Un homme chevelu, barbu, se réveille lentement dans une chambre délabrée, encombrée d’objets hétéroclites, dépareillés. Maladroitement, il saisit sa guitare et chantonne autour de la phrase « électron libre ». L’homme est surnommé Tralala (Mathieu Amalric) c’est un chanteur des rues, un quasi clochard. Dans un Paris défiguré, éventré, sale, il stationne près des bouches du Métro parisien pour chanter, s’accompagnant de sa guitare dont il amplifie le son par un système de sonorisation portatif. Il fredonne sans conviction, ne rencontre aucun succès ; la sébile qu’il pose devant lui reste désespérément vide. Il est au bord du gouffre.
Tralala est assis à même le sol sur un terre-plein devant la Gare Montparnasse. Aucun badauds ne s’approche de lui : ils passent au large avec des masques sur le bas du visage. Une jeune fille en survêtement bleu (Galatéa Bellugi) s’approche de lui et, compatissante, lui demande amicalement : « chanter encore un peu ». Tralala abasourdi la perçoit comme une apparition mariale, un message de l’au-delà. Dans la Gare Montparnasse il décide de prendre un train … pour Lourdes (Hautes Pyrénées) ville dédiée au culte de la Sainte Vierge Marie, mère de Jésus Christ.
Hagard, Tralala débarque à Lourdes où il ne connait personne. Cette ville d’habitude soumise à un tourisme de masse est étrangement désertée, calme. Les rares passants portent des masques sur le visage. Dès sa déambulation dans la ville, à la recherche d’un toit pour la nuit, il est agressé par un homme manifestement perturbé : Climby (Denis Lavant). Dans ses pérégrinations où il est régulièrement éconduit, il rencontre une sexagénaire, Lili (Josiane Balasko) une hôtelière, qu’il trouble dès qu’elle l’aperçoit. Pour Lili, aucun doute, Tralala est en fait Pat son fils disparu depuis vingt ans lors d’un voyage aux Etats-Unis. Tralala, surpris, ne dément pas. Il a besoin d’une chambre pour se reposer ….
Lili enthousiaste présente Tralala comme son fils à son entourage : son second fils Seb (Bertrand Belin), sa femme Jeannie (Mélanie Thierry), ses petit-fils Robin (Joseph Brisset) et Balthazar (Balthazar Gibert). Tralala est il le fils de Lili ?
La confusion règne d’autant que le chanteur-compositeur dans ses errances, perturbe, la société lourdaise en y ravivant des souvenirs réels ou inventés, alors que la pandémie a vidé la cité mariale de ses pèlerins en mal de spiritualité.
Quelques prêtres et religieuses aux comportements étranges hantent encore les rues …
Les frères Larrieu, Arnaud (56 ans) et Jean-Marie (55 ans), natifs de Lourdes sont des « cinglés » de cinéma. Dès leur enfance, ils ont filmé leur entourage (caméras 8 mm, puis 16 mm) dans leur lieu de vie, avant de réaliser après quelques courts et moyens métrages, leur premier long : Un homme, un vrai – 2003. Attachés à leur région, ils reviennent sans cesse dans les montagnes de leur enfance : Le Voyage aux Pyrénées (2008), Les Derniers jours du monde (2009), Vingt et une nuits avec Pattie (2015). Tralala (120’) est leur neuvième œuvre de fiction écrite et réalisé par le duo cinématographique.
Avec Tralala qui clôt, provisoirement, une filmographie conséquente (18 opus) les frères Larrieu ont voulu fabriquer une comédie musicale et burlesque au temps du Covid 19. En effet, le tournage a débuté fin août 2020 en pleine pandémie, d’où les masques de protection qu’ils ont intégrés dans de nombreuses scènes. Tous les acteurs chantent avec leur voix (en direct ou en play-back) des chansons originales, pour la plupart d’auteurs-compositeurs reconnus : Mathieu Amalric (Tralala) du Philippe Katerine ; Bertrand Belin (Seb) des chansons de sa composition ; Mélanie Thierry (Jeannie) du Jeanne Cherhal ; Maïwenn (Barbara) de l’Etienne Daho et Jean-Louis Perrot, etc. Les références à Jacques Demy (Les Parapluies de Cherbourg - 1964, Les Demoiselles de Rochefort - 1967) sont évidentes mais les coréalisateurs échappent habilement à ce modèle français, ainsi qu’aux standards indépassables, aux budgets vertigineux (chorégraphies complexes, longues répétitions, orchestrations importantes, etc.) de la comédie musicale hollywoodienne : Le Danseur du dessus (Top Hat – 1935) avec Fred Astaire (1899/1987), Chantons sous la pluie (Singin in The Rain – 1952) avec Gene Kelly (1912/1996). La chorégraphe Mathilde Monnier anime quelques passages dansants du film, avec un vocabulaire gestuel simplifié, toujours en situation, que les interprètes non danseurs, peuvent réaliser sans être ridicules.
Le résultat de ce cocktail improbable (chants par des non chanteurs, danses par des non danseurs) des frères Larrieu est épatant. De ce duo qui construit des histoires embrouillées résulte, pour Tralala, un long métrage charmant autour de la personne d’un imposteur/enchanteur, Tralala (Mathieu Amalric, cinquième film avec les duettistes !) qui tel Boudu sauvé des eaux (1932) de Jean Renoir (1894/1979) avec Michel Simon (clochard chevelu et barbu comme Tralala !) perturbe la bourgeoisie provinciale (Lourdes, vidée de ses pèlerins). Cette difficile gageure a été accomplie avec brio !
Tralala a été projeté au Festival de Cannes 2021 hors compétition.