0
Cinéma La critique de Jean Louis Requena
Aristocrats (124’) - Film japonais de Yukiko Sude
Aristocrats (124’) - Film japonais de Yukiko Sude

| Jean-Louis Requena 768 mots

Aristocrats (124’) - Film japonais de Yukiko Sude

zCinéma1 Aristocrats 1.jpg
"Aristocrats" de Yukiko Sude ©
zCinéma1 Aristocrats 1.jpg
zCinéma1 Aristocrats 2.jpg
"Aristocrats" de Yukiko Sude ©
zCinéma1 Aristocrats 2.jpg

Tokyo, réveillon du jour de l’an. Un taxi roule dans la nuit. Il dépose une jeune femme, Hanako (Mugi Kadowaki), devant l’entrée d’un palace. Sa famille impatiente, réunie dans un grand salon, l’attend pour le diner de fête. Elle est seule et annonce d’une voix fluette que son fiancé ne l’épousera pas : il a rompu soudainement son engagement. Stupeur de l’assemblée ! Hanako a 27 ans. Elle est toujours célibataire ce qui agace sa riche famille pétrie de traditions. Il est temps qu’elle trouve un beau parti chez une autre famille d’aristocrates du quartier chic de Shoto. Sa parenté se mobilise pour arranger des rendez-vous. 

Hanako est une jeune femme timide et docile. Elle se prête au jeu des rencontres arrangées dont le but est de trouver un mari de sa classe sociale qui convienne à sa famille. Elle se prête à ce manège décevant que ses amies condamnent comme Itsuko (Shizuka Ishibashi) promise à une belle carrière de violoniste. Cependant, Hanako se plie à la règle d’airain de sa famille : elle doit convoler rapidement, avoir des enfants pour assurer la pérennité de la dynastie dans les affaires …

Après quelques échecs, Hanako rencontre dans un restaurant chic, par temps orageux, Koichiro (Kengo Kora) un brillant jeune homme d’une famille patricienne de Tokyo. Leurs deux familles se rencontrent et cèlent un mariage arrangé. L’ordre patriarcal, dynastique, est respecté : Hanako ne sera pas une « vielle fille », mais une continuatrice de la domination masculine. Le jeune couple s’installe dans un luxueux appartement d’une « tour » du quartier huppé de Tokyo. Tout semble aller pour le mieux …

Un soir, Hanako découvre par hasard que Koichiro a une relation suivie, ambiguë, avec une certaine Miki (Kiko Mizuhara), une hôtesse dans un bar de Tokyo. La docile Hanako est anéantie. Son mari a une double vie …

Aristocrats est le troisième opus de la réalisatrice et scénariste japonaise, Yukiko Sode (39 ans), mais son premier long métrage distribué en France. Le film décrit minutieusement (en prenant son temps), deux personnages de femmes, Hanako la riche tokyoïte, bien née, « marchandise » à négocier, et Miki, une provinciale de classe défavorisée, toutes deux entourées de quelques amies (Itsuko, Rie, etc.), cette dernière a une position de femme éduquée, Miki a fait des études supérieures, dans le Japon contemporain. La première a les codes de cette société fermée, la seconde voudrait les obtenir. Le Japon moderne est décrit comme un pays où les traditions ancestrales sont toujours vivaces avec un surcroît de fractures sociales et culturelles infranchissables. Quel que soit leur niveau social, « la femme reste encore cantonnée à un rôle d’épouse et de mère au service des hommes ».

Tokyo, mégalopole de 43 millions d’habitants, compte un nombre effarant de célibataires de 30 ans et plus, dont un nombre non négligeable vivent encore chez leurs parents. Aussi, les mariages sont en chute libre et par voie de conséquence dans ce pays traditionnel, les naissances (indice de fécondité : 1,42 enfant !). Le Japon est un pays de 126 millions (2018) d’habitants, mais souffre depuis 15 ans de deux maux qui s’additionnent : une chute alarmante de sa démographie, un vieillissement accéléré de sa population (28% de plus de 65 ans).

Outre une vie courante difficile dans les grandes conurbations japonaises (cherté de la vie, durée des déplacements, etc.) ce sont les freins d’ordre culturels (la tradition, l’imperméabilité des classes sociales, etc.) qui semblent figer le Japon dans un immobilisme mortifère. La réalisatrice Yukiko Sode souligne par « petites touches », tout au long de son œuvre qui dépasse les deux heures (2h 4 minutes), les parcours, en miroir, de ses deux héroïnes, Hanako et Miki, et de leurs amies. Toutes, tant s’en faut, ne sont prêtes à accepter l’ordre social régnant ; elles cherchent intuitivement un trajet d’émancipation hors des standards obligés. C’est une révolte douce mais profonde : ne pas reproduire les stéréotypes sociaux du passé. Yukiko Sode excelle dans cette description grâce à son excellent récit qui se déploie en s’élargissant quant au champ des possibles pour les héroïnes : il n’y a pas de fatalité !

Par une ironie de la programmation, la sortie en salle d’Aristocrats est simultanée avec celle des Contes du hasard et autres fantaisies (2021) de son confrère Ryusuke Hamaguchi auteur de films aussi importants que Senses (2015), Asako I+II (2018) et de son chef d’œuvre Drive My Car (2021) salué par la critique internationale. Idéalement, il faudrait visionner les Aristocrats et les Contes du hasard et autres fantaisies tant ces deux œuvres s’interrogent sur la société japonaise actuelle et en particulier sur les rapports entre les femmes et les hommes. Une histoire éternelle, une bataille sans fin.

Répondre à () :

| | Connexion | Inscription