11 mars 2021, centenaire de sa naissance
Astor Piazzolla, fils d'immigrés italiens, est né en 1921 à Mar del Plata, dans un port de pêche, au sud de Buenos Aires. À l'âge de trois ans, il part avec ses parents s'installer à New York.
Quand il a huit ans, son père, passionné de tango, lui offre un bandonéon. Astor est déçu ; il aurait préféré recevoir un saxophone car la musique qui le passionne est celle qui règne à New York, le jazz.
Un jour qu'il s'amuse dans la cour de son immeuble, Astor entend un pianiste qui travaille ; il s 'agit de Bela Wilda, pianiste hongrois élève de Sergei Rachmaninov qui était lui aussi à New York à cette époque / voir mon article :
https://www.baskulture.com/article/gershwin-rachmaninov-ellington-new-york-les-annes-folles-et-ses-trois-barons-du-piano-3647
Piazzolla se rapproche de Wilda qui lui fait notamment découvrir la musique de Bach. Il est subjugué par cette découverte musicale.
Une autre rencontre new-yorkaise aura son importance ; il s'agit de celle de Carlos Gardel reconnu comme le plus grand tanguero argentin, et qu' Astor découvre en concert.
En 1935, alors âgé de 14 ans, Piazzolla est invité par Gardel à participer au tournage du film " El dia que me quieras "; il apparaît dans une scène en tant que vendeur de journaux.
Rentrée en Argentine en 1936, la famille Piazzolla retourne à Mar del Plata. Deux ans plus tard, alors âgé de dix-sept ans, Astor décide de devenir bandonéoniste professionnel et s'installe à Buenos Aires. Pendant un an, il joue dans des orchestres médiocres. Tous les soirs, il écoute en concert le célèbre bandonéoniste Aníbal Troilo qui se produit avec son Orquesta tīpica. Quand un des bandonéonistes tombe malade, Astor demande à son ami le violoniste Hugo Baralis, qui fait partie de l'orchestre, de le présenter au maestro. Comme Astor connaît tout le répertoire par cœur, il est engagé le soir même dans l'orchestre, l'un des meilleurs du moment.
À cette époque, les gens veulent oublier la misère ; ils ont envie de s'amuser et d'aller danser. Les salles de bal se multiplient, il y a des dizaines d'orchestres de tango à Buenos Aires.
Chaque orchestre a son style. Comme dans le jazz, tout le monde joue les mêmes morceaux, mais avec des arrangements différents. L'orchestre d'Aníbal Troilo utilise des arrangements très élaborés avec un style mélodique caractérisé par le jeu extraordinaire du bandonéoniste qui est à la fois soliste et chef d'orchestre.
Très vite, Piazzolla commence à écrire des arrangements pour cet orchestre, et à composer des tangos. Mais le jeune bandonéoniste n'est pas satisfait de ce travail nocturne. Il veut être un vrai compositeur de musique classique. Il prend alors des cours de composition avec le compositeur Alberto Ginastera et assiste chaque après-midi aux répétitions de l'Orchestre Symphonique du Théâtre Colōn.
En 1954, Astor Piazzolla obtient une bourse pour aller étudier à Paris avec Nadia Boulanger qui lui enseigne l'art du quatuor à cordes. Cette grande pédagogue qui a vu passer pas moins de 1200 élèves a permis à de nombreux compositeurs de se réaliser. Lorsque Piazzolla arrive à Paris, il maîtrise déjà l'écriture néo-classique grâce à Alberto Ginastera. Mais il lui manque selon elle, l'essentiel : "La personnalité et la révélation".
Piazzolla est un tanguero génial, mais frustré. Il veut être Bartók ou Stravinsky... Mais pas Anibal Troilo. À la fin de ses années d'études, Nadia Boulanger critique le manque de personnalité de ses compositions et lui demande ce qu'il faisait avant de venir chez elle. Piazzolla lui révèle qu'il était bandonéoniste et qu'il a écrit des tangos. Elle lui demande de jouer une de ses compositions. Il joue Triunfal. Elle s'emploie alors à mettre en lumière chez lui un concept très à la mode à l'époque : utiliser les musiques populaires comme un inépuisable vivier d'idées, tout en l'enrichissant d'un langage évolué et contemporain. Piazzolla se trouve bouleversé par ses paroles et se met de suite au travail en tachant d'appliquer les conseils de Boulanger qui aura eu un rôle clé dans son évolution de compositeur.
