Le samedi 26 mars prochain, 60ème anniversaire de la fusillade du 26 mars rue d’Isly à Alger, la Communauté des Pieds Noirs de la Côte basque fera célébrer à 18 h en l’église Saint-André de Bayonne une messe commémorative en hommage aux victimes du 26 mars 1962 à Alger en y associant celles du 5 juillet à Oran, du 20 août 1955 dans le Constantinois, les disparus civils et militaires de toutes confessions ainsi que « leurs frères les Harkis ».
L’occasion de rappeler le souvenir d’André Béhotéguy, disparu il y a quelques années, et qui a tellement marqué ce quartier de Saint-André, son église et son patronage, ses animations culturelles dont il fut souvent l’initiateur – théâtre, chorales, etc. -, sans oublier les Fêtes de Bayonne dont il fut un pilier. Or, même pendant son service militaire et, plus tard, lorsqu'il fut rappelé en Algérie, André Béhotéguy se débrouilla toujours pour revenir au moment des fêtes.
Précisément, cet « épisode algérien » avait même était à l’origine d’un mail qu'il m'avait adressé (il y a exactement dix ans) en réponse à une de mes chroniques, je l'admets, parfois « dérangeantes » pour les esprits fades ou somnolents :
De : andre behoteguy <andreguy@live.fr>
Date : 28 mars 2012 11:06:45 HAEC
À : <alexandre.delacerda@>
« Cher ami, j'apprécie vivement votre chronique ("C'est le bloc-notes" dans l’hebdo régional) qui rétablit la vérité sur pas mal de sujets (…) Mais je voudrais surtout vous dire aujourd'hui que votre papier sur "Evian ou la tragédie algérienne" me semble bienvenu en opposition avec beaucoup de journalistes qui semblent ignorer complètement les événements tragiques de cette époque. Rappelé en Algérie comme officier de réserve en 1959-1960, j'ai eu la possibilité de comprendre et d'apprécier de nombreux Pieds-Noirs et aussi et surtout des musulmans plus français que beaucoup de nos compatriotes. Fêter le 19 mars 62 est une folie car, comme vous l'avez si justement écrit, ce fut le début de massacres contre tous les Français de souche algérienne ou européenne. Bravo pour votre courage d'être allé à contre-courant » !
Le 19 mars en question
Or, rompant avec le refus de tous ses prédécesseurs, de Mitterrand à Sarkozy en passant par Chirac, le président François Hollande avait décidé de commémorer cette année-là le «cessez-le-feu» théorique proclamé en Algérie le 19 mars 1962, tout comme récemment Emmanuel Macron, bien que l’actuel président, en cette veille d’élections présidentielles, avait préféré ajouter : « le 19 mars 1962 ne fut ni le début de la paix, ni la fin de la guerre ».
Inutile de dire que l'amertume est toujours aussi grande parmi tous ceux – ou leurs parents – qui avaient vécu le drame algérien et qui s’opposent toujours à la commémoration du 19 mars. Car, cette date constitue l’anniversaire des Accords d'Evian en 1962 qui, en fait d’armistice, furent suivis d’horribles massacres de la population civile livrée sans défense aux égorgeurs du FLN. En effet, dès le cessez-le-feu, dans les villes ou les campagnes, les enlèvements d’Européens se multiplièrent : entre le 19 mars et le 31 décembre 1962 (l’Algérie ayant officiellement accédé à l’indépendance le 5 juillet), plus de 3000 disparitions étaient signalées, dont les deux tiers des victimes ne réapparaîtront jamais.
Comme à Oran le 5 juillet 1962.
Le docteur Robert Pierné, bien connu à Biarritz où il avait exercé après ces événements, et à Baïgorri où il avait sauvé et restauré avec son épouse le château d’Etxauz, était alors un médecin-biologiste âgé de 33 ans. Le souvenir de la tragédie était encore vif chez ce neveu de Gabriel Pierné (compositeur de la « Fantaisie basque pour violon et orchestre » et de la musique de scène « Ramuntcho ») :
- « J’ai été braqué par un jeune de 11 ans avec un pistolet colt 43 - je lui montre le caducée sur mon pare-brise - dix secondes d’incertitude - il me laisse passer » !
