Durant la décennie 1970/1980 New York était une ville au bord de la faillite. Des quartiers entiers du centre de l’agglomération étaient vétustes, insalubres, livrés aux squatteurs, les autorités étaient inopérantes, défaillantes. Aucun businessman ne croyait à l’avenir de la mégalopole. Donald Trump (Sébastian Stan) a une trentaine d’année (né en 1946) ; fils cadet d’un promoteur immobilier, Fred Trump (Martin Donovan), un homme sévère qui dirige son entreprise et sa parentèle, avec autorité. Son entreprise est spécialisée dans la location de logements destinés à la classe moyenne new-yorkaise dans les arrondissements de Brooklyn, Queens, Staten Island. Les temps sont difficiles pour les locataires : il y a de nombreux loyers impayés. Fred Trump ordonne à Donald de recouvrer ceux-ci un à un : c’est un travail fastidieux, peu valorisant, et potentiellement dangereux. Toutefois, Donald obéit à l’injonction paternelle.
En opposition avec son milieu, Donald s’efforce de « pénétrer » la haute bourgeoisie new-yorkaise. Pour ce faire, il fréquente un club très fermé ; il y fait la rencontre d’un avocat réputé pour sa pugnacité et son entregent : Roy Cohn (Jeremy Strong). Roy Cohn a été l’avocat, l’éminence grise, du sénateur du Wisconsin Joseph McCarthy (1908/1957) lors de la période intense de la « chasse aux sorcières » (1950/1954 : le maccarthysme). Il se targue d’avoir fait condamner Julius Rosenberg à la chaise électrique, et surtout sa femme Ethel en intervenant devant le tribunal new yorkais qui jugeait ces espions soviétiques de nationalité américaine. Après la chute de McCarthy (un alcoolique), il rebondit, toujours aussi féroce, doté d’un langage ordurier et de méthodes douteuses (intimidations, chantages, etc.) tout en s’affichant comme un hyper-patriote.
Donald est subjugué par cette personnalité que rien ne semble arrêter en dépit d’un passé sulfureux et de méthodes contestables. Dans l’Amérique puritaine d’alors, il est de surcroit un homosexuel (honteux). Fred Trump avertit son fils : Roy Cohn est un escroc. Toutefois Donald poursuit la fréquention de cet homme de l’ombre, diabolique, qui le fascine et lui inculque trois règles simples de conduite :
Règle n°1 : Attaquer. Attaquer. Attaquer.
Règle n° 2 : Ne rien reconnaitre. Tout nier en bloc.
Règle n° 3 : Revendiquer la victoire et ne jamais reconnaitre la défaite.
En 1973, The Trump Organisation est visé par une enquête du département de la justice de New York. Donald, malgré l’opposition de son père, contacte Roy Cohn pour les défendre auprès du tribunal. C’est un « pacte faustien » contracté entre le maître Roy Cohn (Méphistophélès) et son disciple Donald Trump (Faust)…
Avec The Apprentice le réalisateur irano-danois Ali Abbasi (43 ans) signe son quatrième film, mais son premier film en langue anglaise. Ses deux premiers longs métrages étaient en tous points remarquables : Border (2018) récit de gens différents (prix a Un Certain Regard au Festival de Cannes) ; Les Nuits de Mashhad (2022,) récit d’un serial killer dans une ville sainte iranienne (prix d’interprétation féminine à Zar Amir-Ebrahimi) et succès critique dans le monde entier.
Le choix du scénariste proposé par les producteurs a été primordial pour ce projet sensible : Gabriel Sherman. Il connait très bien la droite américaine pour laquelle il a rédigé de multiples reportages. De plus, il connaissait Donald Trump alors qu’il était jeune journaliste et celui-ci un promoteur immobilier novice, sur les traces de son père. En suivant la campagne victorieuse de ce dernier à l’élection présidentielle de 2016, il a été fasciné par l’homme qu’était devenu le futur 45ème Président des États Unis fort éloigné du premier Trump. En effet, il a accédé à la surprise générale (y compris la sienne !), à la présidence sans point de vue politique arrêté : d’abord démocrate puis républicain puis à nouveau démocrate et enfin républicain. Plasticité de ses opinions politiques !
Après avoir sondé l’entourage de Donald Trump, Gabriel Sherman est arrivé à la conclusion que : « Cohn lui a appris à s’exprimer et à se servir de méthodes peu scrupuleuses pour conquérir le pouvoir ». Le fabuleux moteur de l’histoire de The Apprentice est le tandem Roy et Donald, du maître sulfureux à l’élève appliqué et à mesure du succès du second nous assistons à une inversion des facteurs : l’élève triomphant dépasse le maître déclinant. La productrice a pris soin de choisir un réalisateur capable d’aborder cette relation toxique d’un point de vue novateur sachant que, dans l’Amérique clivée d’aujourd’hui, le film pourrait être perçu comme « un tract politique ». Le choix final s’est porté sur Ali Abbasi, un réalisateur irano-danois audacieux … et non américain.
The Apprentice n’est pas un documentaire mais une fiction très documentée échappant, ainsi au biopic classique : une grande tranche de vie plus ou moins édifiante. Tout le récit est contenu dans la décennie qui, sous l’impulsion de Roy Cohn (1927/1986) et de ses conseils avisés positifs (les 3 règles !) ou négatifs (les promotions immobilières hasardeuses), transforme (« pacte faustien ») Donald Trump en un personnage menteur, tonitruant qui nous est familier.
The Appentice a une durée de 2 heures sans temps mort grâce à un scénario irréprochable, à l’écriture resserrée, mais aussi par la forme cinématographique, nerveuse sans être brouillonne, qu’a adoptée Ali Abbasi. Tous les personnages semblent réalistes sans être des copies exactes des originaux. Les personnages sont ressemblants sans être semblables par la grâce de quelques artifices simples : le maquillage, l’allure générale, la voix. Que ce soit Sebastien Stan (Donald Trump), Jeremy Strong (Roy Cohn), ou la première épouse du premier Maria Bakalova (Ivana Trump) tous sont bluffants d’intensité dans leur interprétation.
Montrer est mieux que dénoncer !
The Apprentice a été présente au dernier Festival de Cannes 2024 en sélection officielle. Il est distribué dans 1.700 salles (depuis le 11 octobre 2024) aux États-Unis.
Notre conclusion (brutale) sera une citation de Donald Trump : « Dans la vie, il y a deux types de gens. Il y a les tueurs et les losers ».