La vie et le siècle traversé depuis 1923 par sœur Ionel Mihalovici Blumenfeld mérite un temps de réflexion.
Née en Roumanie dans une famille juive askenase issue d’une lignée Mihalovici où l’on compte des artistes et des intellectuels reconnus, Ionel et ses parents connaitront les affres du nazisme et prendront le chemin de jérusalem, terre de la méditerranée inconnue pour eux sur le chemin de l’exode et de la menace pour leur survie.
A 19 ans, Ionel pose le pied pour la première fois en Sion, terre messianique de son histoire religieuse. Elle appartient avec les siens aux pionniers du futur état juif de la terra santa, qu’elle vénère comme la terre du salut et de la bénédiction divine.
L’histoire qui suivra donnera raison à ces aventuriers de l’impossible, de l’incroyable et du secret douloureux de l’histoire passée d’un siècle d’abomination.
Seule parmi les siens à rejoindre la tradition des chrétiens, dans une lignée israélite à laquelle appartiennent les autres membres de sa famille, elle rencontre à Jérusalem la Congrégation de Notre Dame de Sion, où elle fera ses engagements religieux, devenant Sœur de notre Dame.
Son intelligence supérieure développe une culture hébraïque à la source, d’études de l’hébreu ancien, de l’araméen, du grec, du latin, et de nombre de langues usuelles, depuis les parlers slaves, aux langues occidentales usitées dans la culture contemporaine.
Bibliste, hébraïsante, sa vie relie la tradition askenase à la transmission sépharade, depuis Madrid où existait un cercle d’amitié judéo-chrétienne qu’elle enrichira d’un Centre des Etudes Juives, de 1963-70.
Mais avant ce destin castillan, elle rejoindra Alexandrie, la capitale historique de l’Egypte, où elle enseignera pendant 18 ans en un groupe scolaire où se côtoient, des juifs, des chrétiens et des musulmans, enfants issus de familles égyptiennes en quete d’instruction qualifiée octroyée par les sœurs de Sion implantées dans la ville depuis des décennies antérieures.
On y trouvera aussi un célèbre collège jésuite, parmi une noria d’établissements scolaires chrétiens encore de nos jours présents dans la ville.
L’étape qui suit sera donc hispanique. Elle en pressent l’urgence en un pays où la culture juive séculaire a imprimé un art de penser, de réfléchir et de vivre judéo chrétien historique. Elle en connaît les sources et en mesure les bénéfices.
Les débuts sont difficiles. L’Espagne héritière d’un lourd passé antisémite, depuis l’expulsion des juifs du royaume d’Isabelle la Catholique, dispose cependant d’une richesse spirituelle et religieuse immense confinée dans les musées, les académies et des archives uniques confidentielles pour la plupart des universitaires curieux de ces choses.
Pampelune n’est pas en reste dans ce riche patrimoine du passé.
Les manuels de catéchèse, l’histoire religieuse espagnole, l’enseignement théologique est d’une orientation partiale, et notre sœur roumaine, dotée d’une intelligence souveraine va poser les pierres angulaires d’une réflexion de fond sur ces sujets.
Les synagogues anciennes, la littérature, l’art, l’architecture, la langue castillane les métiers et les hommes, ont su développer au fil des siècles un mode de vivre singulier qu’elle s’évertuera à retrouver, requalifier et transmettre au sein du Centre des Etudes judéo chrétiennes de Madrid.
Un évêque auxiliaire portant le nom de Mgr Lahiguera, et d’une sœur de Sion, Sœur Speranza, retirée à Sion à Osteys à la fin de sa vie, sont les pionniers de la tâche, dès 1960.
Elle s’avère exceptionnelle. Les universitaires venus de jérusalem, et du reste du monde se succèdent à Madrid.
Comment retisser des liens entre juifs et chrétiens distendus au fil du temps, et que tout concourt à reconstruire pour le bien commun de la foi judéo chrétienne passée, dans ce pays héritier de cette histoire intellectuelle ?
