Juin 1946. La France se débat dans les difficultés de la reconstruction d'après-guerre. A la pénurie alimentaire et des matières premières s'ajoute une grave crise constitutionnelle et politique.
A Biarritz, depuis la fin de la guerre, le maire est Guy Petit. C’est le fils de Joseph Petit qui avait été élu dans les années 20, il avait - entre autres - construit le Casino municipal.
Or, dès son élection à la mairie, Guy Petit se préoccupa de faire renouer Biarritz avec sa vogue touristique passée. Il dota la ville des infrastructures nécessaires grâce à une très habile politique de financement, recourant à des emprunts en période de grande inflation. Il récupéra les terrains et les bâtiments du Casino Municipal au départ de l'Université américaine en février 1946, fit rouvrir la frontière avec l'Espagne, racheta l'hôtel du Palais menacé d’être transformé en centre de repos pour les Charbonnages de France, libéra Javalquinto en installant la mairie dans les anciens locaux des magasins du Bon-Marché où elle se trouve encore de nos jours, et reprit l'idée d'un grand aéroport à Parme afin que la Côte Basque demeurât un centre de tourisme international.
Guy Petit venait d’être élu député des Basses-Pyrénées (actuellement Pyrénées-Atlantiques), et il se voit confier la tâche inattendue d'accueillir une délégation vietnamienne présidée par Ho Chi Minh, que l'on envoie « se reposer à Biarritz en attendant la constitution du gouvernement français ». Fondateur du parti communiste indochinois et du Viet-Minh, son autorité venait d'être reconnue par le délégué de la France au Tonkin, Jean Sainteny.
Ces touristes ne passeront pas inaperçus !
Précédant de peu leur président, les membres de la délégation vietnamienne se firent remarquer à Biarritz où les étrangers étaient encore rares. On lisait dans la presse de l’époque : « cette jolie fille, qui malgré la pluie battante, s'était rendue à la poste en pyjama de soie blanche sous le peignoir d'indienne, ne laissait pas d'intriguer les Biarrots ; tout comme ces jeunes gens bien soignés, aux beaux vêtements de laine couleur prune, qui se pressaient aux guichets du télégraphe, avec sous le bras, des appareils de photo, et sur leurs visages aux traits agréables, un sourire énigmatique... ».
Ils venaient poster un nouveau télégramme afin de protester contre leurs appartements au « Carlton », alors en plein travaux de rénovation, et demander qu’on les fît changer d’hôtel.
Ils acceptèrent finalement de loger au Palais, après qu'on leur eut parlé de Napoléon III et d'Edouard VII ! En toute simplicité !
Puis, le 13 juin 1946, c’est finalement Ho Chi Minh qui débarqua à l'aéroport de Pau. Il y fut d'abord accueilli par les « Hurrah » et les poings levés d'une « délégation de compatriotes » déplacée exprès de Paris.
A l'Hôtel du Palais, on lui offrit le thé debout, afin d’éviter tout conflit de préséance.
Le 16 juin, il excursionnera en compagnie du Général Salan, de Jean Sainteny et de Guy Petit à Saint-Jean-de-Luz, Ascain et Sare, où il assista à une fête basque. A son retour à Biarritz, il offrit un vin d'honneur à sa suite.
Le fils de Guy Petit, Peyo, alors âgé de 15 ans, se souvenant du cortège officiel des « Delahaye », se revoyait lui même assis à côté du chauffeur: « sur la banquette arrière, la barbichette de mandarin de Ho Chi Minh sympathisait avec le petit bouc que portait son grand'père, l'ancien maire Joseph Petit ».
Ce dernier jouissait encore d'une grande popularité parmi la population biarrote, qui continuait à l'appeler « Monsieur le Maire ».Pour cette raison, d'ailleurs, Guy Petit avait prié son père d'accompagner Ho Chi Minh au cours d'une promenade en barque : il s'agissait d'inspirer confiance à « un homme mystérieux, très réservé, mais
très poli. Comme tous les asiatiques, on ne savait absolument pas ce qu'il pensait ».
C’était effectivement un sacré personnage: « Ho Chi Minh se méfiait de tout, il n'avait aucune confiance... il n'avait peut-être pas tort ! ». Car, racontait Guy Petit, « à un moment, l'un des marins qui menait la barque dit à mon père : - Alors M. le Maire, on la coule cette barque ?
Mon père avait répondu : - non, ce n'est pas le moment, et nous ne savons pas ce que ça donnerait... alors ce n'est pas la peine.
- Parce que vous, répliqua le marin, on vous sauvera, mais lui, on le laissera couler ! ».
Si, tout comme Bismarck quelques 80 ans plus tôt, également à Biarritz, Ho Chi Minh n'avait pas été sauvé de la noyade, le cours de l'histoire en eut-il été transformé?
Le 19 juin 1946, après avoir déposé la veille une gerbe au monument aux morts en souvenir de l'appel du Général de Gaulle, Ho Chi Minh quittait l'aérodrome de Parme à bord d'un avion militaire pour Paris, où l'attendait le nouveau gouvernement, enfin constitué. Il ne manqua pas de « remercier sincèrement les autorités et la population de Biarritz pour leur aimable accueil ».
La suite des événements avec Dien Bien Phu confirma ce jugement de Guy Petit à son endroit : « On savait que c'était un adversaire redoutable, on lui passait la main dans le dos... et redoutable il le fut, il nous le prouva hélas ! »
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