Dans cette grande ville de près de 400.000 habitants en grande majorité européens, le FLN avait décidé de monter une grosse opération d’intimidation. « Dès le matin, des convois remplis de jeunes musulmans armés de fusil et de couteaux convergèrent de la périphérie vers le centre : un car remplis de tueurs précédait un camion-benne où étaient entassés les cadavres et un autre chargé de vieux pneus afin de les brûler. Près de 1.800 victimes furent ainsi massacrées : ils tiraient à bout portant dans les rues, entraient dans les maisons. Le mur de la poste dégoulinant de sang mérita son nom de « mur des fusillés ». Mon infirmier suisse reçut une balle en pleine tête mais survécut par miracle. Mon ami médecin ORL put reconnaître après coup quelques charniers sur la demande des autorités françaises, les militaires français ayant été maintenus cantonnés dans leurs casernes sur ordre du général Katz ».
Surnommé « le boucher d’Oran », cet officier appliqua à la lettre les instructions de Paris en laissant s’accomplir le génocide (une plainte à son encontre déposée par 47 familles de victimes du massacre d'Oran pour « complicité de crime contre l'humanité » sera déclarée recevable mais couverte par la prescription). « Beaucoup de suppliciés terminaient leur agonie dans les chaudières des bains maures », se rappelait encore Robert Pierné, resté sur place quelques mois après ces tragiques événements car le jeune médecin ne voulait pas abandonner la pharmacie de son père : « nous nous sommes un jours retrouvés une dizaine face à 2.000 arabes dont le chef nous annonça qu’ils allaient égorger de nombreux… (quelques instants de silence)… moutons ! T’as eu peur, ajouta-t-il en riant ».
Le martyre des suppliciés
Jeune militaire appelé originaire du Sud-Ouest, André Aussignac fut enlevé le 21 juillet 1962, soit quatre mois après la signature des accords d'Evian. Enfermé dans une briqueterie dont les fours étaient remplis d'Européens, puis emmené au fond d’une mine où un ministre algérien en visite lui donna un coup de pied au visage parce qu'il ne s'était pas levé assez vite, il arriva à s'évader malgré les tortures infligées : ongles des orteils arrachés et jambes brisées.
Divers témoignage font état de nombreuses femmes enlevées pour la prostitution, certaines livrées aux maisons closes, d'autres « attribuées » à des officiers de l'armée algérienne ou vendues à des trafiquants internationaux et acheminées vers le Maroc, le Congo ex-belge et même l'Amérique du Sud.
Parmi les suppliciés, un sort effroyable fut réservé aux harkis auxquels leurs coreligionnaires du FLN coupèrent les mains et crevèrent les yeux dans le meilleur des cas, ou les attachèrent à des poteaux plantés sur les places publiques pour les écorcher lentement à coups de canifs, les jetèrent vivants dans des chaudrons d’eau bouillante. Partout on fusilla après avoir torturé, on mura dans des bâtisses de pierres, on enterra vivant, on brûla sur des bûchers, on flagella, on égorgea, on roua de coups des victimes enfermées dans des sacs, membres liés. Dans le Constantinois, des femmes tuèrent même des captifs à coup de dents !
Après ces massacres, les bateaux furent pris d’assaut. Claudine Perrou qui présida l’Amicale des Pieds-noirs de la Côte basque » se souvenait « d’avoir attendu trois jours sur les quais avant de pouvoir embarquer pour une traversée qui en dura cinq, en raison du refus des ports de Marseille, Sète et Port-Vendres d’accueillir les fugitifs. Finalement, la Marine nationale les hébergera à Toulon » ! La présidente des Rapatriés de la Côte basque qui réunit plusieurs centaines de familles était alors une lycéenne de 16 ans, fille d’un ingénieur des Eaux et Forêts.
Chasse aux Européens, Oran 5 juillet 1962
Victimes civiles de la rue d’Isly, 26 mars 1962