C’est une citation de Roland Machenaud, le fondateur de notre ancien hebdomadaire régional basque et de plusieurs autres médias, dont dernièrement « Golf Planète », qui nous a fait découvrir ce texte paru en décembre 2019 dans l’« Agefi » sous la signature de Christophe Clavé.
De quoi "méditer" à l'occasion de la Semaine de la langue française et de la Francophonie qui se déroule actuellement jusqu'au 24 mars prochain. Cette semaine permet de célébrer la langue française à travers de nombreuses animations organisées partout en France et à l'étranger...
Dans son exigeante quête de pensée libre face au politiquement correct, ce chef d'entreprise, enseignant et auteur d'ouvrages en matière de stratégie et direction d'entreprise, considère « la lecture et l’écriture comme une nourriture, une thérapie, un art de vivre ».
Ce texte nous paraît essentiel dans l’état de déstructuration progressive de notre patrimoine culturel : mettant en parallèle une baisse (parfois contestée) du niveau d’intelligence et un rétrécissement du champ lexical ainsi qu’un appauvrissement de la langue, Christophe Clavé estime qu’une diminution du vocabulaire utilisé et des subtilité de la langue éloigne d’une pensée complexe.
A ce propos, la prise de position du célèbre acteur Pierre Arditi que l'on prend plaisir à retrouver (entre autres) dans la remarquable série télévisée "Le sang de la vigne" - réalisée à partir des passionnants et si documentés romans de mon cher et vieil ami Jean-Pierre Alaux intervient également au bon moment.
Car la défense de la survie et du développement de nos langues régionales - telles le basque et le gascon/béarnais - va de pair avec des efforts accrus en faveur du français, si mis à mal, par exemple au sein de l'Union européenne, et même dans certains milieux "officiels" français !
ALC
Le texte de Christophe Clavé :
« La disparition progressive des temps (subjonctif, passé simple, imparfait, formes composées du futur, participe passé…) donne lieu à une pensée au présent, limitée à l’instant, incapable de projections dans le temps.
La généralisation du tutoiement, la disparition des majuscules et de la ponctuation sont autant de coups mortels portés à la subtilité de l’expression.
Supprimer le mot «mademoiselle» est non seulement renoncer à l’esthétique d’un mot, mais également promouvoir l’idée qu’entre une petite fille et une femme il n’y a rien.
Moins de mots et moins de verbes conjugués c’est moins de capacités à exprimer les émotions et moins de possibilité d’élaborer une pensée.
Des études ont montré qu’une partie de la violence dans la sphère publique et privée provient directement de l’incapacité à mettre des mots sur les émotions.
Sans mot pour construire un raisonnement, la pensée complexe chère à Edgar Morin est entravée, rendue impossible.
Plus le langage est pauvre, moins la pensée existe.
L’histoire est riche d’exemples et les écrits sont nombreux de Georges Orwell dans « 1984 » à Ray Bradbury dans « Fahrenheit 451 » qui ont relaté comment les dictatures de toutes obédiences entravaient la pensée en réduisant et tordant le nombre et le sens des mots.
Il n’y a pas de pensée critique sans pensée. Et il n’y a pas de pensée sans mots.
Comment construire une pensée hypothético-déductive sans maîtrise du conditionnel ? Comment envisager l’avenir sans conjugaison au futur ? Comment appréhender une temporalité, une succession d’éléments dans le temps, qu’ils soient passés ou à venir, ainsi que leur durée relative, sans une langue qui fait la différence entre ce qui aurait pu être, ce qui a été, ce qui est, ce qui pourrait advenir, et ce qui sera après que ce qui pourrait advenir soit advenu ? Si un cri de ralliement devait se faire entendre aujourd’hui, ce serait celui, adressé aux parents et aux enseignants : faites parler, lire et écrire vos enfants, vos élèves, vos étudiants.
Enseignez et pratiquez la langue dans ses formes les plus variées, même si elle semble compliquée, surtout si elle est compliquée. Parce que dans cet effort se trouve la liberté. Ceux qui expliquent à longueur de temps qu’il faut simplifier l’orthographe, purger la langue de ses «défauts», abolir les genres, les temps, les nuances, tout ce qui crée de la complexité sont les fossoyeurs de l’esprit humain. Il n’est pas de liberté sans exigences. Il n’est pas de beauté sans la pensée de la beauté ».
Christophe Clavé