Rentré à Buenos Aires, il forme alors un orchestre, le célèbre Octeto Buenos Aires, qui marque alors le début du tango contemporain.
Jusqu'alors fidèle aux ingrédients traditionnels du genre, il commence à composer des morceaux beaucoup plus dynamiques et harmoniques. Ce nouveau style de tango, moderne pour l’époque, commence alors à créer une polémique parmi les tangueros classiques. C 'est par exemple, la première fois qu’une guitare électrique est intégrée à un groupe de tango. Ces compositions modernes et innovantes pour l’époque dérangent beaucoup.
Astor Piazzolla enregistre deux disques avec cette formation qui suscitent la controverse, la polémique voire un cataclysme et une guerre ouverte entre les tenants de la tradition et ceux qui se réclament de Piazzolla.
Le bandonéoniste Leopoldo Federico qui faisait partie de l'orchestre de Piazzolla se souvient : "Les répétitions étaient prévues au dernier moment dans le secret car des hommes nous attendaient devant notre local pour nous casser la figure". Il raconte : "Un jour, tous les musiciens étaient prêts à commencer le concert ; on cherchait Piazzolla partout, jusqu'au moment où une émeute ronfla du fond de la salle. Piazzolla était au cœur de la mêlée. Il se battait avec rage contre ses détracteurs."
L'Octeto est dissous en 1958 car personne ne veut prendre le risque de programmer leur musique.
En 1959, alors que Piazzolla est en tournée en Amérique du sud, lors d'un concert à Porto Rico, il apprend le décès de son père Vicento Piazzolla surnommé Nonino, à la suite d'un accident de vélo. Cette nouvelle associée à l'échec de la tournée, à ses difficultés financières et au mal du Pays, plongera Piazzolla dans une grande dépression. Il compose Adios Nonino en trente minutes, pièce écrite en hommage à son père. Daniel Piazzolla, le fils d'Astor raconte : " Papa nous a demandé de le laisser seul quelques heures. Nous sommes allées dans la cuisine. Au bout d'un moment, nous avons entendu papa jouer du bandonéon. C'était une mélodie triste, terriblement triste. Il composait Adios Nonino ".
https://www.youtube.com/watch?v=VTPec8z5vdY
Deux ans plus tard, Piazzolla crée une autre formation, le Quinteto Nuevo Tango, en s 'entourant de musiciens emblématiques de la scène tanguera de Buenos Aires : Simon Bajour puis Elvino Vardaro au violon, Jaime Gossis au piano, Jorge Lopez Ruiz à la guitare électrique et Kicho Diaz à la contrebasse.
Durant les années soixantes, il écrit la majeure partie de son œuvre ; beaucoup de ses compositions sont interprétées en concert et enregistrées. Ce quinteto est la formation parfaite pour Piazzolla. Il y trouve un équilibre qui le galvanise et l'inspire. Piazzolla est aussi un interprète extraordinaire et un chef de groupe des plus inspirés. Son écriture est sans concession et sa musique se détache de plus en plus de la forme standard du tango populaire. Piazzolla fait une synthèse du tango des années 1940 et des éléments de la musique néoclassique (Bartok, Stravinski) ainsi que du Jazz Hard-Bop (il se rapproche notamment du saxophoniste Gerry Mulligan). Piazzolla crée véritablement un tango nouveau et libéré.
A partir des années 70, le succès est immense. Il multiplie les tournées dans les endroits les plus prestigieux dans le monde, et les commandes d 'écriture affluent ; musiques de films, suites, concertos Aconcagua et Hommage à Liège (concerto pour Bandonéon et guitare) pour l'Orchestre Philharmonique de Liège, Sonate "Le Grand Tango" pour violoncelle et piano écrite pour Rostropovitch, concerto pour violoncelle commandé par l'ONU... Mais Astor Piazzolla n'est pas vraiment conscient de cette reconnaissance car il devra se battre jusqu'au bout contre ses détracteurs pour faire accepter son Tango Nuevo.