Deux très bons amis, Bertrand de Bézenac et François de Laitre, ont effectué plusieurs périples au Kirghizstan, l’un en mai 2015 (notre « Lettre » du 10 février) et le second, l’hiver dernier, à l’occasion d’une chasse aux loups – animaux réputés nuisibles dans ce pays, car massacreurs de troupeaux –. Ils ont accepté de livrer à nos lecteurs le récit de leurs expéditions dont nous publions ici la deuxième partie.
« Après notre chevauchée kirghize de mai 2015 (« La Lettre » du 10 février), nos hôtes avec qui nous avions gardé contact, nous ont proposé de participer à une nouvelle activité qu'ils allaient développer : la chasse aux loups. Cette activité, qui soulèverait en France des cris, presque de toutes parts, est essentielle au Kirghizstan. Près de 5 000 loups peuplent les montagnes kirghizes. Lorsque l'hiver survient, la nourriture se faisant rare, les loups quittent les montagnes pour se rapprocher des villages près desquels paissent les troupeaux de chèvres, vaches et chevaux et dévastent les troupeaux. Ainsi, le loup est un nuisible au Kirghizstan. Chaque citoyen tuant un loup reçoit une récompense. Il en va de la protection de l'économie locale. Ainsi, à la suite de cette invitation, nous organisâmes une équipe de chasseurs composée de François, Bertrand et deux autres amis. Nous étions attendus au Kirghizstan mi-février, période idéale selon nos amis Kirghizes.
Après un arrêt plus long que prévu à Istanbul, nous arrivâmes à Bichkek avec 24h de retard. A notre arrivée à Bichkek au milieu de la nuit, nos hôtes Kaliynur et Mounarbek nous expliquèrent que les loups n'attendaient pas. Ainsi, après une courte nuit, nous partîmes pour la petite ville de Toktogul ville située à environ 6h de voiture à l'ouest de Bichkek. Cette ville qui porte le nom d'un célèbre musicien et poète kirghize est au bord d'un lac artificiel créé par les Soviétiques à la suite de la construction d'un barrage sur le Naryn, affluent du Syr-Daria, fleuve irrigant l’Ouzbékistan et le Kazakhstan.
Mi-février, l’hiver est encore rude et froid au Kirghizstan. Sur la route vers Toktogul, nous nous sommes arrêtés sur un plateau montagneux pour déjeuner. Les températures avoisinaient les -20 degrés et un vent glacial soufflait sur ce plateau situé à plus de 3000 m d’altitude.
En fin d'après-midi, nous arrivâmes à Toktogul. Sans perdre de temps, nous déchargeâmes les voitures et décidâmes directement de partir faire un entraînement de tir avant que la nuit tombe. Cet entrainement allait nous permettre de nous familiariser avec les armes de nos amis kirghizes mais aussi de faire connaissance avec certains de nos accompagnateurs durant cette semaine de chasse. En effet, il était plus simple de ne pas apporter d'armes de chasse avec nous et d'utiliser celles des locaux.
Sur le chemin du « stand de tir », nous passâmes chercher Ratbek, le garde-chasse, un homme d’une cinquantaine d’années, et Tinchteck, un ami de nos hôtes, âgé d’une trentaine d’années.
Le « stand de tir » était en fait composé d’un carton de pizza placé à 100 m de notre poste de tir collé entre deux vallons où paissait non loin un troupeau de chevaux. La découverte de ces armes fut très impressionnante, à se demander ce que nous allions chasser ! Le garde-chasse nous présenta son arme ainsi que son maniement, l’ancêtre de la kalachnikov (dite « la sulfateuse »), une carabine semi-automatique à dix coups. Nos hôtes nous sortirent d'autres armes, dont une carabine Mosin-Nagant de 1939 (JK28). En termes de munition, autant finir les stocks, et en plus ça coûte moins cher ; ils nous fournirent des balles de 1970 et 1975, venant des stocks militaires soviétiques. Nous allions chasser avec des armes de guerre…
Un à un, nous nous allongeâmes sur le sol pour tirer quelques balles. En dehors d'un des membres de notre équipe, et bien que nous atteignîmes tous la cible, le garde-chasse ne fut pas très rassuré par notre expérience de tir ! La nuit se mit à tomber et le froid commençait à nous envahir... Il était temps de rentrer se mettre au chaud et se reposer pour notre première journée de chasse et des six autres qui suivirent.
