pina le déroulé du récit alterné des deux expériences artistiques, en apparence divergentes, ne nous laisse aucun répit, tant ce dernier sans rupture, est fluide : les balletomanes seront ravis, mais d’autres spectateurs moins férus de danse, également. 
Florian Heinzen-Ziob, filme sans fioritures, ni commentaires off, les deux chorégraphies légendaires, Iphigénie en Tauride et le Sacre du Printemps, qui conduites par d’anciens membres du Tanztheater nous frappent par leur humanité, leur pérennité. Pina Bausch, bien que disparue depuis quinze ans, irrigue encore, par ses disciples, le monde éphémère des ballets.

Dancing Pina, un film émouvant, lumineux, à voir toutes affaires cessantes !

P.S : Pina Bausch ne voulait pas que l’on enregistre en vidéo les prestations artistiques de sa compagnie. Toutefois, il existe d’anciennes vidéos VHS, dégradées au fil du temps, lesquelles nous laissent entrevoir l’étendue de son art. 

Deux cinéastes ont réalisé des films documentaires sur la chorégraphe : PINA (2010) long métrage (103’) en 3D de son compatriote Win Wenders. Les Rêves dansants, sur les pas de Pina Bausch (90’) où elle apparait fantomatique, souriante, mais déterminée a finaliser le spectacle (Kontakthof, troisième version avec des adolescents) quelques mois avant son décès.

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