Ane (Patricia Lopez Arnaiz) se réveille à côté de Coco (Sofia Otero), sa fille, âgée de huit ans. Celle-ci est d’humeur maussade. La famille vivant en France, à Bayonne, comprend également Nera (Andere Garabieta) une adolescente demi-sœur de Coco et de son jeune frère Eneko (Unax Hayden).
Gorka (Martxelo Rubio), le père des deux derniers enfants, dort à part, sur un canapé. Ane et ses trois enfants, se préparent à prendre le train pour le Pays Basque espagnol. Gorka, reste seul en France. Encombrés de valises, d’objets, ils rejoignent la famille d’Ane dans son village natal pour les vacances d’été. L’atmosphère est tendue car Coco est agressive avec son entourage.
Dans le village basque, la fratrie est reçue chaleureusement par la Lita (Itziar Lazkano), la grand-mère et Lourdes (Ane Gagarian), la grande tante. Au village, C’est la fête de la Saint-Jean. Tous les villageois s’amusent, se divertissent, autour de grands feux de joie, coutume ancestrale marquant le solstice d’été. Tous, sauf Coco qui s’isole de la fête.
Coco est un prénom choisi, asexué, en remplacement d’Aïtor, son véritable prénom, exécré. Mais comment prénommer un petit garçon qui s’habille en fille … mais qui rejette aussi les vêtements.
Lita et Lourdes sont apicultrices : elles élèvent des abeilles dans de nombreuses ruches dont elles s’occupent avec soins. Le monde complexe des abeilles suscite un intérêt chez Coco/Aïtor : il semble apaiser ses tourments identitaires. Jusqu’à quand ?
Après quelques courts métrages et films documentaires, c’est le premier long métrage de la réalisatrice espagnole Estibaliz Urresola Solaguren (40 ans) native du Pays Basque Espagnol. 20 000 espèces d’abeilles (20 000 especies de abejas) est un scénario original rédigé par la metteuse en scène. Son film est comme une délicate tapisserie construite avec soins ou les situations, les séquences, s’enchaînent sans heurts, dans la trame serrée du récit : rien n’est affirmatif, ostentatoire, mais où le non-dit, le sous texte, apparaissent au spectateur comme une évidence.
Coco/Aïtor cherche son identité « véritable » dans le microcosme familial avec toute la mansuétude de ce dernier, sans jugement. Ainsi, le passage de la langue castillane genrée à la langue basque non genrée est une manière d’exprimer la difficulté de se définir en tant qu’être humain : masculin ou féminin. Malgré ses crises d’angoisse, ses rebuffades, Coco/Aïtor n’est jamais mis au ban de sa famille ou de la communauté villageoise : la différence, source de souffrance pour l’enfant, est acceptée.
Estibaliz Urresola Solaguren traduit en images cette ambiance avec nuance, délicatesse, sans effet appuyé, grâce à la métaphore de l’apiculture. Elle a déclaré à ce sujet : « Dans une ruche, chaque abeille remplit un rôle distinct et nécessaire au fonctionnement du groupe. Toutefois, une ruche dépasse la somme de ses individus ».
Ses cadrages, ses mouvements de caméra, déterminent ses intentions narratives : des plans intérieurs en gros plans ou rapprochés (la « bulle » intime) ; des plans extérieurs larges, panoramiques (les grands espaces bucoliques).
De surcroît, notons qu’il n’y a pas de musique extradiégétique (production de musique hors écran). La musique audible est celle interprétée par les personnages eux-mêmes, ce qui permet, au passage, de les caractériser.
Estibaliz Urresola Solaguren née en 1984 dans le Pays Basque Espagnol (ou Sud), s’inscrit pleinement dans le renouveau du cinéma espagnol de la génération 1980 des cinéastes femmes telles que : Pilar Palomero (née en 1980), Elena Lopez Riera (née en 1982), et Carla Simon (née en 1986), qui est la plus connue sous nos latitudes (2017 : Été 93 ; 2022 : Nos soleils), ces deux œuvres ayant fait l’objet de critiques dans BasKulture (février 2017 et août 2023).
20 000 espèces d’abeilles est une œuvre qui nous interroge sur les autres et sur nous-mêmes : peut-on vivre en harmonie avec les autres différents (sexuels, cultuels, culturels, etc.) proches ou lointains, sans exclure ? Le film est une réponse possible à cette interrogation. Il y a autant d’espèces d’abeilles que d’êtres humains.