La « Fondation Basco-Argentine Juan de Garay » que présidait depuis 1995 le père de la reine Maxima des Pays-Bas a été fondée il y a un peu plus d’une trentaine d’années par la communauté basque – quelques 15 000 patronymes euskariens présents en Argentine – afin de mener des recherches historiques, généalogiques, éditer des publications et organiser des cours, des conférences et des « excursions » au Pays Basque. La Fondation est à l’origine de la dénomination « 11 de junio de 1580 » attribuée à une petite place qui borde la « Casa Rosada », siège du pouvoir exécutif argentin. C’est à cette date que Juan de Garay avait fondé, à l’endroit d’une première bourgade détruite par les indiens Querandis et Charruas, la ville de Trinidad qui reprit ensuite l'appellation de Santa Maria del Buen Ayre connue sous le nom de Buenos Aires. Rappelons que ce jeune biscayen, attiré par l’Amérique, était devenu en 1565 gouverneur de Rio de Plata.
La Révolution et les guerres de de l’Empire ruinèrent le Pays Basque, poussant les Basques à quitter massivement leur pays. Cette seconde vague d’émigration (XIXe siècle et début du XXe), avec des départs massifs du Pays Basque de France, du Béarn et plus généralement des montagnes pyrénéennes, se développera à partir de 1830 et en 1852, le nouveau président Justo José Urquiza leur ouvrira grandes les portes de l’Argentine. Ils profitent d’un vaste réseau de relations en Argentine : les hôtels basques jouent un rôle de premier plan en accueillant les nouveaux venus, les guidant et leur trouvant une situation. Les trinquets sont également des points de rendez-vous pour les Basques qui débarquent à Buenos Aires. Parmi les émigrants basques célèbres, citons Iparraguirre, l’auteur du célèbre hymne « Gernikako Arbola » : il s’était exilé en Amérique en 1855 et marié à Buenos Aires avec une compatriote du Guipuzkoa. Rentré au pays en 1878, il avait écrit : « Dans tous les pays il y a de bonnes gens/ Mais le cœur vous dit : retourne au Pays Basque ».
Citons également Hipolito Yrigoyen, élu président d'Argentine à deux reprises. Il a dirigé le pays de 1916 à 1922, puis de 1928 à 1930, avant d'être destitué par un autre descendant basque : Uriburu. Philippe Irigoyen lui a consacré un livre : « Hipolito Yrigoyen, un président basque, histoire et généalogie - Itxassou, Sare, Baïgorry, Ascain, Cambo ».
Hipolito a été Une bonne partie du livre rapporte une étude généalogique de plus de 2 600 personnes, relative à la famille du président et qui l'amène à Itxassou, berceau de cet-te famille Hirigoyen.
Il y a quelques années, le Centre d’Education au Patrimoine Ospitalea à Irissarry, dans le cadre de son exposition « L’Argentine des Basques », avait rendu hommage au grand bertsulari Otaño : né en 1857 à Zizurkil (Guipuzkoa), Pedro Mari Otaño émigra à trois reprises en Argentine et mourut à Rosario de Santa-Fe en 1910.
Sans oublier Jacques Hyppolite Lesca, qui ayant fait fortune en Argentine, fit bâtir à Guéthary sa belle villa « Saraleguinea » (actuel musée) et acquit le château de Garro à Mendionde qu’il avait légué à la Ville de Bayonne afin de le transformer en centre de formation agricole pour les jeunes basques.
Les Carlistes de la Pampa
Chaque année, près de cinquante cavaliers accomplis ou débutants bravent chaleur, vent, sable et difficultés de toute nature dans l’extrême sud de la Pampa argentine afin de marquer l’anniversaire de la disparition de José Ramón García Llorente (au cours d’un accident automobile avec le prince Sixte-Henri de Bourbon Parme) et renouveler la « cavalcade » en honneur des « mártires de la tradición » instaurée sous l’égide de cette grande figure du Carlisme en Amérique du Sud. Transportant la « Vierge pèlerine » de Fatima, ils rallient la propriété « maison-château-abbaye » édifiée il y a plus de cinquante ans à Pichi Mahuida près de Lihué Calel par la famille García Gallardo où les attendent plusieurs centaines de participants de tous âges. Feux de camp, domptage de bétail et zikiro dans la plus pure tradition se sont également accompagnés de messes et de prières ainsi que d’une réflexion sur le thème du « renforcement de la famille dans un monde déchristianisé ».
Pourquoi des Carlistes en Argentine ?
En juillet 1876, le gouvernement espagnol abolissait le reste des fueros (sorte d’autonomie coutumière héritée du moyen-âge) dont bénéficiaient les provinces de Guipuzcoa, Biscaye et Alava et leur imposait le service militaire obligatoire en même temps qu’il exigeait des combattants carlistes un serment de fidélité à la constitution de l’Espagne « en guise de pardon » et de réintégration à « la vie nationale ». Enormément de Carlistes préférèrent émigrer, d’abord dans les provinces du Pays Basque de France qui les avaient soutenus massivement puis, par Bayonne et Bordeaux, en Amérique du Sud, principalement en Argentine. Situation d’autant plus paradoxale que précisément à cette époque, le développement industriel de la Biscaye offrait de nombreux emplois…
Leur nombre détermina leur chef, le prétendant carliste Carlos VII, à se rendre plusieurs fois sur le continent américain, particulièrement en 1887, il visita Montevideo et Buenos-Aires. La tradition du Carlisme s’y est maintenue depuis lors.
Il faut noter que le même flux d’émigration vers l’Amérique du Sud existait depuis les provinces basques de France. Ainsi, en 1850, les Basques des Basses-Pyrénées constituaient à eux seuls la moitié (soit 1.311 entre 1852 et 1855) des déserteurs recensés dans la France entière ! Une mesure préventive du gouvernement français qui n’accordait plus de passeport aux jeunes âgés de 19 ans n’eut aucun effet, les intéressés se rendant à Pasajes pour embarquer à destination de l’Amérique. L’une des causes de cette émigration et de ces désertions massives est à rechercher dans la tragédie de la déportation des Basques par la Révolution en février 1794 qui avait provoqué dans le pays un appauvrissement, une décadence de l'esprit civique et, partant, une atonie dans la vie politique au XIXe siècle. Elle incita à une insoumission qui s’étendit au XIXe siècle dès l'apparition de la conscription, contrastant avec les innombrables volontaires aux armées royales et la vaillance des corsaires basques sur toutes les mers du globe avant la Révolution de 1789. Laquelle, indirectement, fut encore à l’origine des guerres carlistes qui ruinèrent le Pays Basque d'Espagne et provoquèrent l'émergence du nationalisme au XXe siècle. Car, selon l'exemple de la France républicaine et dans la ligne des principes répandus pendant « l’aventure napoléonienne » en Espagne (1808-1813), Madrid eut tôt fait d’abroger les fueros ou libertés séculaires des Basques et de calquer des « provinces » sur les départements voisins.
Alexandre de La Cerda