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Cinéma
Babylon (189’) - Film américain de Damien Chazelle
Babylon (189’) - Film américain de Damien Chazelle

| Jean-Louis Requena 1150 mots

Babylon (189’) - Film américain de Damien Chazelle

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Tournage de Babylon ©
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"Babylon" ©
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Californie,1926. Dans les collines autour de Los Angeles, un routier obèse vient chercher un cheval, clou de la fête chez Don Wallach (Jeff Garin), un producteur de l’industrie cinématographique hollywoodienne, en plein essor. En fait, pas d’équidé, mais un éléphant rétif, à un transport en camion. Manuel « Manny » Torres (Diego Calva), immigré d’origine mexicaine, devient grâce à sa promptitude pour résoudre tous les problèmes, entre autres celui du voyage mouvementé de l’éléphant, un homme à tout faire pour les studios Kinoscope. 
Lors de la fête orgiaque, ou de nouveau, il démontre sa débrouillardise en exfiltrant une starlette, Jane Thorton (Phoebe Tonkin) décédée d’une overdose lors d’une séance d’ondinisme, il assiste, médusé, à l’arrivée fracassante, en voiture décapotable, de Nellie LaRoy (Margot Robbie) déjà passablement ivre. 
Au culot, bien qu’inconnue, elle se mêle à la bacchanale à demi-nue. Manuel « Manny » Torres tombe, sur l’instant, amoureux de cette tornade blonde. Jack Conrad (Brad Pitt) lui aussi éméché se disputant avec sa femme Estelle (Katherine Waterston), arrive à la bacchanale qui se poursuit dans les libations, les fornications et les danses endiablées.

Parmi les convives de cette soirée sont présents Lady Fay Zhu (Li Jun Li), une danseuse de cabaret, spécialiste des intertitres (cartons) des films muets ; Sidney Palmer (Jovan Adepo) un trompettiste noir virtuose accablé de reproches sur son jeu puissant par son patron, chef de l’orchestre de jazz. La fête bat son plein jusqu'au petit jour dans ce luxueux manoir juché en haut d’une colline, dans les environs de Los Angeles.

Manuel ramène dans sa luxueuse demeure Jack Conrad, la star du studio Kinoscope, ivre mort. Ce dernier se prend d’amitié pour Manuel et lui propose de l’accompagner sur le tournage en extérieur d’un péplum, sorte de fresque biblique, aux multiples figurants. L’atmosphère sur le plateau est tendue : Jack n’arrête pas de boire quantité d’alcool. Le tournage semble s’acheminer vers un désastre. Manuel est fasciné par ce chaos, ce tohu-bohu incessant qui semble courir à la catastrophe …

De son coté, Nellie LaRoy est convoquée, en doublure, sur un petit film muet, en cours de réalisation dans un décor sommaire. La metteuse en scène est une aboyeuse …

De 1926 à 1928, Age d’Or du cinéma muet hollywoodien, les cinq principaux studios (Big Five) sont déjà actifs : Paramount Pictures (1916), Warner Bros Pictures (1923), Métro-Goldwyn-Meyer (1924), RKO Radio Pictures (1928) et enfin 20th Century Fox Film Corporation (1915 restructurée en 1933). De ces « usines à rêves » sortent des centaines de films en noir et blanc, lesquels après avoir été largement amortis sur le territoire des États-Unis, inondent le monde entier en faisant « ruisseler » une rivière d’argent dans leurs caisses. En effet, « les silent movies » (films muets) n’ont pas la barrière de la langue qui segmente le marché de « l’Entertainment » : ils sont universels ! 
Charlie Chaplin (1889/1977), Buster Keaton (1895/1966), pour ne citer que ces deux artistes, déclenchent les mêmes rires quel que soit les pays où ils paraissent sur l’écran. Un « star system » est mis en place par les studios afin de faciliter l’identification aux héros et héroïnes des courts (2 bobines) et longs métrages (4 bobines et plus). Citons quelques-uns des plus emblématiques : Rudolph Valentino (1895/1926), John Gilbert (1897/1936), Douglas Fairbanks (1883/1939) chez les acteurs; Lillian Gish (1893/1993), Greta Garbo (1905/1990), Joan Crawford (1904/1977) chez les actrices.