Dès cinq heures du matin, nos hôtes nous réveillèrent. Et c’est encore endormis que nous enfilâmes chacun nos sous-couches en laine de mérinos verte, polaires, pantalons et tenues de camouflage blanches afin d’affronter la rigueur du climat tout en étant presque invisibles aux yeux des animaux. Pendant le petit déjeuner, composé de pain et de thé, notre hôte passait des coups de téléphone aux différents bergers de la région pour recueillir des informations fraîches sur la position des loups.
« Waterbeck », un berger vivant sur un plateau isolé, entendit des loups hurler pendant la nuit. Le loup n'attend pas! Nous chargeâmes les armes dans les voitures et, après avoir récupéré le garde-chasse, nous partîmes en voiture jusqu'à la bergerie de Waterback située à une heure de Toktogul.
Sur un plateau isolé, perdu dans le brouillard et les lueurs du petit matin, nous vîmes une lumière à côté d'une bergerie en bois. Waterbeck nous attendait avec ses jumelles et son fusil sur l'épaule prêt à partir. Grimpant dans une des voitures, il nous guida dans cet épais brouillard à travers les dunes de neige du plateau. Nous cherchions les traces de loup dans la neige au fur à mesure que nous avancions. Tout d'un coup, Waterback demanda aux voitures de s'arrêter. Nous en descendîmes silencieusement. Sur le bord de la route, nous pouvions clairement identifier des traces de loups fraîches. Un loup parcourt en moyenne 30 kilomètres par jour. A quand remontaient-elles vraiment ? Nous l’ignorions. Nous essayâmes de suivre les traces. Mais dans cet épais brouillard, cela devenait quasiment impossible. Les kirghizes continuaient de passer des coups de téléphones aux bergers du coin et ce petit groupe parlait avec animation sur la stratégie à adopter.
La visibilité étant très faible et la neige commençant à tomber, nous décidâmes de revenir dans les voitures et d'attendre que le brouillard se lève avec le soleil. Plusieurs heures passèrent. En attendant, nous restions blottis dans la voiture à dormir ou à regarder des vidéos sur les téléphones portables de nos hôtes. Le Kirghizstan est un pays à 95% composé de hautes montagnes mais, étrangement, on y capte un réseau mobile quasiment partout.
Vers midi, le plateau se dégagea enfin pour laisser apparaître un immense terrain de chasse composé de dunes de neige à perte de vue. Avant de commencer la traque, nous prîmes le temps de nous restaurer et de nous désaltérer d’un bon thé chaud. L'ambiance était au beau fixe et tout le monde était déterminé à dénicher ces loups. Les locaux s'approchèrent du bord des collines pour examiner les flancs des montagnes nord où les loups se couchent pendant la journée. Ils virent que les traces continuaient vers l'autre flanc de la montagne. Nous reprîmes silencieusement les voitures afin de nous enfoncer plus loin dans le plateau.
Bloqués par la neige, nous descendîmes de voiture pour commencer notre approche et notre observation. A notre grande surprise, nous ne vîmes pas de loup mais un ibex qui semblait blessé. Après discussion avec le garde-chasse, nous n'eurent pas le droit d'abattre cet animal. Au même moment, nous entendîmes des coups de feu dans la vallée. Sûrement des braconniers qui étaient en train de traquer l'ibex. Le garde-chasse passa quelques coups de fil aux autorités pour signaler la présence de braconniers et vérifier que personne d'autre n'avait de permis pour chasser dans la région en ce moment. Nous abandonnâmes l'ibex à son destin et repartîmes traquer nos loups.