Le projet se fait jour.
Dès 1969 le cardinal Tarancon de Madrid crée avec Soeur Ionel le Centre célèbre madrilène.
Modeste dira sœur Ionel avare de compliments, mais aux dimensions internationales qui débordent les frontières hispaniques et relient Jérusalem, Alexandrie, Madrid autour de personnalités juives qualifiées qui enrichissent de leur savoir académique le rapport biblique des croyants issus, et du judaïsme et du christianisme.
L’histoire des origines de ce centre est racontée par Ionel Mihalovici elle même. Elle cite en effet un journaliste espagnol José Maria Perez, correspondant à Paris qui y rencontre la congrégation de notre dame de sion et découvre les amitiés judéo chrétiennes françaises . Elles donneront le ton d’une revue intitulée Amistad à Madrid.
Ce furent les débuts d’échanges intellectuels de talent à partir de 1963.
Universitaires, artistes, écrivains, directeurs de musées espagnols tissent des liens avec Grenade et son université où la culture sépharade a ses marques et ses racines profondes.
Puis viendra en cette ville la création de la revue « El Olivo » autour de David Maeso Gonzalo, faisant le pendant avec Madrid et le sud de l’espagne.
Tout ce qui touche l’héritage judéo-castillan avant le XVème siècle intéresse au premier chef ce cercle de penseurs et d’intellectuels talentueux.
Le cercle judéo-chrétien espagnol mentionne le travail accompli par Samuel Toledano, juif espagnol qui mettra sa fortune et sa connaissance à développer jusqu’en 1996 date de sa disparition, les relations judéo-chrétiennes historiques en Espagne.
Ionel Mihalovici recevra des mains du Roi Juan Carlos 1Ier d’Espagne la médaille du Mérite Civil, parmi d’autres reconnaissances qu’elle évoque peu dans ses conversations.
Sa fierté sera d’avoir pu réveiller en Espagne, l’amitié judéo-chrétienne, le goût de l’histoire d’un pays ouvert au monde de l’orient, et une bienveillante intelligence des relations entre israélites et chrétiens dans un pays castillan traversé d’une hostilité ancienne entre ces deux confessions.
La Navarre qui nous est proche ne saurait taire la présence juive et chrétienne à Tudela, à Olite, à Pampelune, et en de nombreuses cités du royaume historique basque traditionnel. Elle traversera les pyrénées au fil du XV et des siècles suivants jusqu’en Basse Navarre, et en ce département 64 où la communauté juive sépharade a apporté “dans ses bagages “un savoir faire, une curiosité intellectuelle exceptionnelle.
Bayonne, Labastide de Clairence, Bidache, Saint-Palais, Peyrehorade n’ont pas hérité seulement de ces lieux mémoriels du passé mais d’une culture judéo-chrétienne, des alliances familiales, des unions et des filiations nombreuses issues d’une telle lignée historique d’hier et du temps futur.
Le Maire de Bayonne Jean-René Etchegaray, son conseil, le Consulat du Portugal représenté par M. Bancans du bureau de Dax, le Consistoire israélite de Bayonne présidé par Maître Loupien Suares et la société civile, célébrant ces jours passés la reconnaissance du travail accompli en faveur d’exilés par Aristide Sousa Mendes au cours de la seconde guerre mondiale, chacun se souviendra qu’en ces heures sombres de 1940, d’autres juifs comme Ionel Mihalovici fuyaient l’horreur du nazisme vers Jérusalem, tandis que d’autres Askenazes au milieu de familles aristocratiques entières de l’est européen, retrouvaient Bayonne et la frontière providentielle des Pyrénées pour gagner l’Espagne et la liberté, en sens inverse de l’histoire passée.
Un passeport estampillé leur donnant le droit de passer vers l’autre rive.
“La personnalité séculaire” de Ionel Mihalovici appartient à cette époque.
Elle est désormais bayonnaise pour cette discrète résidente d’Osteys à la vie bien remplie !