Tout allait au mieux dans le meilleur des mondes décrit par Woodrow Olivetti (auteur américain d’Éros à Hollywood - 1970), comme un endroit où l’activité humaine (à Hollywood) se subdivise en trois parties : « la recherche du plaisir, la recherche de la puissance et la poursuite de la gloire ». Mais le 6 octobre 1927 a lieu, à New-York, la projection du premier film sonore, Le Chanteur de Jazz (The Jazz Singer d’Alan Crosland) parlant (brièvement, une seule scène !) grâce à un nouveau procédé technique révolutionnaire développé par la Warner Bros Pictures : le Vitaphone. Cette révolution technique (synchronisation des images et des sons) va bouleverser définitivement les industries cinématographiques. Économiquement, les films sonores deviennent d’un coup beaucoup plus onéreux à produire car ils demandent de gros investissements (studios insonorisés, coûteux appareils d’enregistrement, etc.). les temps de tournage sont plus longs car plus compliqués, etc.

Pour les acteurs installés, croyaient-ils durablement, au firmament du « star system » la chute sera dure : beaucoup sont étrangers (suédois, allemands, italiens, etc.) parlant avec des accents ; certains ont une voix ne correspondant pas à leur physique, ou à l’idée que le public s’en faisait, etc. En quelques années, les idoles des foules disparaissent, certaines tragiquement (John Gilbert d’alcoolisme à 39 ans), d’autres se retirent volontairement des écrans (la sulfureuse Clara Bow It Girl, en 1930 à 25 ans !). Les drames humains, suite à l’irruption du cinéma sonore sont fort nombreux …

Babylon, le cinquième long métrage du franco-américain Damien Chazelle (37 ans) narre, en une fresque époustouflante, un pandémonium bouffon, d’une durée de plus de trois heures (188 minutes), ce « dark passage » entre 1926 et 1928 dans un Los Angeles où règne l’alcool, la drogue et le roi dollar. Le parcours des personnages principaux de leur ascension à leur chute est interprété par des acteurs transcendés par le projet du metteur en scène : Diego Calva (Manny Torres le jeune mexicain opportuniste et arriviste), une révélation ; Margot Robbie (Nellie LaRoy, en starlette dévergondée prête à tout) ; Brad Pitt (Jack Conrad, en star alcoolique et déclinante ; Jovan Adepo (trompettiste noir de talent) ; Jean Smart (Elinor St. John, en critique désabusée), etc. 
A ce quintette de personnalités fictives, se mêlent des personnages ayant vraiment existé à cette époque : Irving Thalberg (Max Minghella) le jeune « mogul » de la Métro-Goldwyn-Mayer; Le magnat de la presse William Randolph Hearst (Pat Skipper), modèle du chef d’œuvre d’Orson Welles (Citizen Kane - 1941) et sa compagne l’actrice Marion Davies (Chloe Fineman).

Dans Babylon le trait est certes outré mais le talent du jeune réalisateur est indéniable : il emballe les scènes avec un crescendo à la fois visuel (saturation d’images aux cadres soignés) et musical grâce aux compositions de son complice habituel Justin Hurwitz (38 ans). Il a également rédigé le scénario inspiré par le sujet de l’incomparable comédie musicale américaine de 1952 : Chantons sous la pluie de Stanley Donen, avec Gene Kelly (1912/1996), Debbie Reynolds (1932/2016) et Donald O’Connor (1925/2003). Malgré l’outrance (assumée) de certaines scènes, on ne boude pas son plaisir devant tant d’extravagance sur écran large (2.39 :1), les acteurs surjouant leurs rôles (pantomime) comme dans les « silent movies ». Damien Chazelle approche sans doute ce qui fut la réalité de cette « Sodome et Gomorrhe » dans la « Cité des anges », avant que le code Hays (définitivement établi en 1934) régule cette débauche (sur l’écran, mais fort peu dans le quotidien des acteurs !).

Le spectateur émerge de ce maelstrom visuel, sonore, quelque peu tourneboulé, un peu fatigué, mais ravi tant le spectacle est prenant. Après La La Land (2016) et First Man : le premier homme sur la lune (2018), le franco-américain Damien Chazelle démontre avec Babylon, qu’il est un réalisateur important.

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